Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Situation de crise et restriction des droits et libertés : jusqu’où et pour quelles limites ?

Respectable Loge, Les Amis du progrès, Orient de Le Mans, Région 9 Ouest

Mots Clefs : Crise sanitaireDroits fondamentauxLibertésRestrictions

La crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID 2019, justification de l’état d’urgence sanitaire

Cette problématique de la crise sanitaire, née de la pandémie de la COVID 19, n‘est pas tout à fait nouvelle puisqu’elle fut déjà abordée lors de l’épidémie de H1N1 en 2009. Les crises peuvent être d’origine diverse : politique, écologique, sécuritaire (attentats, guerre, terrorisme) et, par le passé, nos sociétés ont déjà été confrontées à de grandes épidémies (choléra, peste) mais aussi à la famine et, plus récemment, à la canicule et à la grippe. Ces évènements ont, à chaque fois, plongé le pays dans le chaos et/ou le désarroi. La crise de la COVID 2019 a imposé un premier état d‘urgence sanitaire pris, d’abord par décret, puis prolongé par une loi, le 23 mars 2020, pour deux mois. Ce fut certes un acte législatif mais avant tout un acte politique. Quelques semaines auparavant, l’exécutif avait fonctionné par décrets, confortés par des arrêtés préfectoraux parce qu’il y avait à gérer un domaine empli de flous et d’incertitudes, notamment juridiques. Plus précisément, l’état d’urgence sanitaire constitue un régime juridique spécial applicable « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril par sa nature et sa gravité la santé de la population » (art. L. 3131-12 du Code de la santé publique, CSP). Il fallait protéger le corps social et, pour cela, adopter une réponse restrictive des droits et libertés des individus.

Quelles ont été les restrictions aux droits fondamentaux et aux libertés, imposées par l’application de cet état d’urgence sanitaire ?

Nombre de droits et de libertés ont été affectés. Le droit d’aller et de venir, le droit de se rassembler ont été impactés par le confinement. Les déplacements ont été limités, les rassemblements ont été soumis à une jauge plus ou moins élevée, voire tout simplement interdits. L’exercice du culte a aussi été contrôlé sans être interdit. Sur le plan social, on a assisté à des restrictions professionnelles, à la fermeture de commerces et d’entreprises non indispensables avec, en parallèle, le développement du télétravail. Sur le plan sanitaire, la quarantaine obligatoire pour patients infectés, les dépistages systématiques, ou le port du masque ont également contraint les libertés. Le droit au respect de la vie privée (avec, par exemple, la surveillance des rassemblements par drone pendant le confinement), le droit à la confidentialité des informations (par le traçage des téléphones portables ou par l’application Stopcovid) ont, eux aussi, été touchés. L’essor des nouvelles technologies a, par ailleurs, accru les atteintes à ces droits Cette situation de crise a également été un prétexte pour placer sous silence d’autres droits : les familles qui n’ont pu faire leur travail de deuil en raison de dispositions drastiques d’organisation des cérémonies funéraires, en application de textes ayant confié des prérogatives spéciales et dérogatoires aux maires, gel du droit d’asile, ou encore le droit des femmes atteint puisque l’accès aux interruptions volontaires de grossesse fut fortement compliqué durant cette période. Plus globalement, les mesures restrictives de libertés ont concerné dix grands domaines listés par le législateur (CSP, art. L 3131-15) mais, au-delà le gouvernement a également été autorisé à légiférer par ordonnance sur des domaines relevant de la compétence du Parlement (par exemple, en matière pénale), ce qui interroge quant au principe de la séparation des pouvoirs et quant à sa portée. Ainsi, alors que la sûreté (qui permet, par définition, de protéger les individus contre l’arbitraire et les emprisonnements injustifiés et qui fait partie des « droits imprescriptibles et naturels de l’homme » visés par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, DDHC) fut, elle aussi, touchée : par exemple, une ordonnance du 25 mars 2020 a prorogé, de plein droit, les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique. Cette disposition a eu pour effet de retenir la solution la moins favorable aux personnes détenues et de « placer leur situation hors du droit  » (J-B Perrier, avocat). A contrario, et contre toute attente, certains droits ont été préservés, puisque les élections municipales ont été maintenues. La liberté individuelle de chacun a donc été (et est encore), impactée mais se pose la question de savoir si les restrictions aux droits et libertés seront bien temporaires. En effet, dans d’autres domaines, des dispositions, à l’origine temporaires, ont été définitivement adoptées (par exemple, des mesures annoncées comme exceptionnelles et limitées, prises durant l’état d’urgence en 2016-2017 en matière de lutte contre le terrorisme ont définitivement intégré le droit commun à la fin de l’état d’urgence). Ne risque-t-on dès lors pas de s’habituer à ces mesures exceptionnelles, restrictives des droits fondamentaux et des libertés, prises pendant la crise de la Covid 2019 ? Certes, les restrictions ont été justifiées par la consultation d’un conseil scientifique composé de médecins. De même, il existe aussi des garde-fous : tout d’abord, les textes fondateurs de nos droits et libertés comme la DDHC dont certaines institutions garantissent leur respect comme le Conseil Constitutionnel ; un organe régulateur des pouvoirs publics (le Comité Consultatif National d’Ethique) ou encore des contre-pouvoirs non-institutionnels nés de la pression publique et les médias. Pour autant, cette atteinte aux libertés n’est pas sans conséquence. Si ces mesures ont pu avoir un bénéfice sanitaire qui reste à mesurer, elles ont entraîné des revers à prendre en compte : elles ont porté atteinte au corps social, au vivre ensemble (dissolution des liens familiaux, déscolarisation de masse, …). « On vit les uns à côté des autres, voire les uns contre les autres » (Benjamin Pitcho, avocat). Cette situation a aussi exacerbé les violences, notamment intrafamiliales. Mais surtout ces dispositions révèlent la faiblesse de l’engagement citoyen et encourage une certaine passivité. Pour preuve, chaque décision prise par les pouvoirs publics a été assortie d’une pénalisation (amende pour non-respect du confinement) et d’une forme de déresponsabilisation de l’individu (autorisation de sortie à remplir). La vigilance s’impose donc car la dérive autoritaire est facile et rapide et des détournements se sont parfois produits au nom de la sécurité sanitaire (à titre d’exemple, huit États aux États-Unis ont estimé que l’avortement ne faisait pas partie des procédures essentielles ou urgentes pendant la pandémie de Covid-19).

