Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Réchauffement climatique : alors que nous savons, pourquoi rien de significatif ne change ? Inventer un nouveau régime d’actions.

Respectable Loge, Les Passeurs de Gué, Orient de Vannes, Région 9 Ouest

Mots Clefs : Changement climatiqueÉcologieLibéralismeNouvelles formes d’actions

Connaitre n’est pas agir

Aussi bien les déterminants que les conséquences du changement climatique sont connus, de mieux en mieux documentés par la communauté scientifique[1]. Il y a de moins en moins de controverses sur la responsabilité des activités humaines à l’origine de ce changement[2]. C’est bien dans le modèle de croissance économique qui s’est imposé depuis un siècle que se situe l’origine des dérèglements climatiques actuels. Ce modèle repose sur un « extractivisme » sans limite et un consumérisme démesuré. Il rend toute chose « marchandisable », piétine les « communs », ne connait aujourd’hui que le court terme des marchés financiers. Ce modèle a un nom : l’ultra-libéralisme qui s’affranchit de toutes les régulations, de tous les contrôles démocratiques, de toutes les morales de justice et de solidarité. La question centrale ne se situe donc plus sur le diagnostic et l’identification des causes systémiques du dérèglement climatique (« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! »), mais porte sur les motifs d’une paralysie de la puissance d’agir des États, de leur immobilisme généralisé, de leur attentisme coupable.

Il convient, pour sortir de ce modèle, de créer de véritables ruptures, des transformations radicales. Mais, s’il a fallu plus d’un siècle pour que le modèle productiviste que nous connaissons s’installe et se développe, il est impensable d’attendre à nouveau un siècle pour voir l’aboutissement de nouveaux modèles de développement, qui restent encore largement à inventer. La communauté scientifique est unanime pour dire que nous avons à peine une vingtaine d’années devant nous pour éviter le pire de la catastrophe, qui ne sera pas seulement environnementale mais aussi sociale. Vingt ans, c’est très court pour reconvertir tout un système productif globalisé, introduire de nouveaux modes de vie et de consommation, former à de nouveaux métiers, reconstruire des liens entre financements et investissements, entre production et distribution ; c’est très court pour mettre en place de nouvelles organisations sociales, de nouvelles institutions et pratiques démocratiques. Et pourtant il faut le faire.

Ce n’est donc pas par ignorance ou par une connaissance imparfaite des causes des problèmes écologiques que nous pouvons justifier notre incapacité à prendre les bonnes décisions pour les résoudre. Cette connaissance existe, mais elle ne suffit pas à générer les changements de comportements individuels ou collectifs. Le constat aujourd’hui est que très peu de ces changements sont décidés, engagés, ou, quand ils le sont, c’est avec une ampleur et à un rythme très insuffisants, très loin des enjeux, très loin de l’urgence[3].

Pourquoi (presque) rien n’est fait ?

La transition écologique est rarement présentée comme un projet global de reconstruction sociale et politique pouvant conduire à une existence individuelle renouvelée et plus heureuse. Le plus souvent elle est présentée comme un fardeau exigeant toujours plus d’efforts et de sacrifices. Par ailleurs, les individus, insuffisamment équipés sur le plan psychique pour faire face à l’ampleur des changements nécessaires, sont en proie à la peur de l’effondrement. L’égoïsme et les intérêts de court terme deviennent des obstacles supplémentaires à la nécessité de trouver rapidement de nouvelles formes d’agir[4]. De nombreux biais, de multiples dissonances cognitives et autres obstacles épistémologiques[5] viennent renforcer l’immobilisme et la méfiance du plus grand nombre, quand ce n’est pas la confusion entretenue entre « décroissance » et « nouveau modèle de développement ».

