Un nouvel horizon

Kierkegard avait raison en disant: « la vie doit être vécue en regardant l’avenir, mais elle ne peut être comprise qu’en se retournant vers le passé», sauf que cette compréhension ne peut advenir qu’avec un certain recul par rapport aux événements eux-mêmes.

De sorte qu’il nous a paru nécessaire de jeter un regard le plus objectif possible sur cette crise sanitaire qui, sans nul doute, laissera des traces non seulement dans la chair de ceux qui en auront été affectés mais aussi dans les esprits en raison du festival d’incertitudes qu’elle nous apporte.

La crise a révélé, en effet, notre fragilité devant l’imprévisible et mis en évidence les déséquilibres patents sur lesquels reposent nos institutions démocratiques, d’où l’impérieuse nécessité de mettre de la cohérence, de l’harmonie dans la vision des hommes et des choses, bref, la pandémie nous a appris qu’il est temps de prendre conscience de l’infini fragilité de l’échafaudage sur lequel nous nous tenons.

Comme la vie à l’aube de son commencement, la moitié de l’humanité s’est confinée pour se protéger d’un risque de désordre inédit qui la menace à travers cette pandémie.Peut-être notre soupe aujourd’hui, est-elle moins primitive qu’à l’aube du vivant, mais connaît-elle un désordre comparable? Nous ne pouvons pas ne pas comprendre que cette répétition à plus de trois milliards d’années de distance, ne soit pas une invitation à se concerter et à faire le bilan de nos actions.

Le Franc Maçon médite sur les deux colonnes car on ne peut prendre de la hauteur qu’en s’appuyant sur deux colonnes, en s’appuyant sur deux colonnes qui s’équilibrent. L’emblème de Montaigne était une balance, c’était aussi un symbole.

La première colonne est symbole de force créatrice.

Comment donc s’accorder sur des projets communs tout en respectant la singularité des positions de chacun? Par quel moyen déclencher, dans le climat de passivité actuel, un grand réveil, une nouvelle renaissance? Est-il étonnant que la demande de justice et d’égalité resurgisse avec force aujourd’hui?

A l’heure où tout est bruit, fureur, courses folles, compétition et frénésie, tout fait écran entre l’être que nous sommes et l’homme auquel nous, F:. M:., aspirons à devenir.

Pour l’instant, c’est l’incertitude qui définit l’horizon immédiat avec des défis rendus encore plus complexes en raison d’une remise à nu des puissances de chaos qui hantent toujours les structures dominantes imbues d’elles-mêmes.

Et si ce noyau d’incertitudes pouvait devenir en fait le capital le plus précieux pour avancer!

Ne serait-ce pas à partir de lui que pourrait se constituer une véritable écoute de l’autre, une écoute de la disparité , de la singularité, de la marginalité qui ne relèverait pas seulement d’un impératif de tolérance et de fraternité, mais pourrait aussi ouvrir de nouvelles lignes de fuite créatives.

Certes la pandémie au plus fort de la crise a mis en évidence la capacité des personnels soignants de faire face à l’urgence, mais les seules capacités communes qui se soient portées à la hauteur du virus sont celles des collectifs qui se sont démenés pour aider, prendre soin, secourir.

Gérer dans l’urgence à partir des situations plus qu’à partir des prescriptions communément admises, ce serait prendre le risque d’agir à priori, sans le respect total des règles et découvrir que l’on peut s’accorder mutuellement le droit à l’erreur et rectifier le tir au vu des effets produits.

La situation dramatique de certains EPAH nous oblige par ailleurs à reconsidérer notre rapport au «grand âge» et puisque la vie consciente est l’art de la décision, il paraît à l’évidence que c’est la culture du soin qu’il conviendrait de penser collectivement, une culture qui ne pourra se développer en l’absence de considération des métiers du soin. Cela engage un autre apprentissage celui de la capacité collective d’analyse et des capacités individuelles à affronter la discussion, affrontement pris dans son sens noble puisqu’il implique un risque autrement grave et sérieux, mais aussi une vertu infiniment féconde, dès lors qu’il postule l’espoir de se transformer les uns les autres, les uns par les autres.

Est-il permis de «croire» encore à un monde où comme le dit Jacques Attali excellerait «la modernité de l’altruisme», où naîtrait la conviction que notre bonheur dépend aussi et même avant tout de celui des autres et pourrait nous conduire vers le souci du collectif.

L’hypothèse n’est pas tout à fait utopique, la biologie contemporaine, montre notamment combien nos intérêts à la fraternité augmentent au fur et à mesure que le monde devient de plus en plus complexe.

Ce désir de solidarité, ce souci primordial, de considérer comme un frère un aventurier de l’esprit, tout cela appartient déjà à la Franc Maçonnerie opérative et la grandeur de l’Ordre a sa source dans la volonté ferme de ses membres de demeurer opératifs, c’est à dire de ne pas séparer la pensée de l’action. Il existe une phrase merveilleuse de Thucydide: «il faut choisir: se reposer ou être libre», Et Périclès dit aux Athéniens: «Si vous voulez être libre il faut travailler» les Francs-Maçons n’aspirent pas au repos.

La seconde colonne est celle de la Sagesse

Aristote affirme: « L’homme est un animal qui désire le savoir», les derniers événements nous conduisent à penser que l’homme est un animal qui désire avant tout la croyance, qui désire la certitude d’une croyance. D’où cet irréductible désir de se libérer dans tous les sens du terme des contraintes de la socialisation des individus. Une telle défiance vis à vis des institutions est révélatrice de quelque chose qui se passe dans «l’inconscient collectif», il nous semble qu’il est impératif d’écouter cet inconscient-là surtout parce qu’il peut se révéler demain aussi dangereux que les pratiques qu’il dénonce.

L’aspect positif de la pandémie, c’est qu’elle donne l’occasion à nos gouvernants de tirer certaines conséquences des découvertes scientifiques sur la production, le travail, l’emploi, mettre en place de nouveaux types d’organisation sociale.

Mais il serait hasardeux de considérer que la Vérité scientifique englobe toute la vérité et si les savants et les chercheurs sont les seuls à chercher et à trouver, ne serait-il pas vain que le Franc-Maçon continue de chercher ? La réponse est non puisque le premier souci du Franc-Maçon ‘est de maintenir la Vérité au ras de l’homme moyen.

Nous constatons que la technologie a l’efficacité pour seule valeur, c’est sa nature. De ce fait si nous en attendons autre chose, il faut le lui imposer et donc forcément la restreindre, ainsi le réseau internet est présenté comme délivrant des vertus cardinales du fait de son universalité. On pourrait croire à une démocratie nouvelle puisqu’on a remplacé fraternité par convivialité, égalité par transparence et liberté par accès au réseau, mais hélas, la crise sanitaire a révélé, à ce jour, l’incapacité du pouvoir politique et des «experts» à sortir de l’idéalisme de la croissance et à penser la réalité qui nous attend,

La vérité c’est que nous n’avons pas la moindre idée de la façon dont va évoluer cette étrange nouvelle réalité que nous découvrons tous.