Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

La condition du sens

Respectable Loge, Akhétaton, Orient de Angoulême, Région 16 Sud-Ouest

Mots Clefs : CaptationManipulationPenséePouvoirsSensureSoumission

La crise liée à la Covid 19 révèle une crise du sens et l’instrumentalisation de l’information capte les individus qui empêche une pensée libre. Comment et pourquoi ?

Après ébranlement, emballement, contraintes, anxiété liée à cette crise nous nous rendons compte que nous sommes fragiles. Des évidences seraient apparues : nous ne pouvons plus vivre comme avant et l’après est à reconsidérer. Quel après ferait sens ? Mais quelle est cette fameuse interrogation posée à la notion du sens. Un “meilleur” après est assujetti à la valeur que l’on accorde à notre raison d’être et d’exister. Quels sont les pièges et les enjeux ? Regardons nos actions, nos principes qui confèrent à la vie humaine sa valeur. Que voulons-nous ? Les directions prisent développent-elles notre conscience ? Quelle prise a-t-on sur notre évolution ? Les violences faites au corps, qu’elles sont-elles ? Qu’est-ce qui est rationnel ou ne l’est pas ? À chaque grande crise la valeur humaine y est redéfinie. Ladite crise devient révélatrice. On a pu penser que le Corona virus avait placé chacun sur un même pied d’égalité mais, comme ses lointains cousins il attaque les plus fragiles. L’unité collective fait sens si un groupe soudé souhaite et propose un monde de partage cohérent. Où est le coeur ? Le sens d’un futur commun viable qui prend en compte chacun en conscience, dans une solidarité renforçant l’éthique, l’humanisme, la justice sociale, le savoir, les valeurs dans une citoyenneté juste et altruiste. Si l’on veut donner du sens à ces perspectives collectives nous devons les placer en regard de ce qui permet ou ne permet pas ce que l’on nomme sens. Ainsi la condition du sens peut éventuellement nous éclairer. Il nous faudrait pour cela étudier les circonstances, les causes avec lesquelles le bon sens s’exprime et les éléments qui perturbent le bon fonctionnement de notre rapport au temps, à la pensée, à la parole. Identifier, comprendre et débusquer ce qui dans le réel vient le perturber dévoileraient l’espoir d’un meilleur rapport au monde après la crise.

La condition du sens en ces temps de crise :

