Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

La maladie, la mort, le deuil, la valeur de la vie sont des notions qui ont été bousculées. Comment repenser ces notions en continuité ou en rupture ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : FondamentauxLa mort au cœur de la viePacte destiné au refoulement de la mortPrincipe fondateurRelation à la maladie et à la mort

Nos fondamentaux se sont trouvés chamboulés

   Notre principe fondateur « Ordo ab chaos », ordre ou chaos, s’est lui aussi trouvé chamboulé par cette crise. Si l’ordre et le chaos n’existent que l’un par opposition à l’autre, tous deux ont régné pendant ces derniers mois d’incertitude mais aussi de discipline nationale rigoureuse. Les mesures fermes imposées ont côtoyé les contradictions portées par des déclarations péremptoires répétées. Le cadre légal et réglementaire s’est mis au service de l’imprécision généralisée.

   Nos fondamentaux se sont trouvés ébranlés. Il nous appartient donc d’observer en quoi notre réflexion peut apporter une contribution neutre à l’état des lieux d’une société qui peine à retrouver ses marques. Il s’agira en somme d’un éclairage bienveillant sur les chemins qui s’ouvrent à nous pour consolider les fondations de notre système humaniste et républicain. Memento Mori ![1]

Dans les symboles que nous arborons dans nos rituels, bien des éléments constituent un rappel permanent de cette sentence inéluctable qu’est le terme de la vie, à travers le souvenir de nos sœurs et frères passés à l’Orient ; Nous-mêmes n’avons-nous pas connu des étapes dans notre vie maçonnique qui sont des évocations du renoncement ou des références directes à la mort même ? Dès notre gestation de maçon en devenir, nous sommes confrontés aux images éloquentes des symboles de la vanité de la vie telle que nous la connaissions. Nous nous confrontons à nous-mêmes en réalisant notre testament philosophique. A cet égard, le mot « testament » prend ici tout son sens. Nous pourrions presque en conclure que nul maçon ne peut ignorer que la mort marche non pas dans ses pas, mais à ses côtés, chaque jour.

   Notre relation avec la maladie et la mort a évolué. Si le rapport que nous entretenons avec la mort est un sujet qu’il convient de détailler plus avant, qu’en est-il de notre relation avec la maladie, avec son cortège de vulnérabilité, de douleurs, de doute, d’incertitude, voire de souffrance ?

   Dans une société où nombre de personnes semblent faire plus confiance aux propos tenus sur les forums de l’Internet ou sur les réseaux sociaux qu’en la parole de médecins diplômés et expérimentés, la manière d’intégrer l’ensemble de ces ressentis a donné lieu à de nombreuses polémiques. Lorsqu’une crise sanitaire provoquée par une épidémie se produisait, de la peste justinienne à la grippe occidentale du début XXe siècle dite grippe espagnole, nos ancêtres s’en remettaient avec plus que moins de succès à des croyances populaires et à des demandes d’intercession divine, pour finir par faire preuve de fatalisme voire de résignation. L’absence de connaissances concrètes quant aux modes de déclenchement et de propagation de ces maladies contribuait à conserver une apparence de sérénité. A contrario, dans notre monde saturé par la surinformation, l’incapacité des pouvoirs publics à fournir des explications et des solutions pertinentes, déclenche l’incompréhension, le désarroi et la colère.

   Plutôt que de vivre de façon réellement collective et solidaire cette crise, la première rémission de la propagation épidémique, a provoqué une exacerbation des individualismes. Le nombre de plaintes déposées contre l’État concernant son mode de gestion de la crise à de nombreux niveaux en témoigne. La prudence a cédé le pas à l’exubérance. Nous sommes tellement habitués à recevoir un traitement pour la grande majorité des maladies et maux dont nous pouvons souffrir que l’impuissance admise des pouvoirs sanitaires – si elle nous a en premier lieu paralysés – a fini par entraîner un désordre non sans conséquence quant à la diffusion de la maladie elle-même (gestes barrières non respectés, masques et gants jetés dans les rues ou dans la nature, etc.). Enfants gâtés et blasés face aux progrès de la Médecine, nous n’avons pas accepté de n’être pas satisfaits plus rapidement dans notre envie de voir ce virus disparaître de nos vies. L’ordre et le chaos n’ont pas renoncé à tirer de concert à hue et à dia. La carence en rationalisation dont témoigneront longtemps les communications officielles ou journalistiques, depuis le mois de février 2020 est-elle irréversible ? Quel pourrait être notre rôle, pédagogique, notre devoir, citoyen, notre contribution, humaniste à ce vaste chantier que représente l’entreprise d’un juste retour à la raison ?