 Quels mécanismes intellectuels se mettent en marche dans notre cerveau pour justifier à nos propres yeux notre inaction ? Pourquoi sommes-nous, comme des lapins devant les phares d’une voiture, immobilisés, pétrifiés, regardant le danger arriver sans rien faire ? La plupart des individus ne souhaite pas regarder en face une réalité qui leur donne le sentiment d’être impuissant. Ils préfèrent le déni, l’indifférence rassurante, ou la fatalité renonciatrice. Ils s’enferment dans un présent confortable tout en imaginant que la science et le progrès technique apporteront des solutions et préserveront leur mode de vie et leur bien-être[6]. « Peu de personnes ont compris que la transition écologique et énergétique était l’occasion de transformer certains renoncements consuméristes en une perspective de bonheur »[7]. Mais, les gouvernements ont une lourde responsabilité dans la formation de cet état d’esprit collectif nourrit de renoncements et de fatalités. Leurs stratégies sont brouillonnes, difficilement lisibles sur le moyen terme. Elles sont faites d’accommodements face aux lobbies, de promesses non tenues, d’effets d’annonces opportunistes. Nos gouvernements se rendent complices de ce désastre en ne reconnaissant pas qu’une croissance infinie sur une planète aux ressources finies est une impasse. Les objectifs de croissance économique qu’ils défendent sont en contradiction totale avec le changement radical de modèle économique et productif qu’il est indispensable d’engager sans délai. Les politiques françaises actuelles en matière climatique et de protection de la biodiversité sont très loin d’être à la hauteur des enjeux et de l’urgence[8].  

Nécessité de nouvelles formes d’action

Les stratégies et politiques publiques en matière de transition écologique et énergétique ne peuvent s’accommoder de formes verticales et centralisées de gouvernement. Il faut inverser les processus décisionnels, passer du Top down au Botton up – pour reprendre une formule savante qui reste hélas prisonnière de la rhétorique et du marketing politique, sans grande effectivité dans les pratiques démocratiques actuelles. Les pouvoirs publics centraux demeurent aux ordres des élites dominantes, soumis aux lois du marché et aux pressions de courte vue d’intérêts économiques particuliers, souvent au prix du déni et du mensonge (voir les derniers avatars sur les néonicotinoïdes et les lobbies betteraviers). Les enjeux de la transition écologique et énergétique supposent de rompre avec ces processus faussement démocratiques, sans contrôles réels, et de redonner du pouvoir et de l’autonomie aux collectivités au plus près du terrain. Inventer et organiser de nouvelles relations entre le niveau national et le niveau local et donner plus d’autonomie aux territoires, laisser émerger les bonnes pratiques, les fédérer, les amplifier, les diffuser, les promouvoir. Dans ce contexte d’un renouveau démocratique total indispensable, plusieurs propositions d’actions[9] sont à privilégier, que la Franc Maçonnerie doit soutenir et accompagner avec force, notamment :

Pour faire émerger à grande échelle une éco-citoyenneté, rendre obligatoire des modules de formation à l’écologie et à l’environnement dans tous les cursus de formation quel que soit leur niveau et leur spécialité, en y incluant notamment les problématiques de l’alimentation et du rapport de l’homme avec toutes les formes du vivant non-humain (Seulement 11% des formations abordent les enjeux climat-énergie). Plus largement, redonner un second souffle à l’éducation populaire[10] dont une des vocations n’est pas seulement de transmettre des savoirs, mais aussi de développer les capacités de chacun à vivre ensemble, à confronter ses idées, à débattre et à tendre vers une citoyenneté émancipatrice, permettant de mieux comprendre et de mieux s’orienter dans le monde où nous vivons, et de décider de son avenir.