Le sens questionné ici est l’énergie que communiquent un mot, une expression. La crise du sens, son brouillage est irrémédiablement soumis à l’afflux d’information. Un phénomène pourrait nous intriguer, nous faire réagir : Notre époque repousse continuellement notre rapport au temps jusqu’à ce que nous soyons soumis à lui. Nous sommes sous son emprise quand nous n’avons plus le temps de gérer les évènements de notre pensé, de notre parole. C’est un constat que le poète Bernard Noël a nommé la « sensure » (avec un « s » à la place du « c ») qui exprime la privation de sens et de parole. Mais quelle est précisément cette censure faite au sens ? Regardons comment se comporte le politique, la société libérale et les nouvelles techniques d’informations et nous verrons plus précisément comment ils opèrent pour nous priver du sens d’un meilleur rapport au temps, au langage, à notre pensée qui est la condition du sens. Nous sommes constamment captés mentalement pour nous rendre consommateur, électeurs de tel ou tel programme politique. Nous subissons à notre insu, selon Bernard Noël, une soumission par un abus de langage qui provoquerait une oppression sur la langue, les consciences, les sens et les comportements. Regardons ce qu’on nous vend : du rêve, de la distraction, ce qu’on nous promet : la santé, un monde juste sans inégalité. N’est-ce pas là « la forme la plus subtile du lavage de cerveau » ? « Elle s’opère à l’insu de ses victimes » pour les rendre aveugles et inutiles. Les démocraties libérales se sont rendues expertes en matière de parasitage : pour contrôler il faut donner l’impression que l’on protège. Chaque évènement est chroniqué pour donner le sentiment que l’on a de la prise sur le réel. Les techniques de communications modernes confisquent la mentalité individuelle et les pouvoirs l’ont bien compris. Il y a peu, l’utilisation de la langue écrite supposait un effort de lecture et de réflexion. « Avec les évolutions des techniques de l’information, nos circuits d’expression, le visuel et l’auditif sont captés ; ce qui nous prive d’une plus grande possibilité de travail critique et de réserve », nous dit Bernard Noël. Un seul objectif : nous distraire et « rendre le cerveau disponible » à la consommation. C’est donc bien à l’attention que s’attaque le monde marchand. Le politique lui aussi l’a bien compris : Il utilise l’image pour capter la réflexion en s’adressant à nos pensées pour les soumettre. Les portables accélèrent ce processus par repérage abusif des consommateurs de plus en plus addicts. Cette « sensure » asservit en contrôlant nos capacités, en nous occupant mentalement. Bernard Noël nomme cela « la castration mentale ». Ce qui doit nous inquiéter est que la manipulation et la soumission est gérée par de séduisant appareils dans une immédiateté redoutable. « La captation mentale », autre expression proche nous alerte sur les techniques audio-visuelles dont le but est « la confiscation des individualités afin de rendre docile à ce que voudrait les pouvoirs ».  Ceux qui tirent les ficelles derrière nos écrans s’attaquent ni plus ni moins à nos valeurs pour leurs profits. Les exigences économiques sont celles aussi de l’état qui est à sa solde. Que faire quand la privation de sens à lieu, quand la séparation qu’opère volontairement le politique, les médias et le monde marchand pour nous séparer, nous arracher à la « nature » du temps ? Peut-on conquérir un rapport au temps plus sein pour chacun ? Le corps social est-il définitivement privé de son rapport de « nature » ? La condition du sens est-elle encore appropriable ? Ces questions m’obsèdent. Dans les pages de La Castration mentale en 1997, où Bernard Noël pose la séparation de la culture d’avec le corps social du fait de la soumission du politique à l’économique, il s’interroge sur notre rapport au temps comme condition du sens : « Qu’est-ce que mon temps ? Qu’est-ce qui est mien à l’intérieur du temps ? ». C’est à chacun de s’approprier les évènements en se donnant la possibilité d’une emprise sur sa propre pensé, sur sa parole avant qu’elle ne soit accaparée. Reprendre l’emprise de ce temps suggère une reconquête de ses capacités corporelles, celui du temps qui s’écoule dans nos veines. Garder l’aptitude à éprouver le subjectif aide mentalement, sans être sous l’emprise du temps des chroniques d’autrui qui vous définissent par avance un avant, un pendant et un après. La situation exceptionnelle, la survie, la santé sont devenues un enjeu politique. L’état qui veut la garantir sait bien que cela ne dépend pas uniquement de lui, alors il utilise le mensonge et d’autres stratagèmes pour nous dire qu’il à la main sur la situation. C’est à ces abus que nous devons veiller, à notre impuissance que nous devons faire face. Puisque nous avons vu les limites de nos pouvoirs à garantir la santé, la survie ne devrions-nous pas nous extraire de l’économie puisqu’il qu’il ne s’occupe que du présent et en rien dans l’ordre du vivant ? Pouvons-nous couper ce lien de soumission du politique à l’économie ? Nous ne sommes que de moins en moins des individus doués de parole et si on ne veut pas qu’on nous la confisque, veillons à ce qu’on ne nous la vole pas. Développer et préserver sa mentalité individuelle, en gardant de l’emprise sur son cerveau, sur ses émotions peut nous aider à lutter. Cela demande de faire énormément d’efforts d’attention, de réflexion et de compréhension (et nous en avons ne moins en moins). Nos circuits d’expression captés perdent leur capacité, difficile de résister au rétrécissement de l’espace de la pensée. La problématique est de s’extraire pour être moins disponible à l’envahissement et le refuser pourrait donner de l’appétit à autre chose. Cette crise si brutale et le passage vers l’après que l’on veut plus éthique sera sans doute surprenant car le double langage sera toujours de mise : « une nécessité de protéger et une nécessité d’effacer nos illusions ». Sensiblerie et travail sur l’affect animeront la suite. La défiance est insupportable, oppressante et le culte des médias, de l’information qui nous annoncent toujours le mieux est une torture, une violence sans violence. Serons-nous capables de refuser les attaques sans véhémence faite à notre attention pour ne pas se soumettre ?  Arthur Arnoult, écrit « le comble du génie politique est de faire admettre à l’opprimé la nécessité de son oppression ». Comment assoir sa conscience quand l’illusion a pris sa place ? Le besoin de sens en soi confirme que si l’homme doit chercher à s’échapper d’un enfermement il doit proposer que s’écoule en lui un nouveau sens. Se délivrer de ce qui entrave nécessite que la parole nous appartienne. Aller vers le sens peut convaincre d’un principe : celui d’un retour à la source du langage, à celui de l’intuition, à une pensée pure et libre. Les artistes tentent de s’en convaincre mais ne sont-ils pas eux-mêmes submergés ? Le sens de la liberté d’expression résistera à son dévoiement que si elle fait face au sens de sa médiocrité. Arrêtons de penser que parce que le livre le plus acheté est bon alors que la culture du sens est dans les cœurs, dans l’intimité de chacun. Si le sens se vide en même temps que la culture, elle nous jette aussi le miroir de la résistance. Le but des hommes est souvent farfelu car il croit créer le sens des choses alors que la véritable création est la relation à la chose créée. Doit-on évaluer la quête du sens, de l’être ? Heidegger pense que « la question sur l’être est le questionnement sur cette question ». La communication orchestrée autour de la pandémie capte nos cerveaux qui s’empare d’un sentiment de nécessité absolu : celui de l’État providence qui affirme au plus grand nombre qu’il peut garantir la santé, la survie. Mais le sens de la Vie est-il de se laisser garantir une protection ? Ne vaut-il pas mieux se donner les moyens de résoudre nos plus grandes contradictions, diminuer nos paradoxes pour atteindre l’unité collective ? L’accessibilité du sens fait la condition du sens, sa nécessité réside dans son obtention. Que la pandémie menace les corps c’est un fait mais que les pouvoirs étatiques captent nos cerveaux est un danger encore plus grand. Cela peut sembler arbitraire mais c’est l’exemplarité résistance qui rend contagieuse les réussites de l’après. « La captation mentale » s’opère avec discrétion, ainsi elle dissimule son efficacité. Elle cherche à nous endormir pour contrer notre pessimisme. Notre insatisfaction est donc vitale : elle est la condition du sens.

