Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

De l’agitation planétaire au Covid-19

Respectable Loge, La Ruche des Patriotes, Orient de Ribérac, Région 16 Sud-Ouest

Mots Clefs : Voyages

Le voyage a toujours été considéré comme l’incontournable initiation à la vie et au savoir-faire. L’époque médiévale a été l’âge d’or du compagnonnage et du voyage d’apprentissage. Le maître recevait les compagnons désireux de progresser dans l’art de la charpente, de la forge, de la musique ou de l’architecture. Le compagnon revenait plein d’usage et raison vivre entre ses parents le reste de son âge[1].

Au XVème et XVIème siècles, Magellan, Amerigo Vespucci, Vasco de Gama, Christophe Colomb, Francisco Pizzaro vont parcourir les océans, dans l’espoirs de trouver de nouveaux débouchés pour le commerce européen. L’Inde faisait rêver, l’Amérique devenait réalité.

A ces époques, Christophe Colomb mettait 3 mois environ pour atteindre le nouveau monde.

Le siècle des lumières a encouragé les voyages initiatiques qui feront parties intégrantes de l’éducation des personnes « bien nées ». La Pérouse, Bougainville traceront les routes maritimes qui feront rêver bon nombre d’enfants. L’île de la tortue sera le rendez-vous des fantasmes d’aventures.

En 1883, l’Orient-Express ne met que quatre jours pour relier Paris à Constantinople. Actuellement, Moscou-Pékin, par le train, peut prendre 16 jours en passant par Krasnoïarsk, Irkoutsk et Oulan-Bator.

En 1931, André Citroën organise la croisière jaune qui conduira ses véhicules de Beyrouth à Pékin en 315 jours d’une aventure sans précédent. Tintin, lui, a mis plusieurs mois pour aller de Marseille à Shanghai pour dénouer l’intrigue du Lotus Bleu.

Dans ces cas-là, le temps du trajet fait déjà partie du voyage.

Dans les années 68-70, l’autostop a permis à des millions de jeunes de voyager sans frontières, sans montres et sans calendriers. Peu après, des billets de train européens voyaient le jour et permettaient de voyager avec une meilleure sécurité dans tous les pays européens et sans retenues. Actuellement, les compagnies aériennes proposent des billets de Paris à Athènes ou de Bordeaux à Berlin pour 50€ aller et retour. Cette somme ne représente même pas la valeur des péages autoroutiers et encore moins celle du carburant. Finalement, quel est le véritable prix de ces billets d’avions, et sur quel chapitre budgétaire de la compagnie aérienne a-t-elle fait des économies ? En revanche, le voyageur ne sait rien du paysage, des villes et des gens qui séparent le point de départ du point d’arrivée. Le temps de trajet est trop souvent considéré comme un temps superflu, voire perdu. Il faut aller vite et à l’essentiel.

En France, il paraît que l’endroit depuis lequel le plus grand nombre d’appels téléphoniques est émis est le sommet du Mont Blanc !

La pandémie du Covid-19 est peut-être en train de nous rappeler que l’on ne peut pas impunément bouleverser les équilibres millénaires installés entre l’environnement, les hommes et les animaux, les écosystèmes en quelque sorte. La déforestation, la suppression de certains habitats pour les animaux, le pillage des ressources naturelles qui va nous permettre d’être « plus propres chez nous » et bien évidemment nous donner bonne conscience, les voyages incessants dans les contrées les plus reculées, donc les plus prisées, tous ces éléments engendrés par la mondialisation vont devoir vraisemblablement être revisités à l’issue de cette pandémie.

En inventant le tourisme l’homme invente un bien pour un mal, une douleur exquise. Les paquebots, véritables villes flottantes, envahissent la baie de Venise ou de Naples mettant en péril l’ensemble de l’écologie locale au profit d’une économie débridée. Si une leçon est tirée de la pandémie de Covid-19, les pays abritant des destinations touristiques emblématiques vont vraisemblablement être dans l’obligation de restreindre les accès en fixant des quotas annuels d’accueil. Ce coup de semonce va peut-être précipiter cette démarche.