Comment dès lors trouver l’équilibre ?

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19 pose nombre de questions : comment trouver une articulation entre santé publique et respect des droits humains dont l’accès aux soins fait partie ? Comment trouver la juste limite entre l’intérêt collectif (préserver la santé de tous) et l’intérêt individuel (garantir la liberté, de choisir, de faire ou de ne pas faire) ? Comment subordonner les libertés individuelles à d’autres valeurs plus adaptées à la stratégie d’une lutte contre la pandémie ? La réponse est délicate mais peut-être s’agit-il de redonner du sens aux vertus citoyennes : chaque individu étant porteur et garant de l’intérêt collectif, il faut avoir le courage de sortir d’un individualisme facile et rappeler que la Liberté n’est pas l’absence de contraintes et ne peut s’exercer au-delà de celle des autres ; elle implique une grande responsabilité. Si nos sociétés permettent un meilleur épanouissement de la personne, elles ne doivent pas reléguer la solidarité au seul niveau de l’Etat car la Fraternité sinon, en sera sacrifiée. La solidarité s’est certes manifestée durant le confinement du printemps 2020 mais quelles chances a-t-elle de perdurer et de s’inscrire dans une démarche collective et organisée, voire gouvernementale ? N’est-il pas indispensable que chacun ait connaissance des valeurs de la démocratie, que chacun la prenne en charge, la nourrisse de son engagement ? Car la démocratie ne peut vivre si elle ne s’exerce pas. C’est pourquoi, cela impose un effort nécessaire et impératif vers l’éducation et vers l’éveil à la citoyenneté en rappelant et en enseignant les valeurs de la République. Rapporté par Manuel Walls, le propos suivant de Benjamin Franklin doit rester à l’esprit de chacun : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérité ni l’un ni l’autre et finit par perdre les deux ».

Pistes d’évolution à envisager selon le court, moyen ou encore le long terme :

– Mettre à disposition davantage de moyens humains, matériels et d’infrastructures (cliniques privées, hôpitaux militaires…) de façon à alléger les contraintes et préserver indirectement les libertés ;

– Déléguer une partie des décisions aux instances de proximité ;

– Instituer un nouveau mode de saisine directe, par un certain nombre de citoyens, du Conseil constitutionnel ;

– Responsabiliser le citoyen en vue de lui faire davantage confiance ;

– Renforcer l’éducation et les programmes d’éveil à la citoyenneté et aux valeurs de la République.

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