Quelles réactions face à la « sensure », à « la captation mentale » :

Il nous appartient, nous francs-maçons, d’identifier clairement ce qui perturbe et dégrade le bon fonctionnement de la pensée. Nos études en loge redonnent-elles du sens au présent ? Renouvellent-elles la pensée ? Distinguons-nous réellement nos paradoxes ? La « captation mentale » dont parle Bernard Noël, ces dérives liées aux abus de langage, sont-elles écartées de nos loges ? La censure faite au sens appelée « sensure » aveugle et court-circuite la pensée, l’actualité nous le montre. Nos réactions ne pourraient-elles pas aller vers ce qui dépassionne afin de contrer les haines et le racisme ? Nous qui sommes supposés être éclairés comment aide-t-on à garder de l’emprise, du contrôle, du pouvoir sur son cerveau, sur ses émotions ? La maîtrise des individualités exige l’humilité dans le temple et en dehors du temple. Lutter contre la tyrannie de la communication, réguler les démocraties libérales, limiter le pouvoir des marchés économiques sur les États, repenser le partage aux populations sont des tâches essentielles. Mais pourra-t-on aller jusqu’à réduire la part des dividendes et redistribuer une part des grandes fortunes à l’éducation ? Un travail sur le corps social, le rapport du temps au travail est à mener. J’aimerais qu’il soit discuté de l’introduction du mot « sensure » dans le dictionnaire. L’inflation verbale qui ruine tout échange à l’intérieur d’une collectivité exige de lutter contre les abus de langage ? Déclarons l’Éducation Nationale comme grande cause nationale en péril. Ouvrir des débats sur l’offense faite à la langue, à la tyrannie des images qui « aveuglent plus qu’elles ne montrent » doit être encouragé. Donner un budget subventionnant « le culturel » non-vendant et une réouverture des États généraux de la culture est à envisager car comme il est dit dans la déclaration des droits de la culture : « Un peuple qui abandonne son imaginaire culturel à l’affairisme se condamne à des libertés précaires ».

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