Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Comment résoudre la question de la « souveraineté numérique » ?

Respectable Loge, Les Coeurs Réunis, Orient de Toulouse, Région 17 Sud et Loges d'Espagne

Mots Clefs : CybersécuritéDonnéesEspace InformationnelRéseauxTechnologies

Préambule

“Big brother is watching you”, force est de constater que ce fameux grand frère ne se contente plus de simplement regarder depuis bien longtemps. Les plus optimistes vous diront qu’il nous guide vers le progrès, les plus pessimistes qu’il vous manipule. Désormais, il faut s’y résoudre, le fait d’être « vu » n’est plus exclusivement lié à la dimension physique. Aux espaces terrestres, maritimes, aériens ou spatial, c’est ajouté un espace informationnel global où nos empreintes sont les données que nous y semons, sans même nous en apercevoir, dans nos actes quotidiens les plus anodins. Dans ce nouveau monde la valeur étalon n’est plus l’once d’or ou le baril de brut, mais le péta ou le téraflop de données désormais raffinées par des algorithmes plus ou moins maîtrisés et exploitées par les bien nommés GAFAM de la Silicon Valley (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) rejoins pas les dragons Chinois BATX (Baidu, Alibaba, Tecent, Xiaomi). Cependant, une chose n’a pas changé, comme dans l’ancien monde, de la concentration des richesses/du pouvoir naît le danger. Le 4 décembre 2019, les GAFAM étaient davantage valorisés que le montant du PIB de l’Allemagne, du Royaume Uni ou de la France. Or la plupart de ces entreprises n’ont guère plus de 20 ans d’existence. Cette fulgurance est notamment due à la révolution induite par leurs modèles économiques, dont l’un des principaux bénéfices est de passer sous les radars des alertes traditionnelles de concentration, cartels ou monopole – Google représente 90% des recherches Internet mondiales. Ces entreprises ne nous vendent rien ou si peu, en comparaison de l’exploitation qu’elles font de nos données, autrement dit de nos choix, nos goûts, nos déplacements et centre d’intérêts. « Si c’est gratuit, c’est que nous sommes le produit ». Par ailleurs, il ne faut pas éluder la question de la souveraineté numérique comme une réponse à l’ingérence de certains pays ayant développé des programmes d’Etats de cyberattaques/défense. L’équilibre diplomatique/géopolitique, comme économique sont le cœur du sujet et de ses enjeux. La maîtrise de l’espace informationnel est tout aussi critique que ses frontières sont invisibles.

La souveraineté numérique au révélateur de la Covid-19

Avec la crise sanitaire, le travail, l’éducation, le divertissement sont devenus sédentaires le temps de la parenthèse (il faut l’espérer) du confinement. Or plus ces domaines se sédentarisent plus les acteurs de la nouvelle économie prospèrent : systèmes d’exploitation et applications favorisant le télétravail (Microsoft), production de contenus de divertissement online/streaming (Netflix), etc. Amazon a vu ses commandes en ligne croître de +73% en sur la période de mars à juin 2020 et son Président a enregistré le record mondial de gain sur une journée de cotation le 20 juillet avec 13 milliards de dollars. Selon une étude Brunswick Group publiée le 4 mai dernier et réalisée sur 7 pays couvrant l’Amérique du Nord et l’Europe Occidentale, 70% des américains et 65% des européens pensent que les entreprises « technologiques » ont utilisé leurs tailles et leur influence pour le Bien Commun contre la Covid-19, mais 75% estiment que les gouvernements devraient être plus actifs dans leurs politiques de régulation (+14pts vs. 2018). Les prémisses d’une prise de conscience ? L’effet temporaire d’un monde à l’arrêt propice à l’observation et à la réflexion ?

La question de la souveraineté numérique se pose donc aujourd’hui au regard de la préemption par les GAFAM/BATX de pans entier de l’économie mondiale, bien au-delà de leurs de bases « métier », sur le secteur de la santé, des services bancaires, conquête spatiale etc.  La crise sanitaire a certainement accéléré la dépendance technologique des Etats en appui de leurs prérogatives régaliennes. C’est là tout l’enjeu de la souveraineté numérique, ou comment se départir d’une équation technico-économique contrainte pour garantir l’équilibre géopolitique nécessaire à l’essor des démocraties modernes. La bipolarité latente Etats Unis / Chine appelle une réponse européenne fédérée. Mais au-delà d’une volonté commune toujours fragile, en avons-nous véritablement les moyens ? La crise de la Covid nous a démontré à quel point nous pouvons être dépendants. La priorité et certainement pas de nous disperser ; il est primordial que soient choisis un nombre restreint de secteurs stratégiques, pour y concentrer nos investissements et ainsi les maîtriser sur toute la chaîne de valeur.

