Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Comment concilier les aspirations de libertés individuelles avec les nécessités de l’intérêt collectif ?

Respectable Loge, Harmonie, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : Droits individuelsLibertés

La crise du coronavirus met sous pression notre quotidien, notre travail, nos relations sociales. Elle ébranle aussi l’idée de démocratie et de liberté : qui aurait pensé que se promener dans la rue puisse devenir, du jour au lendemain, interdit, passible d’amende ? Plus encore, qui aurait cru qu’une telle mesure soit plébiscitée par un nombre considérable de Français en quête d’autorité, jugée insuffisamment stricte ? En quelques heures, des habitudes et croyances que l’on pensait profondément ancrées ont été renversées. Les impératifs de santé publique ont percuté des principes démocratiques aussi fondamentaux que la liberté d’aller et venir. Nous avons tous constaté des comportements collectifs irrationnels, des paniques, des affrontements dans les supermarchés. Ces incivismes sont difficiles à identifier mais nous savons que l’homme ne naît pas citoyen, il le devient et uniquement lorsqu’il l’aura appris. Encore faut-il que la citoyenneté soit enseignée et que chacun apprenne que le socle en est le respect de l’autre.

Le XXe siècle aura été celui d’un total mépris de la vie humaine, le siècle des guerres mondiales, d’Hiroshima et Nagasaki, des pratiques eugéniques les plus inacceptables, la Shoah et les génocides des arméniens, des Tutsis, et celui des totalitarismes génocidaires noirs, rouges ou jaunes des Staline, Hitler, Mao Tse Toung, Pol Pot et autres qui auront fait près de 200 millions de victimes.

Pour ces dictatures, l’État est Dieu, ou tout au moins l’État est une idole. Devant lui doivent s’incliner tous les individus et toutes les collectivités. Il est le maître des corps et des cerveaux. Il n’y a qu’un droit, celui de l’État, qu’un parti, LE PARTI. L’État commande dans tous les domaines, il ne supporte aucun contrôle et n’admet pas d’opposition. Quiconque formule une critique est un traître, quiconque cherche à se renseigner sur des questions qui ne lui sont pas posées est un espion,

Un milieu qui n’admet aucune liberté de pensée, qui ne tolère aucune initiative, qui impose le conformisme intégral, n’est pas fait pour favoriser l’éclosion des caractères indépendants.

Cette éclosion a pu se faire plus tard, avec les révolutions de 68 : celles contre les États totalitaires, celles contre les pouvoirs de la famille, de la religion, de l’armée. Il fallait que les valeurs traditionnelles fussent déconstruites pour qu’évolue notre société vers plus de libertés individuelles.

D’innombrables allégations encombrent la mémoire de Mai 68, devenu pour certains la source par excellence des pires maux dont souffrirait notre société : hédonisme individualiste, narcissisme consumériste, repli des individus dans la sphère privée, atomisation de la société, censure du politiquement correct, supériorité des droits sur les devoirs, perte des valeurs communes au profit de la protection des minorités, dissolution des repères collectifs, dévalorisation des maîtres et des supérieurs, dispersion des familles, fantasme d’auto refondation de soi, irresponsabilité de masse, hyper-festivité, maladies vénériennes, impératif de jouissance illimitée ; quelle faute n’a-t-on pas fait porter à 1968 ? Y compris celle d’avoir fait s’épanouir le capitalisme : il fallait que les contestataires cassent les valeurs traditionnelles pour que l’on puisse entrer dans l’ère de l’hédonisme. « Jouir sans entrave » est un slogan capitaliste, car le capitalisme fonctionne à la consommation et même à l’hyperconsommation. En somme, les soixante-huitards auraient fait le contraire de ce qu’ils souhaitaient. Croyant se révolter contre la société de consommation, ils en auraient dressé la table.

L’État libéral n’est pas le maître des citoyens, mais leur délégué. Ses décrets ne s’imposent pas en vertu d’une force qui lui est propre, mais en vertu d’une autorité que les individus eux-mêmes lui ont concédée. Il n’a de droits que dans la limite de la délégation qui lui a été conférée. Son rôle se trouve déterminé et limité par un double objet : permettre à l’individu d’utiliser pleinement ses facultés dans un régime de liberté garantie ; remplir exceptionnellement les tâches qui lui sont confiées par les citoyens, en vue d’assurer, avec plus de perfection qu’ils ne le feraient individuellement.

Parmi les libertés individuelles, on peut citer la liberté politique, c’est-à-dire le droit de parler, d’écrire et de voter librement, la liberté religieuse, le droit à la justice, la liberté de la presse, la liberté du travail, la liberté de choisir sa résidence, son patron et son emploi. Les libertés collectives, dont certaines se sont formées vers la fin du XIXème siècle, sont le droit de réunion, le droit d’association, le droit de grève ou de lock-out, le droit syndical, le droit de passer des conventions collectives. Chacune de ces libertés a tendance à abuser et à empiéter sur les autres. La liberté politique peut dégénérer en obstruction et on peut invoquer contre elle la raison d’État ; la liberté de la presse peut entraîner la diffamation des hommes politiques ou des particuliers et des troubles sociaux ; le droit de grève peut amener l’occupation des usines, au détriment du droit de propriété ; le droit d’association peut entraîner le monopole syndical. C’est le rôle de l’État d’intervenir pour s’opposer à ces abus et assurer un juste équilibre entre les différentes formes de la liberté.

