Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Superposition

Respectable Loge, Équinoxes, Orient de Saint-Mandé, Région 7 Ile de France

Mots Clefs : Archipélisation

La société française est actuellement confrontée, comme bon nombre de pays occidentaux, à une superposition de crises qu’elles soient sociales, économiques, sécuritaires ou sanitaires. 

Cette situation est si inédite par son ampleur comme par son intensité, qu’elle engendre de multiples maux, qui traversent la République Française en la fragilisant au point de catalyser le phénomène déjà sous-jacent « d’archipélisation » de ses acteurs sociaux, qui tend à la fracturer en communautés alternatives, venant progressivement contester et concurrencer notre modèle étatique.

La crise sociétale que nous traversons ainsi et pour nous francs-maçons du Grand Orient de France une véritable gageure pour la dépasser et entrevoir à travers nos principes fondamentaux, inscrits dans le triptyque républicain liberté-égalité-fraternité, de nouvelles perspectives pour tenter comme l’ont fait en d’autres temps nos prédécesseurs, de se confronter pleinement à ces nouveaux enjeux.

La crise sanitaire actuelle liée à la Covid-19 nous apparaît tout autant comme une problématique sanitaire à traiter en elle-même, que comme un révélateur des très fortes inégalités sociales qui traversent notre pays et le fissurent progressivement depuis une trentaine d’années.

Cette pandémie arrive ainsi dans un climat de fortes tensions et de forte précarisation sociale qui avaient en partie suscité le mouvement des gilets jaunes.

Car déjà cette réappropriation citoyenne de revendications populaires, au-delà de tous faits condamnables de violence, pointait déjà du doigt les difficultés rencontrés par nos concitoyens les plus fragiles.

La première d’entre elles est liée aux inégalités sociales elles-mêmes qui alors que le France ne cesse de produire toujours plus de richesses malgré une croissance atone, ne permet plus pour autant et malgré des efforts de redistribution quasi inégalés dans le monde, de combler la paupérisation constante des couches les plus populaires de notre société.

Au travers de ce mouvement, il s’agissait aussi au-delà des expressions et revendications socio-économiques de mettre en évidence une autre faillite des politiques publiques de notre développement actuelles. Depuis deux décennies ces dernières n’ont cessé de vider de leur substance vitale les territoires ruraux et péri-urbains au profit du renforcement de le métropolisation.

Cela a conduit mécaniquement à bien des endroits à laisser une part importante de nos concitoyens sans ressources en termes de perspectives économique et plus généralement au niveau de l’accès aux services publics (transports, santé, éducation, justice, etc.).

De ce constat d’isolement et d’abandon on ne peut que constater en corollaire la montée en puissance des idéologies extrémistes au sein de cet électorat populaire de plus en plus marginalisé.

Face cette nouvelle donne politique les forces traditionnellement progressistes de la République ont quant à elles jouer aussi parfois un rôle ambigu. Plutôt que de penser la mondialisation et d’organiser la société afin que les plus éloignés des centres décisionnels puissent également en tirer bénéfice, ils ont préféré pour une large part d’entre eux renoncer à la reconquête des esprits populaires pour les laisser aux forces nationalistes.

Depuis une vingtaine d’années l’errance de ses forces jadis progressistes, sociales et laïques se sont focalisées en partie sur de nouvelles clientèles électorales représentant à leurs yeux, les nouveaux damnés de la terre à défendre et représenter.

En rupture avec une vision économique et sociale du marxiste, ils se sont perdus pour certains dans un populisme dangereux à l’égard de certaines minorités religieuses, flirtant parfois avec la ligne rouge de ce qui constitue les fondements mêmes de notre République sensée être une et indivisible.

Si dans le cadre de l’archipélisation en cours de la France, la moitié de la population vivant en zone périurbaine avaient déjà dangereusement dérivé des épicentres socio-économiques du pays, avec ce second mouvement fait de lâcheté, d’opportunité ou de renoncement des valeurs qui devraient nous animées, c’est aussi une large part des « banlieues » qui continuent progressivement de dériver vers une mise en danger de notre « vivre-ensemble ».

Mais même si pour des raisons sociologiques les mouvements des « banlieues »  et ceux des « péri-urbains » sont différents dans leur structure et leurs aspirations, désormais ce sont aussi nombre de nos concitoyens plus au centre des métropoles qui sont touchés à leur tour par les maux du temps.