La donnée & la régulation de l’espace informationnel

En France comme en Europe, la prise de conscience est relativement récente. Considérant que la maîtrise de l’espace informationnel se joue sur la maîtrise technologique, la réponse et les initiatives qui se structurent doivent simultanément adresser les quatre dimensions fondamentales que sont, la capture des données, la transmission (réseaux), le stockage, l’analyse et la sécurisation des données. Pour autant le premier réflexe a été une réponse réglementaire autour de la protection des données personnelles (RGPD). Partant d’une bonne intension celle-ci s’est révélée à certains égards comme une contrainte pour ses propres bénéficiaires dans le sens où la protection de nos propres données personnelles a pu, dans les faits, être conditionnée à un accès restreint à l’information ou à certains services. Le deuxième axe d’action engagé porte sur la fiscalité ou la nécessité de permettre aux acteurs européens de se battre « armes égales ». De là est née le projet de taxe GAFA, visant à corriger une anomalie fiscale de 100 milliards d’euros. Une fiscalité qui pourrait permettre à l’Europe de financer ses propres programmes « technologiques ». De mon point de vue, si celle-ci est nécessaire, elle n’est pas une solution comme le laisse penser le marketing politique dont cette mesure fait actuellement l’objet. Sur le sujet des réseaux, le déploiement et les investissements sur la 5G ont un caractère fondamental. Au-delà des débats exacerbés sur le sujet des rayonnements électromagnétique et de la caricature, la 5G sera un véritable levier de progrès dans ses usages (télémédecine, incidents industriel) dans le sens où sont principal bénéfice réside dans la réduction du temps de latence. Devant la criticité de ces réseaux, nous pouvons aussi nous réjouir de la prise de conscience des états et des opérateurs locaux sur l’utilisation de « tuyaux » autrement dit d’antennes relais issus de technologies certifiées (cf. retrait des équipements Huawei). Sur le sujet du stockage de la donnée, jusque très récemment, les acteurs européens ne disposaient pas encore d’une palette de services cloud aussi étendue que celle des américains. C’est tout l’objet du projet franco-allemand Gaia-X lancé en juillet dernier et porté par vingt-deux entreprises, aussi bien acteurs du cloud qu’utilisateurs (industriels, Energéticiens …). Avec Gaia-X, les gouvernements français et allemand ont fait le choix de se reposer sur les acteurs privés du secteur. Une charte a été élaborée, visant à apporter aux entreprises la portabilité de leurs données, la transparence mais aussi la possibilité de trouver facilement des réponses à leurs attentes. Ainsi les membres de Gaia-x s’engagent à déclarer les législations extraterritoriales auxquelles ils sont soumis. La seule condition, et non des moindres, à la pertinence du sujet sur la portabilité des données, reste que les grands acteurs du secteur (AWS, GCP, Azure) en jouent le jeu…Sur le sujet du traitement et de l’analyse des données, l’Europe a également lancé le programme Euro HPC, avec l’ambition de positionner l’écosystème technologique européen dans la course à l’ordinateur quantique. Dans un registre similaire, partant du constat que sur tout sujet de souveraineté « la taille » est critique, l’Etat français appui les initiatives visant à fédérer la filière telles que la « French tech » ou la « Station F ». Leur objectif est de faire émerger les start-ups nationales les plus prometteuses. Les réussites sont ici diverses et mesurées. Plus récemment en Septembre 2020, dans le cadre d’un partenariat public/privé, 120 entreprises se sont engagées sur le projet de « Campus Cyber » » installés à Paris La Défense.

De la nécessité d’une réponse européenne, à la responsabilité Individuelle

Au regard de ces initiatives et mesures aux résultats encore trop « timides » ou qui peinent encore à se coordonner tant sur le plan national qu’européen, certains commentateurs pensent qu’il est déjà trop tard. Pour ma part, je pense qu’il faut être lucide sur le retard accumulé, mais celui-ci est surmontable. Certes, le vert est dans la pomme, mais la pomme est périssable à l’instar de la technologie ou de la majeure partie des données générées quotidiennement. En la matière, sur des modèles de partenariats Public/Privé, tout reposera sur la mise en œuvre de stratégies d’anticipation claires, coordonnées et appuyées par des structures de recherches et développement à l’avant-garde, pour l’émergences des technologies de demain.

La première proposition porterait sur la création d’un consortium technologique Européen à l’image de ce qu’Airbus peut représenter pour l’aéronautique mondiale, à la condition que sa feuille de route soit claire et que son périmètre d’activité soit précisément défini. Les champs d’application technologiques étant infini. Le quantique, la cybersécurité et la décarbonation pourraient en être la dorsale. L’idée étant de garantir une synergie des investissements plutôt qu’une politique de subventions diluées.

La seconde proposition porterait sur une politique de retour des cerveaux. La pertinence et les avancées technologiques sont toujours le fruit d’une recherche forte et structurée. La question de la souveraineté numérique place plus que jamais nos chercheurs au cœur des nouveaux enjeux sociétaux. En complément des nécessaires investissements sur les infrastructures de recherche, un régime fiscal privilégié ne peut-il pas être repensé sur ces métiers ?

La troisième proposition porterait sur l’éducation des populations et en particulier des plus jeunes, sur l’importance des données personnelles et l’impact que leur exploitation par un tiers peut avoir sur leur liberté et leurs agissements. Tout au long du parcours scolaire, renforcer l’enseignement autour du développement informatique tout autant que sur ses usages. Que vaut mon clic ? en quoi m’engage-t-il lorsque je télécharge une application ?…

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