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Panser / Penser le monde d’après

Respectable Loge, La Rose du Parfait Silence, Orient de Paris, Région 14 Paris 4 et Loges d'Europe de l'Est

Mots Clefs : ConfinementCriseMaslow

Un confinement inhumain… à vocation humanitaire

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… ». Plus ou moins proches de l’épicentre du séisme, tous les confinés ont subi la violence du traumatisme. Au vert ou à l’étroit, les uns ont sombré brutalement dans l’inactivité, les autres dans une trépidante gestion de crise et une surcharge de télétravail. Dans le monde d’avant, les deux injonctions « Toujours plus vite ! » et « Toujours plus loin ! » inspiraient notre quotidien.

Réduisant brutalement l’espace vital, même doré, bouleversant les repères temporels et professionnels, le confinement nous a emprisonnés.

Par son isolement, il a privé chacun de l’enrichissement d’autrui et du nécessaire sentiment d’utilité sociale. Même si les outils numériques ont permis de garder le contact, le volume de ceux-ci s’est cantonné aux premiers cercles. Et certains rituels marqueurs de l’humanité, comme l’accompagnement des morts, ont été empêchés.

En 1969, la « grippe de Hong Kong » a généré 31 000 morts en France, sans que cela n’émeuve ni le président Pompidou, ni les médias, ni la population. Le prix de la vie a changé. Pour la première fois, 3 milliards d’humains ont choisi de sauver des vies – les plus âgées, les plus faibles de nos sociétés – en se confinant. « Quoi qu’il en coûte… ».

Mais cette vocation « humanitaire » est toute relative. Par les conditions de confinement de populations défavorisées (prisonniers, migrants…), par l’écart de traitement entre les maladies (Covid-19 versus paludisme), la crise a cruellement souligné que toute vie n’a pas le même prix sur la planète.

Des morts invisibles à venir

Le confinement vient heurter de plein fouet les besoins humains répertoriés dans la célèbre Pyramide de Maslow (1). D’après le psychologue humaniste, les motivations d’un individu résultent de la satisfaction de ses besoins, classés par ordre d’importance de bas en haut d’une pyramide. La ruée vers les magasins d’alimentation a traduit l’expression quasi-bestiale des besoins physiologiques : faim, soif, etc.

L’environnement imprévisible, anxiogène créé par la crise sanitaire percute notre besoin de sécurité et de stabilité. Notre besoin d’appartenance sociale souffre de l’isolement ; notre besoin d’estime de soi, du sentiment d’impuissance. Quant à notre besoin d’accomplissement, il est inatteignable en confinement, tant « confiné accompli » semble un oxymore. Se basant sur les pandémies antérieures (SRAS, Ebola, grippe H1N1) dans 10 pays, la revue The Lancet a publié une étude sur leur impact psychologique.

Les dommages décrits sont considérables et durablesau-delà de la période d’isolement : angoisses existentielles, peur de la transmission du virus, anxiétéséconomiques, tensions des couples, boucs émissaires… L’Association médicale australienne (AMA) prévoit une hausse de 25 % du nombre de suicides chez les jeunes. La fondation américaine Well Being Trust estime que le mal-être lié à la crise pourrait entraîner 75 000 décès supplémentaires par l’augmentation des suicides et des addictions. En France, les appels pour violences conjugales ont triplé durant le confinement. D’autres chiffres vont tomber, et ce, dans toutes les directions de la souffrance, mais ce seront des morts que personne ne viendra comptabiliser à 20h, des morts invisibles.

(1) Psychologue américain (1908-1970)

Faisons confiance à la capacité de résilience humaine

À l’heure de revenir sur leur lieu de travail, de nombreux Cabrel écoutent aujourd’hui une petite voix intérieure leur murmurer : « Moi, j’attends que le monde soit meilleur / Là, dans la cabane du pêcheur ».

Semblables au gardien de phare ou au chercheur d’or d’antan, ils souffrent du « syndrome de la cabane » : la peur après des mois de solitude de se confronter au monde extérieur, symbole de tous lesdangers. Le monde du travail représente le paroxysme de cette « vie de dingue » d’avant…

Le mot d’ordre est simple : ne restons pas dans la cabane ! Faisons confiance à la capacité de résilience humaine. Si l’on veut penser le fameux « monde d’après », il va nous falloir panser les hommes et les femmes d’aujourd’hui. À considérer les effets économiques de la pandémie, la période de confinement pourrait rétrospectivement nous sembler douce. Faisons nôtre le propos de Didier Sicard : « L’attention qu’une société porte aux plus faibles et aux plus vulnérables trahit son degré de civilisation. ».

Il s’agit bien de (re)constituer des forces pour affronter ce qui pourrait advenir : une grave crise économique, sociale et morale. En état d’épuisement, le personnel politique ne semble plus outillé pour innover.

Il est primordial de ré instituer les principes républicains. « Indivisible, laïque, démocratique et sociale », voilà qui devrait être notre programme de réflexion et d’action, chaque terme à sa place.

Edgar Morin souligne qu’une « crise dans la société suscite deux processus contradictoires. Le premier stimule l’imagination et la créativité dans la recherche de solutions nouvelles. Le second est soit la recherche du retour à une stabilité passée, soit l’adhésion à un salut providentiel, ainsi que la dénonciation ou l’immolation d’un coupable. » (2)

Participons au « foisonnement d’imaginations solidaires » appelé par les vœux du sociologue et repensons le principe et les thématiques des questions soumises à la réflexion collective, créons des commissions d’étude portées par des valeurs humanistes et « mélioristes », des « conférences citoyennes » de femmes et hommes tirés au sort, auditons à distance des experts ouverts au plus grand nombre, focalisons l’attention et l’intelligence des femmes et hommes du Grand Orient de France sur les féminicides, la pauvreté, le décrochage scolaire, les addictions, le suicide, la faim, les salaires ou les inégalités économiques et sociales… (liste non exhaustive).

Au nom du triptyque républicain qui nous est si cher, chassons les morts invisibles à venir, bouillonnons enfin et profitons de la crise pour nous réinventer sous une nouvelle forme, offensive et cohérente avec nos valeurs, sur le fond, plus moderne et fédératrice d’énergies, sur la forme. Pour panser actifs et ne plus seulement penser brillants, mais stériles.

(2) Le Monde, 19 avril 2020

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