Respectable Loge, Arago Fraternité, Orient de Paris, Région 12 Paris 2
Mots Clefs : Franc-maçonnerieHumanismeRefondationTranshumanismeLa pandémie du Covid 19 et ses possibles réitérations dans l’avenir viennent rappeler la possible extinction, à court ou moyen terme, de l’essentiel du vivant. Et avec lui de l’humanité tout entière. Selon certains scientifiques, la pandémie du Covid 19 serait une conséquence des modifications de l’ordre naturel sous l’influence de l’humain. La crise du Covid 19 questionne donc brutalement la place de l’humanité dans le monde, ses responsabilités, ses devoirs et ses éventuels droits dans l’ordre de la Nature. Ce qu’elle vient interroger sans détour, au fond, c’est la légitimité de l’Humanisme, ce mouvement philosophique né à la Renaissance qui prétend faire de l’Humain le centre et la valeur de toute chose.
Ce faisant, le Covid 19 vient ébranler dans ses tréfonds la franc-maçonnerie elle-même, qui est l’expression la plus aboutie de l’humanisme. Si l’humanisme et la franc-maçonnerie ne veulent pas sombrer dans cette crise qui est bien plus qu’une crise sanitaire et une crise économique, mais une crise sociétale, philosophique et métaphysique, il leur faut s’interroger sur eux-mêmes, se ressourcer et se redéfinir. Le transhumanisme, sur lequel la franc-maçonnerie réfléchit activement depuis plusieurs années, est une piste possible pour ce ressourcement. Qu’on le souhaite ou qu’on le craigne, le transhumanisme sera l’une des questions majeures des prochaines décennies. Il influera fortement, à l’évidence, l’« Après » Covid 19, sujet du Livre Blanc. Difficile, donc, d’envisager celui-là sans prendre en compte celui-ci.
Une réflexion déjà amorcée par la franc-maçonnerie
Cette contribution s’inscrit dans la continuité des travaux menés par la loge Emanuel Arago Vérité Prime Tout et la loge Arago Fraternité depuis octobre 2013, ainsi que ceux menés par les différentes obédiences maçonniques depuis cette date (liste non exhaustive…) :
– 30 novembre 2013, réunion publique organisée par Grand Orient de France et le Grand Orient de Belgique au temple Arthur Groussier sur le thème « Modification de l’humain – jusqu’où aller trop loin ? »
L’humanisme du transhumanisme
L’article 7 de la déclaration transhumaniste, publiée en 2002, affirme que « Le transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, post humain ou animal. »
La filiation humaniste du transhumanisme remonte au début de la Renaissance avec Pic de la Mirandole. Philosophe italien de seulement 24 ans, Pic de la Mirandole publie en 1486 son ouvrage De la dignité de l’homme. S’appuyant sur un mythe platonicien, il y appelle l’homme à « sculpter sa propre statue » et être « le créateur de soi-même ». Dans l’esprit de Pic de la Mirandole, il n’y a pas de nature humaine qui assigne l’homme à résidence. L’homme est hors nature. C’est lui-même qui définit en se construisant ce qu’il est. Au siècle des Lumières, Condorcet imagine que l’homme sera amené à repousser les limites de la mort : « Serait-il absurde de supposer que l’amélioration de la race humaine soit considérée comme un progrès illimité ? L’homme ne deviendra pas immortel, mais il pourra constamment augmenter le temps entre le moment où il commence à vivre et quand naturellement, sans maladie ou accident, il trouve que sa vie est un fardeau ». Au XXe siècle Jean-Paul Sartre et l’existentialisme reprennent l’idée que l’homme ne se définit pas avant coup, mais par le destin qu’il s’est lui-même construit. Ils avancent ainsi la célèbre formule selon laquelle « l’existence précède l’essence ». Ainsi, le transhumanisme, tout comme l’existentialisme auquel on peut le rattacher, est un humanisme. Mais un humanisme qui pousse jusqu’à son terme ultime sa logique : celui d’un monde sans dieu où l’homme et les créatures issues de l’homme se façonnent elles-mêmes.
