Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Nos relations à la science, à la technique et à la production de biens ont une nouvelle fois été interrogées. Entre pensée magique, capacité infinie et limitation, quels enseignements en tirer ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : SciencesTempsVérités

Problématique

   Notre définition de ce que sont la science, la technique et l’innovation et le positionnement qui leur sont donnés au sein de notre société, tant du point de vue des attentes des citoyens que du point de vue de la priorité que lui confère le politique doivent aujourd’hui être affirmés et partagés.

   La crise que l’humanité a traversée a en effet mis en lumière nombre de contradictions dans notre relation à la science. En voici quelques-unes :

   – les attentes des citoyens envers la science qui devrait être capable de générer presque immédiatement des explications, de la connaissance, des certitudes (en plus de débouchés concrets : vaccins et remèdes). Ces attentes ont révélé une méconnaissance des hésitations, des essais/erreurs, des controverses entre scientifiques, des analyses critiques qui se situent à l’échelle mondiale. Tout ce qui est le propre des démarches scientifiques, habituellement réservé à des cercles restreints de pairs, a été livré au grand public avec les effets médiatiques d’amplification ;

   – la science érigée en outil de compétitivité, illustrée par la « course aux vaccins » alors même que le savoir constitue un bien commun de l’humanité ;

   – la place de la science comme appui à la décision politique n’a jamais été aussi forte et dans le même temps, des décideurs ont propagé nombre de contre-vérités remettant en cause les fondements mêmes du raisonnement scientifique. Des scientifiques se sont même laissé aller à des comportements et des expressions très éloignés de l’éthique de la recherche et de la science. Et les institutions ou instances scientifiques ont montré leurs défaillances et leur incapacité à réguler et à organiser le débat scientifique.

   Quel positionnement, quels objectifs et corrélativement quels moyens nos sociétés doivent-elles donner à la science ?

Analyse actualisée de la situation

   La nécessité du temps long et de la liberté.  Les objectifs que nos sociétés donnent communément à la science, et donc à la recherche, sont : la progression de la connaissance et des savoirs, la compréhension de tous les aspects des réalités physiques et humaines du monde en tant que bien commun de l’humanité, l’amélioration du bien-être de tous grâce aux applications sociétales des recherches.

   Il est aujourd’hui nécessaire de réconcilier ces deux objectifs sans les opposer. Notamment, parce que les grandes innovations, susceptibles de constituer d’importantes avancées pour la société, sont toujours issues de recherches fondamentales, ancrées dans le temps long.

   La science se heurte aujourd’hui à la recherche d’immédiateté de nos sociétés. L’histoire démontre pourtant que les découvertes fondamentales trouvent très souvent une utilité applicative plusieurs dizaines d’années après leur découverte. Le temps long fait aussi apparaître que les vérités et les connaissances d’un moment peuvent être remises en cause par les progrès mêmes de la science. Très peu de vérités peuvent ainsi être considérées comme définitives et immuables.

   Or, l’organisation actuelle de la recherche et de son financement défavorise grandement la recherche fondamentale. Les appels à projets sont pour la plupart thématiques, orientant les réponses attendues. Pourtant l’innovation de rupture ne peut être anticipée. Le financement des projets va très rarement au-delà de trois ans ce qui constitue une durée courte en recherche fondamentale.

   La science, entre bien commun et outil de compétitivité. Le mouvement vers la science ouverte est largement engagé. La science est aujourd’hui mondialisée et collaborative. Mais on attend de la science qu’elle soit également un outil au service de la compétitivité nationale. Les organismes de recherche et les universités doivent transférer leurs résultats vers le monde économique, de préférence vers des entreprises nationales afin d’améliorer leur compétitivité par l’innovation. La science elle-même est intrinsèquement compétitive : en attestent l’adage « publish or perish » ainsi que les classements annuels d’institutions lancées dans des courses aux brevets et aux publications.

   Pour autant, dès lors que l’on s’accord pour dire que la science tend vers l’amélioration du bien-être de tous et le progrès de l’humanité, comment accepter l’existence possible de limitations à l’accès à la science ? Il devient aujourd’hui urgent de définir les modalités pour concilier le nécessaire accès de tous à la connaissance issue de la recherche fondamentale, tout en permettant à des entreprises de transformer ces innovations en produits.

