Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Crise sanitaire et statut de la science

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : ConsensusCoronavirusCriseIncompréhensionMédiaRecherche

Quelle connaissance le grand public a-t-il de la création du savoir scientifique ?

   La crise sanitaire du coronavirus aura mis en lumière les malentendus et la mauvaise connaissance de nos concitoyens des modalités et conditions de formation du savoir scientifique. Elle aura aussi souligné l’ambiguïté et les risques de la relation entre décision politique et savoir scientifique. En préliminaire, faisons un bref rappel des modalités de construction du savoir scientifique.

   Tout d’abord, les épistémologues contemporains s’accordent tous à dire que la création du savoir scientifique n’est pas une activité autonome des autres activités sociales. Le scientifique est soumis, comme tous les individus, au contexte historique et social de sa recherche. La définition même de ses objets d’études et des modalités de son activité de scientifique sont socialement déterminées. La création scientifique elle-même est un processus social, contradictoire et marqué par la controverse. Mieux encore, le débat contradictoire, souvent violent et passionné, est au cœur de la démarche scientifique. Contrairement à ce que croient beaucoup de nos contemporains, la science n’est pas « sereine » et les luttes personnelles féroces entre scientifiques rythment l’histoire de la science. Nul n’est besoin de remonter aux célèbres et violents conflits entre Newton et Leibniz ou Tesla et Edison : le conflit est la loi d’airain de la science. Les processus de règlement de ces conflits sont au cœur de la démarche scientifique.

   Les idées validées et admises par la communauté scientifique sont généralement au départ disruptives et minoritaires. Les grandes découvertes scientifiques commencent souvent par un scandale, même si celui-ci est restreint au milieu des initiés, mais cela rend les choses encore plus compliquées pour les innovateurs car ce sont leurs pairs et concurrents qui sont qualifiés pour accepter ou non la remise en cause de leurs propres théories. On comprend donc aisément que les querelles de personnes soient fréquentes dans le champ scientifique, et souvent particulièrement rudes.

   Les bons scientifiques sont aussi, très souvent, de bons politiques : ils obtiennent le soutien et le financement des puissants (riches mécènes, Etats, institutions) pour financer leurs recherches. Les plus habiles recherchent et obtiennent l’intérêt d’un grand public. Ils dirigent des équipes, gèrent des budgets, pilotent des investissements conséquents, surtout dans la science moderne dans laquelle les programmes de recherche sont couramment des entreprises considérables et internationales (voir des programmes comme ITER ou Planck pour n’en citer que deux particulièrement connus, qui rassemblent des centaines de personnes pour des budgets de centaines de millions d’euros).

   Les liens entre la science et l’industrie sont anciens, naturels et nécessaires. Le prix Nobel est la création d’un grand inventeur mais surtout d’un richissime industriel de l’armement. La science moderne ne serait pas ce qu’elle est sans les conférences Solvay qui depuis 1911 rassemblent les plus grands physiciens sous l’égide d’une grande entreprise chimique. L’essentiel de la physique des semi-conducteurs est né dans les laboratoires Bell, etc. Les exemples sont très nombreux, même si une partie du grand public vit dans l’illusion que la science « pure » doit se méfier de l’entreprise et du profit.

Quel regard sur le savoir scientifique entre conflit d’intérêt et stratégie fluctuante ?

   Selon cette perspective, l’étonnement des commentateurs et d’une partie du public sur l’absence de consensus scientifique sur le coronavirus (origine et caractéristiques du virus, symptômes de la maladie traitements possibles, méthodologies applicables pour valider ces traitements, etc.) est surprenant : compte tenu de la nouveauté de cette maladie et de la rapidité de sa diffusion, c’est le consensus qui serait illogique et contre nature. Il est tout à fait normal et il était prévisible que la stratégie scientifique contre le coronavirus fasse l’objet d’un vif débat entre scientifiques. L’incompréhension des media face à cette situation est une conséquence directe de la faible culture scientifique et épistémologique de la grande majorité des journalistes et commentateurs. 