Mais l’arrêt des activités humaines a montré une qualité d’air nettement améliorée dans les grandes métropoles, le retour d’animaux sauvages dans leurs territoires devenus interdits (présence de rorquals au large des calanques de Marseille, notamment). Le déconfinement annoncé va devoir gérer l’afflux légitime de personnes provenant de régions sous tension Covid-19 vers des régions moins touchées, pour le travail mais également pour les loisirs.

Les professionnels du tourisme souhaitent vivement un retour « à la normale ». Mais qu’entend-t-on par « situation normale » ?

Est-ce qu’une situation normale, c’est moins d’une minute entre deux décollages dans certains grands aéroports ? Est-ce que c’est une croisière autour du monde en 120 jours ? Est-ce que c’est d’aller dormir dans une yourte dans le désert de Gobi ?

Et si cette situation dite « normale » était à l’origine de la pandémie qui étrille tous nos modèles économiques de déplacement, de consommation, de production, d’environnement et de rapport à l’autre ?

Et si, pour une fois, nous interrogions ceux qui font l’éloge de la lenteur[2] ? Et si nous faisions attention de ne pas acheter des fruits ou des légumes qui viennent de l’autre côté de la terre et polluent des contrées qui nous sont totalement anonymes et inconnues, alors que nous avons des producteurs à portée de main. Il faudra apprendre ou réapprendre à manger des tomates au mois de juin et des choux en hiver. Il suffit d’aller faire un tour au marché pour voir ce que les vrais producteurs proposent et faire le tri de ceux qui essaient de nous vendre des cerises à Noël.

Les empereurs chinois avaient une devise inscrite au-dessus de leur trône « Wu Wei[3] », ce qui signifie « ne rien faire ». Ne rien faire qui contrarie l’ordre des choses, ne pas aller contre, être en harmonie, acteur et récepteur d’un équilibre global.

Cette pandémie devrait réduire notre bulle d’intervention pour le plus grand bien de la planète. Cet été, pourquoi ne pas aller admirer la bambouseraie d’Anduze, le chemin de la mâture, la forêt de Tronçais, la Roche de Solutré, le marais Vernier. Ou tout simplement s’arrêter et prendre le temps d’admirer un arc-en-ciel, passer du temps pour faire une tarte Bourdaloue et régaler ses amis, s’assoir auprès d’une ruche et regarder le ballet de ces demoiselles.

Les voyages anciens étaient des initiations, des enrichissements. On voyageait pour savoir et connaître. Montaigne se déplaçait pour enrichir sa vision du monde et des hommes. Mozart, quant à lui, se frottait aux autres pour enrichir son art. Les artistes peintre, enfin, se rendaient à Rome, destination incontournable de l’initiation artistique.

Les voyages actuels sont trop souvent les preuves égoïstes de « nous y étions ! » sur le pont du Rialto, sur la grande muraille de Chine, sur les chutes du Niagara, au Taj Mahal, etc. (voir les catalogues des grands voyagistes).

Equilibre fragile que celui que nous avons mis en place qui donne les pleins pouvoirs à certains et qui asservie les autres. Le mot magique étant la croissance, nos gouvernants ont oublié les petits métiers qui permettent notre vie de tous les jours, mais ils ont eu l’ambition de transformer notre pays en un pays de cerveaux.   

Les africains peuvent avoir le dernier mot : « vous, vous avez des montres, nous, nous avons le temps ! ». Alors prenons le temps, le temps de vivre, le temps d’aimer ! Nous sortirions plus fort de cette épreuve singulière si nos dirigeants avaient la lucidité de transformer cette crise sanitaire en crise salutaire pour la planète et pour l’humanité.


[1] Sonnet XXXI « Les regrets » Joachin du Bellay (1522-1560)

[2] Eloge de la lenteur : Carl Honoré

[3] Wu Wei (无为) ou (無爲)

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