   Un autre phénomène symptomatique mis en exergue par les mois passés, réside dans l’irruption soudaine de la mort dans notre quotidien. Si nous avons connu des drames humains provoqués par la fureur des éléments naturels ou le délire de fanatiques, nous les avons vécus comme des événements ponctuels. Lorsqu’on prend en compte l’effet émotionnel et traumatique qu’ils ont provoqué, on réalise à quel point l’annonce quotidienne d’un nombre croissant de décès, non à l’autre bout du monde mais dans notre pays, notre ville, notre rue, parmi nos familles et nos proches, a pu créer une onde de choc considérable. A mesure que le XXe siècle s’éteignait, notre relation à la mort a pris ses distances alors qu’aux heures du primat de la doctrine chrétienne en Occident, il n’était pas envisageable d’affronter la mort sans avoir pris un certain nombre de dispositions. Le spirituel le disputait au matériel auquel le mourant devait finalement déclarer renoncer pour libérer son âme de « toutes les autres choses de ce monde qui sont désirables », les mater alia en latin.

Un pacte destiné à tenir la mort à distance

   Le renoncement est précisément l’illustration même du principe de mort : Or, dans le monde actuel, le fait de renoncer est considéré comme suspect, voire criminel, Il importe avant tout de réussir sa vie et de le faire de façon ostentatoire. Il en va de même pour la mort. La multiplication des contrats-obsèques démontre le souci compulsif de contrôler et d’organiser soi-même ses propres rituels de passage de la vie à la mort. De même, alors que la toilette du corps du défunt était confiée aux familles jusqu’à une époque récente, ce sont désormais des thanatopracteurs qui organisent la prise en charge et la disparition du corps.

   La relégation du défunt : le corps vivant est désormais un objet de culte dans une société du paraître entropique. Les moyens mis en œuvre pour prolonger la vie sur terre en témoignent. A contrario, la dépouille mortelle semble en voie de disparition. La majorité des décès surviennent en milieu hospitalier, donnant lieu à un paradigme qu’il convient de taire : comment le lieu où l’on guérit peut-il aussi être un lieu où la vie trouve son terme ?

   Les lieux mortuaires sont des espaces discrets dans les hôpitaux. Les défunts sont devenus des disparus qui se sont endormis dans un sommeil serein en attendant un éventuel réveil ; en résumé, ils se sont éteints. Aucun de ces termes, pourtant parmi les plus courants dans le vocabulaire de la mort, ne fait référence au corps, aux fonctions vitales neutralisées, à la dégradation inévitable. Aux chapelles ardentes, convois funéraires ostentatoires, cercueils ouverts, inhumations en grandes pompes, ont succédé crémations, cercueils fermés, cérémonies civiles où se mêlent musique populaire et poèmes choisis. Si ces rituels nient quasiment la présence du mort en tant que corps physique, ils sont toutefois restés des marqueurs sociaux dans leur capacité à réunir des groupes plus ou moins importants de personnes. Une version plus détournée encore consiste à organiser de manière de plus en plus systématique des cérémonies nationales d’hommage – les obsèques restant dans le domaine du privé – dès lors qu’un défunt suscite un peu de ferveur populaire. Plutôt qu’accompagner le défunt dans sa vie d’après, on évoque les moments passés, on affiche des diaporamas…

   Un dernier symptôme de cette propension à faire disparaître le corps au plus vite, se retrouve dans la réglementation même des chambres funéraires où les corps ne peuvent accéder par la porte principale, mais par la porte ou le quai de déchargement. Toute l’attention est désormais portée sur ceux qui restent, comme si le cadavre avait été progressivement effacé.

Seule notre conscience de notre finitude nous permet d’en exprimer l’essence

Pouvons-nous tolérer la mise au ban ou la stigmatisation des mourants, des gens malades ou vulnérables pour la tranquillité d’esprit d’un plus grand nombre ? Laisserons-nous le transhumanisme révolutionner nos systèmes de valeur, notre humanisme d’autant plus précieux que seule notre conscience de la finitude de la vie nous permet d’en exprimer l’essence-même ? Si la conscience philosophique et la peur de sa propre mort sont ce qui différencie l’homme de             l’animal, notre rôle n’est-il pas justement de trouver le moyen de rendre ses lettres de noblesse à l’Ars Moriendi, de rendre la vie plus précieuse en soulignant sa fragilité ?

Proposition phare : Ne conviendrait-il pas, au contraire, considérer que même au XIXe siècle, celui qui marche au pas de sa propre mort, en pleine conscience, est le mieux à même de réussir sa vie et de contribuer à améliorer celle des autres ?


[1] Traduction de memento mori : “n’oublie pas que tu es mortel !”

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