   Ce qui est plus problématique, c’est que cela n’ait pas été anticipé et pris en compte par les décideurs administratifs et politiques. Beaucoup de conseillers ministériels et hauts fonctionnaires sont issus des corps techniques de l’État et sont théoriquement formés scientifiquement. Mais il est possible que cette formation à la science ne soit pas suffisamment une formation philosophique sur la science. Cela pourrait expliquer les erreurs d’appréciation importantes qui ont été commises et ont conduit à des débats et polémiques intenses sur plusieurs sujets :

   Une stratégie fluctuante et une communication erratique : non fermeture des frontières, absence de promotion initiale de l’usage des masques de protection, faible production et utilisation des tests de dépistage, absence d’isolement et traitement précoce des malades, non sollicitation des cliniques privées pour accueillir les malades initialement, isolement et absence de traitement des résidents des EPAHD, etc. Le Comité Scientifique supposé appuyer ces décisions a été fortement mis en avant par les autorités en début de crise, mais relativement ignoré à partir du déconfinement.

   L’intériorisation de la contrainte de pénurie de masques, de matériel de protection (gants, blouses, etc.) et de tests. Le confinement total, avec toutes ses conséquences, est potentiellement lié à cette insuffisance de départ. La situation a été similaire dans plusieurs pays (Italie, Royaume-Uni notamment). Le débat sur la gestion des stocks de masques et autres matériels est toujours en cours avec de potentielles suites politiques (commissions d’enquête parlementaires) et judiciaires (procédures contre le gouvernement et l’administration).

   Les conflits d’intérêts potentiels de la plupart des médecins conseillant de gouvernement, du fait de leur lien avec des laboratoires pharmaceutiques. Ce débat sur les conflits d’intérêts s’est d’ailleurs élargi à la question de la fiabilité de la totalité du dispositif global de validation des médicaments via les publications dans les revues scientifiques à la suite du scandale des publications frauduleuses dans la New England Revue of Medecine et dans The Lancet et des incertitudes persistantes sur la qualité des études comparatives Recovery et Discovery. A ce titre l’interdiction partielle puis totale de l’hydroxy-chloroquine par le ministre de la Santé, selon des modalités inhabituelles et dérogatoires a nourri la polémique. A sa décharge, le débat sur ce médicament est devenu passionnel et fondamentalement partisan, comme dans plusieurs pays (États-Unis et Brésil notamment).

   La question non tranchée de la recherche médicale en période de pandémie, entre les médecins qui ont privilégié une démarche empirique centrée sur le soin (donc sur la nécessité absolue de soigner et soulager les malades) et ceux qui ont privilégié le respect des méthodologies les plus rigoureuses (tests en double aveugle avec échantillon de contrôle) même si cela pouvait augmenter les délais et impliquer une perte de chance pour les malades soumis au placebo. Le débat sur la nature de la preuve scientifique se doublait ainsi d’un débat éthique, qui s’est étendu à la formation des chercheurs en médecine et à la « philosophie » de la recherche sur les traitements – maintenant orientée prioritairement vers des nouvelles molécules brevetées à forts coûts de développement, plutôt que vers la réutilisation de médicaments déjà connus pouvant être réemployés à moindre coût pour d’autres pathologies.

Propositions concrètes

   Organiser un débat de fond sur l’autonomie de la décision politique par rapport au débat scientifique. In fine, il semble que la pandémie de coronavirus constitue une opportunité pour organiser un débat de fond sur la politique de santé publique en France et le rôle respectif des scientifiques et des politiques. Le GODF pourrait en prendre l’initiative directement ou par le biais de think tank amis. Il serait intéressant de réaffirmer l’autonomie de la décision politique par rapport au débat scientifique. La première doit accepter de s’imposer en situation d’incertitude et le second doit reconnaitre sa nature incertaine, provisoire et conflictuelle. La lutte contre une pandémie est soumise à beaucoup d’autres paramètres que les connaissances scientifiques et médicales : considérations politiques, économiques, sociales notamment. Le confinement est, à cet égard, un cas d’école.

   Renforcer la compréhension de l’épistémologie (collège et lycée ; grand public via les plateformes et réseaux sociaux). En ce qui concerne la question proprement scientifique, il serait utile de travailler à l’élévation du niveau de connaissance des conditions de production de la science par nos concitoyens. Cela pourrait notamment passer par un renforcement de l’enseignement de l’épistémologie au collège et au lycée. Une épistémologie pratique, qui pourrait s’appuyer sur des exemples concrets comme l’épidémie coronavirus pour faire réfléchir les élèves et augmenter le sens critique et leur capacité de compréhension de ces enjeux. Pour tous publics, y compris les adultes, il serait possible de développer des vidéos pédagogiques sur le sujet à diffuser sur les plateformes – la crise ayant montré le succès de ces formats.

Proposition phare : renforcer la compréhension de l’épistémologie (collège et lycée ; grand public via les plateformes et réseaux sociaux).

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