Au cœur même des villes la classe moyenne également s’interroge, et elle aussi doute de son avenir et de celui de ses enfants ; l’idéal républicain n’est plus pour beaucoup qu’un concept abstrait, sans chair ni incarnation.

La société de consommation a progressivement constitué un palliatif au sens donné à l’existence en particulier depuis la fin des grands clivages idéologiques de la toute fin du XXe siècle et globalisation n’a fait qu’accélérer le processus de délitement. 

Doutant à leur tour que le futur puisse leur offrir la pleine possibilité de leur épanouissement individuel comme de l’émancipation de tous, les conséquences de leur perte de confiance dans l’avenir et dans leurs dirigeants sont lourdes pour le pays ;  soit ils se distancent de la vie civique et renoncent aux urnes, soit ils s’y maintiennent mais sans véritablement illusions sur d’hypothétiques « lendemains qui chantent ».

Souvent résignés, ils sont aussi cette classe moyenne qui aujourd’hui doute d’elle-même et se demande dans un contexte de chevauchement des crises, comment ils pourront demain avoir la garantie que la vie de leurs enfants sera meilleure que la leur, comme leurs propres parents l’avaient plus sereinement envisagée pour eux-mêmes.

La gravité de la crise climatique qui s’annonce pour le siècle à venir n’est sans doute pas étranger à ce sentiment diffus de perte de confiance dans la capacité de notre État-providence assurer et pérenniser un modèle de solidarité sur lequel repose pourtant tout notre édifice social.

A ces doutes et ces zones de fractures, s’ajoute aussi une rupture générationnelle. Les « jeunes », à leur tour semblent touchés par la défiance vis-à-vis des promesses républicaines d’antan, qui ne leur apparaissent plus aujourd’hui aussi attractives que d’autres formes d’organisations sociales d’inspiration anglo-saxonne, tout à la fois plus individualiste et plus communautariste.

Ainsi, sans évoquer ici les menaces exogènes sécuritaires comme endogènes qui pèsent structurellement désormais sur nos modes de vie et notre Culture issue des Lumières, toutes les brèches évoquées précédemment (fracture sociale, fracture sociale, fracture culturelle, fracture générationnelle, etc.) constituent autant de butoirs qui viennent éroder peu à peu les idéaux laïcs, humanistes et universalistes.

Dans ce contexte difficile, il nous semble parfois que les francs-maçons du Grand Orient de France se sont peut-être quelque peu assoupis et installés dans le confort des temples et de l’entre-soi.

Parfois se faisant plus les commentateurs de la vie publique que les contributeurs proactifs en étant source de propositions innovantes dans le débat public comme cela a pu être le cas encore au siècle précédent, l’urgence des temps nous oblige désormais (de la crise actuelle nous devons pouvoir en percevoir aussi l’opportunité) être de nouveau, les hussards d’une République à régénérer pour que perdurent nos idéaux et l’organisation de notre modèle de solidarités.

C’est la raison pour laquelle, truelle en main, il est désormais impératif de travailler à casser la dynamique d’anomie qui s’installe dans notre société et de produire de nouveau une pensée qui pourra se transformer en action, utile à tous et intégrant nos principes ; car nos vérités acquises doivent sortir des temples et que l’une des tâches essentielles de tout maçon est de réunir ce qui semble aujourd’hui être de plus en plus épars.

Devant ce constat d’une société sclérosée et qui avance de plus en plus à plusieurs vitesses en fonction que l’on soit « puissant ou misérable » pour paraphraser Lafontaine, il nous paraît capital d’insister notamment sur plusieurs chantiers fondamentaux pour ré-enchanter l’idéal républicain.

Le premier d’entre-eux est sans doute le plus vaste et le plus ardu de tous ; redonner à tous nos concitoyens l’envie se réinscrire dans notre vie sociale commune, comme dans la vie démocratique du pays, en proposant un nouveau pacte républicain dont la promesse sincère serait que chacun puisse trouver pleinement une place digne dans notre société.

Le socle de ce premier principe trouve sans doute son incarnation la plus forte dans l’éducation et dans l’école.

Au-delà des considérations partisanes, c’est bien à travers cette institution centrale que chacun pourra au moment de l’âge adulte atteint, par son mérite acquérir la capacité à pleinement s’insérer dans le monde professionnel pour pouvoir vivre de manière émancipée est autonome, mais aussi acquérir et adhérer sans retenue aux valeurs humanistes que l’éducation leur aura enseignée.