Donner des droits à la nature et une identité juridique aux milieux de vie afin que la nature acquière la capacité d’intervenir en justice. Cela modifierait en profondeur la manière dont les humains se représentent leur rapport à la Terre et au monde. « Il faut imaginer que puisse être représentés des écosystèmes dotés de moyens pour exercer leurs droits, et devenant alors des sujets politiques »[11]. C’est aussi une manière de remettre au premier plan la notion de « bien commun» comme milieu partagé dont chacun est responsable, milieu inaliénable par des intérêts privés, avec un égal accès de tous aux ressources. Par ailleurs, il faut reconnaitre l’ÉCOCIDE comme un crime contre l’humanité, l’intégrer dans la Constitution, l’outiller en termes de droit et créer des juridictions propres, au niveau national et international.

Reconnaitre que la lutte contre le désastre environnemental est une lutte contre les formes ultralibérales du capitalisme globalisé. Intensifier alors les luttes contre les responsables de ce désastre en déployant de nouvelles stratégies allant au-delà des principes absolutistes du pacifisme, de ses pétitions, de ses grandes marches et de ses manifestations qui ont montré leurs limites. Nous ne manquons pas d’éruptions de protestations populaires, mais il faut mobiliser de nouveaux instruments permettant de les traduire en stratégies pour contraindre les structures de pouvoir existantes à céder aux revendications essentielles et aux besoins de réformes profondes. C’est pourquoi il convient, notamment, de soutenir les campagnes de boycott visant les entreprises/banques les plus destructrices de l’environnement et développer toutes les formes de désobéissance civile. Voir à ce sujet l’appel des mille scientifiques : « nous appelons à participer aux actions de désobéissance civile menées par les mouvements écologistes (Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne, Greenpeace, Action non-violente COP21, Extinction Rebellion, Youth for Climate…). Nous invitons tous les citoyens à se mobiliser pour exiger des actes de la part de nos dirigeants politiques et pour changer le système dès aujourd’hui »[12]. Ce sont plus largement les rapports entre légalité et légitimité qui se trouvent ainsi fortement réinterrogés ; le bien-fondé éthique de l’engagement du citoyen, sa responsabilité, son consentement, est souvent en avance sur le droit, qui doit se nourrir de cette légitimité.

Dans « le monde d’APRES », les méthodes bureaucratiques ne suffiront pas à éviter la catastrophe. Il faut d’autres méthodes alternatives de lutte, comme il faut d’autres instruments politiques pour une prise de conscience généralisée de la nécessité d’un changement culturel complet et d’un nouveau modèle de production et de vie, « sans quoi nous serons condamnés à survivre sur une planète fiévreuse habitée par des gens fiévreux »[13]. Puisqu’aussi bien le réchauffement climatique et la Covid-19 sont deux conséquences d’un seul et même phénomène d’entropie : la maximisation du profit au cœur du réacteur productiviste. Alors, ne soyons pas comme des personnages de dessins animés, cessons d’errer au-dessus du vide.


[1] Rapports GIEC, CNRM – Météo France/CNRS ; Fred Vargas. L’humanité en péril. 2020, ….

[2] Comme l’a bien montré Bruno Latour, Où atterrir ? La découverte, 2017.

[3] Voir notamment la Convention citoyenne sur le climat, qui prend la mesure de l’urgence ; et Qu’appelle-t-on Panser ? La leçon de Greta Thunberg. Bernard Steigler, Les liens qui libèrent, 2020)

[4] Corinne Pelluchon, Réparons le monde. 2020.

[5] G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, 1938.

[6] G. Marshall, Le syndrome de l’autruche. Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique. Actes Sud, 2017.

[7] Corinne Pelluchon, Réparons le monde. 2020.

[8] Voir l’affaire du siècle : Quatre organisations d’intérêt général assignent l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Leur objectif est de faire reconnaître par le juge l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C.

[9] Parmi de très nombreuses autres (voir notamment les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat).

[10] Éducation relative à l’environnement, composante d’une éducation populaire et citoyenne, C Bourquard, Cahier de l’action, 2016.

[11] (Humain, trop humain, Philippe Descola, 2015)

[12] « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire », Le Monde 20 février 2020.

[13] La chauve-souris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique, Andreas Malm, La Fabrique, 2020.

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