Fraternité et transhumanisme
Dans le sens commun et non plus philosophique du terme, l’humanisme est un sentiment de profond respect et de sollicitude pour les hommes entre eux, dans le détail et le quotidien de la vie. Cela a à voir avec la fraternité, chère aux francs-maçons. Le transhumanisme pousse ce sentiment plus loin. Inspiré pour partie par le bouddhisme comme par la pensée d’Emmanuel Kant qui explique que les lois morales s’appliquent non seulement aux êtres humains mais aussi à tous les êtres rationnels, s’il devait un jour s’en découvrir d’autres que les hommes. Le transhumanisme étend la notion de fraternité au-delà de la seule espèce humaine. Il l’étend à toute forme de vie et de conscience. Celle des animaux, mais aussi celle des robots à venir s’ils sont amenés à être doués de conscience. C’est sans doute par ce biais qu’il est le plus en écho avec les préoccupations mises en avant par le Covid 19 et qu’il est une source riche pour un renouvellement et une refondation de l’humanisme.
Laïcité et transhumanisme
« Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres, [la Franc-Maçonnerie] se refuse à toute affirmation dogmatique. Elle attache une importance fondamentale à la Laïcité ». Il en est de même avec le transhumanisme, qui défend une forme de laïcité dans le domaine de la recherche scientifique. D’un point de vue transhumaniste, il est essentiel, en effet, que le scientifique, dans l’exercice de sa fonction de scientifique, repousse dans la sphère privée ses convictions religieuses, philosophiques et politiques personnelles.
Tradition et modernité dans le transhumanisme
Le dialogue de la tradition et de la modernité est au cœur de la Franc-Maçonnerie, qui se définit comme une institution « progressive ». Le long du fil à plomb, la pensée maçonnique fait des allers-retours constants entre la profondeur de la terre et les perspectives infinies de la voute étoilée. A priori, le transhumanisme, appuyé sur la croissance exponentielle des savoirs et des techniques, ouvert sur des ruptures inédites aux conséquences difficilement prévisibles, a peu à voir avec la tradition. A y regarder de plus près, pourtant, ce n’est pas si clair. Le transhumanisme, on l’a vu, assume et travaille sa filiation avec l’humanisme de la Renaissance, qui lui-même s’ancre dans la pensée gréco-romaine. Par ailleurs, quelques transhumanistes s’inscrivent volontiers dans une autre tradition, la tradition bouddhiste, notamment pour ce qui relève de la dualité du corps et de l’esprit. On a pu parler ainsi de « néo-bouddhisme » au sujet du transhumanisme tandis que certains, à la suite de l’intérêt porté par le Dalaï-Lama aux recherches sur l’immortalité, se demandent si le bouddhisme sera la religion intermédiaire avant l’ère transhumaniste.
Le transhumanisme n’est pas sans danger. Mal pensé, mal contrôlé, il peut évoluer en une dystopie mortifère et totalitaire, avec une rupture d’égalité et de dignité entre ceux qui profiteront pleinement des avancées du transhumanisme et ceux qui en resteront à l’écart. Mais il peut aussi offrir les clefs d’un humanisme repensé, capable de se livrer à un aggiornamento salutaire et porteur d’avenir. Pour cela il convient que la Franc-Maçonnerie s’implique davantage dans les débats dont il est porteur et vienne le féconder de sa méthode et de son héritage. C’est là une de ses grandes responsabilités dans l’émergence du monde d’après.
La question sur la refondation de l’humanisme et du transhumanisme doivent devenir bien plus centrale qu’actuellement dans la réflexion de la Franc-Maçonnerie. Une question spécifique sur ces sujets doit revenir chaque année dans les questions à l’étude des loges, donnant une base solide aux Francs-Maçons pour leur permettre de s’engager avec la pertinence et l’acuité nécessaire dans les débats profanes. Au-delà des questions à l’étude des loges la question de la refondation de l’humanisme et du transhumanisme doit être transversale et étayer l’ensemble des réflexions maçonniques, qu’elles soient sociétales ou symbolique. A tire d’exemple, comment penser l’écologie politique sans penser le rapport de l’homme au monde, et donc l’humanisme; comment penser l’étoile flamboyante sans penser l’homme au sein du cosmos et dans le pentagramme.
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