Aujourd’hui, force est de constater que l’école publique joue de moins en moins ce rôle, y compris pour des classes moyennes qui préfèrent désormais s’en détourner afin d’assurer le plus de chances possibles d’insertion sociale à leurs enfants. Les enseignants eux-mêmes sont parfois les plus prompts à choisir pour leurs propres enfants d’autres espaces d’épanouissement que ceux offerts par l’école publique.

Pour revaloriser l’école, elle doit être repensée et ne plus être simplement une institution au service d’un nivellement par le bas afin d’assurer une artificielle massification du suivi scolaire.

Elle doit redevenir le projet des hussards noirs de la République du siècle derniers qui en faisait le fer de lance et la colonne vertébrale de notre société, à travers son exigence et ses principes méritocratiques. 

A trop vouloir s’adapter à tous, en renonçant à l’autorité légitime qu’elle représente, elle ne peut qu’à terme renforcer le relativisme des exigences.

Il n’y a pas si longtemps dans notre pays, des enfants de paysans ou d’ouvriers repérés par leurs instituteurs, étaient eux aussi capables d’atteindre des filières d’excellence ; l’école doit donc sans doute être repensée pour rejouer pleinement son rôle de correcteur de la reproduction sociale, par laquelle on cantonne aujourd’hui plus que par le passé, nos jeunes concitoyens à leurs classes sociales d’origine. 

Les valeurs que nous défendons doivent se traduire par des réflexions fortes dans cette « société d’après » afin lutter contre ces phénomènes d’assignation, qu’ils soient territoriaux ou sociaux.

Mais au-delà de la formation même et de l’accès à la citoyenneté par l’éducation, le second chantier auxquels nous devrions nous atteler avec force concerne la capacité de chacun à vivre de son travail.

Depuis trop d’années la précarisation des emplois et libéralisation du monde économique empêchent bon nombre de nos contemporains de se projeter sereinement dans la vie sociale comme dans leur avenir personnel.  Comment fonder une famille, investir pour construire le futur, quand les lendemains professionnels demeurent plus qu’incertains.

S’il convient de repenser la notion même de travail, celle-ci est une notion qui nous est chère, et il est aussi de notre responsabilité de maçons de mettre en avant des propositions nouvelles pour que tous puissent s’y épanouir à la mesure de leurs efforts et en fonction de leur statut de travailleur.

C’est la raison pour laquelle le Grand Orient devrait à son tour s’emparer fortement de ces thématiques, pour repenser les cadres sociaux professionnels à l’heure du libéralisme, de l’auto-entreprenariat, de la nécessité de la formation tout au long de la vie et de la fin des carrières linéaires au sein d’entreprises paternalistes comme le XXème siècle a pu les connaitre.

La mondialisation a bouleversé le rapport au travail comme au salariat et la crise endémique actuelle incite à de plus amples réflexions également autour de l’organisation et de l’encadrement du travail présentiel comme du télétravail.

Par ailleurs, comme le montre la pandémie actuelle, la solidarité de tous est capitale afin de mutualiser nos moyens et permettre à l’État de jouer pleinement son rôle de redistributeur des ressources et de planificateur des services publics.

Mais encore faut-il que la fiscalité soit juste pour qu’elle suscite l’adhésion de tous et que par ailleurs l’état-providence soit aussi capable d’être un état stratège qui anticipe les crises au moins autant qu’il ne tente de les gérer.

L’hôpital public a longtemps été l’un des fleurons de notre protection sanitaire. Au-delà des problématiques budgétaires et de son financement, la crise actuelle montre aussi les limites de la suradministration du secteur de la santé.

Et en cela la Covid-19 aura mis en évidence, cet écueil comme bien d’autres ; notamment le fait qu’il devient indispensable de mettre une place une meilleure coordination entre les moyens de l’État et ses partenaires ; collectivités territoriales, acteurs de l’économie sociale et solidaire, ou encore acteurs associatifs.

Nos réflexions à ce jour se sont principalement centrées sur la France et son modèle social, mais les maçons que nous sommes se sentent également très attachés à la dimension européenne de nos organisations politiques. En la matière, l’Europe est elle aussi fracturée entre Brexit et incapacité à gérer communautairement la crise sanitaire comme la crise sécuritaire.

Dans ce « monde d’après », les défis sont majeurs et les enjeux immenses, à nous francs-maçons de faire notre part sur ces chantiers, en apportant plus que jamais nos réflexions et nos contributions.

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