   La place de la science dans la vie de la cité. La crise actuelle a provoqué une remise en cause de la parole scientifique. Nos concitoyens ont pu être perdus face à des paroles scientifiques se contredisant ou face à une parole scientifique s’exprimant librement sans aucune forme d’évaluation par les pairs, habituellement garants d’une parole de qualité.

   Il est aujourd’hui absolument nécessaire de resserrer les liens entre science et société afin de poser la rationalité et la recherche scientifique de la vérité comme ciment de la société face à la montée de l’obscurantisme. Même si cette vérité est provisoire, sans doute – et c’est toute la dynamique de l’histoire des sciences, de ruptures épistémiques et changements de paradigmes qui est ici évoquée ; vérité intersubjective davantage que véritablement objective, assurément, qui passe par une lente et patiente validation « par les pairs » de publications polies par les réécritures et les commentaires de réviseurs agissant en double aveugle ; vérité locale, enfin – car chaque discipline, tout en se réclamant de principes communs, se doit également de déployer sa propre méthodologie de recherche et de validation, tenant compte des particularismes de leur domaine.

Propositions concrètes

   La sérendipité est de mise, il faut ouvrir la science en action à la survenue de ces hasards heureux qui émergent sans crier gare. Il faut protéger les scientifiques et tous celles et ceux qui rendent leur activité de recherche possible, en leur offrant la sérénité de salaires attractifs, de conditions de travail stimulantes, de liberté dans le développement de leurs actions. Qu’ils aient à rendre compte de leur activité, cela va de soi. Que ce compte-rendu soit à effectuer a priori, voilà qui va à l’encontre même de la démarche. A cet égard, les financements portés par le European Research Council (ERC) sont un exemple à suivre et à développer plus largement. Un appel à projets certes, mais sans aucune autre orientation que la recherche de l’excellence. Une sélection qui conduit à un financement de cinq ans suffisant pour constituer une véritable équipe et s’attaquer sereinement à des sujets ambitieux.

   L’existence d’un conseiller scientifique auprès du chef de l’État permettrait d’incarner cette nécessaire place de premier rang de la recherche dans notre société. Sur le modèle du « scientifique en chef » du Québec, dont le rôle est de conseiller l’exécutif sur des sujets de recherche et d’innovation, mais également de promouvoir les carrières scientifiques. Un conseiller scientifique doit être en mesure de mobiliser les bonnes communautés en fonction des sujets et porter cette parole scientifique auprès de nos concitoyens.

   Un renforcement de l’enseignement de l’épistémologie au collège et au lycée. L’école et l’université doivent bien sûr tenir un rôle prépondérant de liant entre la fonction de production des connaissances et la fonction de transmission, par la formation, ou la diffusion des connaissances par les médias. Cela pourrait passer par exemple par un renforcement de l’enseignement de l’épistémologie au collège et au lycée afin que les fondamentaux de la recherche scientifique soient connus de tous et afin de donner aux citoyens les moyens de disposer d’un regard éclairé sur les prises de paroles scientifiques.

Proposition phare : création d’un poste de conseiller scientifique auprès du chef de l’État.

A lire aussi

Le sens de la vie

Il s’agit à mes yeux, d’un sujet fort complexe et ambitieux que l’on pourrait interpréter comme une étude du Sens de la Vie, laquelle n’a cessé de préoccuper l’être humain depuis l’éveil de sa conscience....

Lire la suite
Ethique

Reconsidérer le temps

Avons-nous perdu le temps ? La vacuité de nos emplois du temps, en ces temps de confinement plus ou moins oisif, nous laisse le loisir de nous pencher sur un sujet qui ne concerne ni l’avant...

Lire la suite
Le Temps

Qu’avons-nous appris de cette crise ?

Le temps est un bien précieux ! Le temps est un bien précieux, et le temps « libre », non soumis aux contraintes ordinaires précédentes du travail, est apparu avec un vif intérêt : renouer avec soi-même et...

Lire la suite
Le citoyen, l'état, le monde