Mais, l’indépendance et la liberté de l’individu existent lorsqu’il est pris dans un système de protections collectives. Or cette forme d’équilibre a été profondément remise en question par les crises des années 1970, inconvertibilité du dollar et Fed Funds, celles des années 90, après l’invasion du Koweït, le Krach boursier de 2000, avant celle de 2001 des attentats du 11 septembre, …, la crise des Subprimes de 2008 et aujourd’hui la crise du Coronavirus. La mondialisation, la montée en puissance du « néo-libéralisme » ont imposé que les solidarités collectives soient désormais perçues comme des obstacles qui s’opposent au libre arbitre. Les hommes et les femmes jouissent d’une certaine liberté s’ils sont capables d’avoir une certaine maîtrise sur la conduite de leur vie et qu’ils ne sont pas dans la dépendance – soit la dépendance du besoin, soit la dépendance d’autrui, d’une institution, d’une force sociale. Un individu n’a pas en lui-même, par lui-même, cette capacité d’assurer son indépendance. Il faut qu’il lui soit donné des conditions minimales pour qu’il puisse se conduire comme un sujet responsable de ses actes. Un individu, ça ne tient pas debout tout seul. Il ne suffit pas de proclamer la liberté d’un individu pour qu’elle existe effectivement. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – l’individu citoyen – est le fondement de l’ordre politique.

Mais si on regarde concrètement dans la vie sociale comment sont et vivent les individus en chair et en os, l’évidence est que seule une minorité, jouit effectivement de la possibilité d’être libres. La masse des individus qui constituent le peuple, les petits paysans, les petits artisans, les ouvriers des villes et des campagnes, n’ont absolument rien de commun avec la conception de l’individu inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme.

Conclusion

Depuis un mois, la France découvre, non sans stupeur, la somme des libertés fondamentales susceptibles d’être limitées au titre de l’urgence sanitaire et pour la protection de la santé publique. À ce niveau, l’examen en urgence d’un projet de loi instituant un nouveau régime d’exception – désigné comme « état d’urgence sanitaire » – présente au moins le mérite d’introduire dans le code de la santé publique une liste, plus ou moins précise, des mesures à la disposition des autorités de police.

Nous avons coutume, en France, de nous blâmer nous-mêmes et de tourner en dérision ceux qui nous gouvernent. Il ne faudrait pas que cette liberté de jugement, qui n’est souvent pour nous qu’un jeu de l’esprit, nous fît oublier ce qu’il y a de bon dans nos institutions. Il n’est pas difficile d’imaginer les procédés qui pourraient les améliorer et nous donner la stabilité, et l’autorité politique nécessaires. Pour obtenir ce résultat, il suffit de vouloir. Il n’y a pas de système politique parfait, pas plus qu’il n’y a de système économique sans défaut. L’essentiel est de vivre avec un régime qui soit adapté au temps présent et à la nature profonde de la nation. Ne sacrifions pas, pour des défauts réels, mais auxquels on peut remédier, le bien le plus précieux que nous possédions, la liberté ; ceux mêmes qui critiquent le plus nos institutions n’accepteraient pas d’y renoncer.

La « guerre » livrée par les pouvoirs publics contre cet « ennemi invisible » qu’est le Covid-19 l’a confirmé : liberté de réunion, liberté d’entreprendre, liberté d’aller-et-venir, droit de mener une vie familiale normale, droit à l’instruction, etc., de nombreuses libertés ont déjà été touchées. Une attention particulière doit désormais être accordée aux droits à la protection de la santé et à la libre disposition de soi qui pourraient être au cœur des prochaines batailles. La vigilance reste toutefois de mise. Car l’on aurait bien tort de croire qu’une telle liste épuise l’arsenal des mesures pouvant être ordonnées, à titre collectif ou individuel, sur tout ou partie du territoire français.

C’est donc uniquement au regard des intérêts de la sécurité, et non au regard des sacrifices consentis pour les libertés qu’est appréciée la nécessité de limiter telle ou telle liberté. Dans un tel schéma, la fin (la santé publique) prime clairement sur les moyens (l’atteinte portée aux libertés). Se pose alors la question de savoir où positionner une décision proportionnée qui ne mette pas en danger l’équilibre fragile entre liberté individuelle et nécessité de l’intérêt collectif ?

A lire aussi

Situation de crise et restriction des droits et libertés : jusqu’où et pour quelles limites ?

La crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID 2019, justification de l’état d’urgence sanitaire Cette problématique de la crise sanitaire, née de la pandémie de la COVID 19, n‘est pas tout à fait nouvelle puisqu’elle...

Lire la suite
Le citoyen, l'état, le monde

Liberté-S

En ce début du mois de juillet nous étions quatre à plancher sur LA LIBERTÉ et plus précisément les Libertés. Notre propos n’est pas de discourir sur « La Liberté » mais de rechercher ses manifestations dans...

Lire la suite
Un nouvel Horizon

Approche philosophique de la crise

La période que nous traversons actuellement est pratiquement à nulle autre pareil : sans doute pour la première fois dans l’histoire, tous les êtres humains craignent la même menace, en même temps, et partout dans...

Lire la suite
Humanisme