Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Reprendre les apports du Solidarisme

Respectable Loge, Saint Jean de Tours, Orient de Tours, Région 5 Centre

Mots Clefs : Solidarisme

La présente contribution au Livre Blanc s’inscrit dans sa 3ème partie – Un nouvel Horizon – et plus précisément selon la 2ème « question possible » : de quoi sommes-nous riches ? En effet, face à la crise multiforme provoquée par la pandémie Covid 19, le GODF dispose de l’atout majeur que constitue l’œuvre de Léon Bourgeois, l’un de ses membres historiquement les plus éminents.

Annonce

Léon Bourgeois, né en 1851 et mort en 1925, fut Préfet du Tarn en 1882, député radical en 1888, ministre à des postes clefs – Intérieur, Affaires étrangères, Instruction publique, Travail et prévoyance – pendant plus de 25 ans, président du Conseil des ministres en 1895, président de la Chambre des députés entre 1902 et 1904, président du Sénat de 1920 à 1923, président du premier Conseil de la Société des Nations en 1920, prix Nobel de la paix en 1920 également. Pressenti fin 1912/1913 pour être président de la République, il refusa pour raison de santé alors qu’il avait de réelles chances d’être élu. Il laissa la place à Poincaré, ce qui ne fut pas sans conséquences : des historiens pensent que si Léon Bourgeois avait été Président de la République en 1914, l’engrenage qui conduisit au déclenchement de la Grande Guerre n’aurait certainement pas si « bien » fonctionné…

Sur le plan maçonnique, il est initié à la loge la Sincérité, orient de Reims, le 15 juillet 1882, alors qu’il est sous-préfet. Il rejoint la loge la Bienfaisance, à Châlons-sur-Marne, à partir de juillet 1894. Son engagement maçonnique est réellement au service de la République, en faveur du vote de lois de progrès social. Dans son gouvernement en 1895, il y a six francs-maçons. Son engagement maçonnique passera jusqu’au plan international. Il a été établi que c’est notamment grâce à son travail avec le vingt-huitième président des États-Unis, Woodrow Wilson, autre franc-maçon, que réussit le projet de création de la Société des Nations afin d’éviter le retour des guerres. Dans son discours de récipiendaire du prix Nobel de la paix, il déclare : « La plus grande révolution de l’histoire n’est-elle pas celle qui a permis à la raison de considérer vraiment l’humanité tout entière comme sujet du droit et de reconnaître le titre d’homme à tous les humains ? Tous les hommes égaux en droits et en devoirs, solidaires du sort de l’humanité, quel rêve. » C’est l’anticipation de la Déclaration Universelle de 1948.

Sa principale œuvre écrite a été publiée en 1896 sous le titre Solidarité, chez Armand Colin. Elle est désormais dans le domaine public, aisément trouvable sur Internet et téléchargeable.  On peut la résumer selon les trois principes Savoir, Comprendre, Agir : Savoir avec le recours à la science ; Comprendre avec l’étude de la morale et du droit ; Agir avec la plus grande liberté partagée.

Savoir : Léon Bourgeois fonde le solidarisme sur une vision objective et scientifique de la réalité. Tout en suivant pleinement Darwin, il réfute la véritable trahison de la théorie de Darwin que constitue le prétendu « darwinisme social ». Pour Léon Bourgeois comme pour Darwin, la survie des espèces et des individus dépend tout autant de leur capacité à coopérer avec les autres espèces et/ou individus. Léon Bourgeois anticipe en quelque sorte la Théorie générale des systèmes qui met en lumière l’importance primordiale des interactions et des mécanismes de régulation, d’une part, ainsi que, d’autre part, les énoncés de la science écologique. Pour lui, l’individualisme et la compétition ultra libérale éliminatrice des emplois ne peuvent aboutir qu’à des catastrophes.

Comprendre : le savoir scientifique ne suffit pas. Il faut vouloir le bien à partir du vrai. C’est la conclusion du premier chapitre de Solidarité : « Le bien ne peut être réalisé que par le vrai, mais le vrai n’a de prix que pour la réalisation du bien. La réalisation du bien – c’est-à-dire la satisfaction du sentiment moral – dans les conditions du vrai – c’est-à- dire avec l’approbation de la raison – : l’équation est ainsi définitivement posée. La doctrine de la solidarité en donne-t-elle la solution ? » Léon Bourgeois veut faire comprendre en quoi « l’étude de la morale » (cf. la constitution du GODF) est absolument nécessaire sur le plan politique et républicain pour réaliser le bien commun. Ce qu’il faut donc absolument comprendre est que le cynisme, la pensée égocentrique en dehors de la conscience solidaire, est une grave erreur de la « raison pratique ».

Agir : Ce que propose Léon Bourgeois est d’aboutir aux conditions maximales d’exercice de la liberté pour tous et toutes. Ces conditions impliquent pour lui la création d’institutions protectrices des conditions réelles de la liberté la plus universellement partagée. Donc l’établissement de lois de protection sociale afin que même les plus pauvres disposent des conditions matérielles permettant l’exercice de tous leurs droits en tant qu’êtres humains. Les lois sociales que postulent Léon Bourgeois anticipent les recherches théoriques plus modernes, par exemple (liste non limitative) celle du vrai « libéral » John Rawls (La Théorie de la Justice ) ou celles d’un Abraham Maslow avec sa fameuse « pyramide des besoins ».

Situation

Ce qui a « éteint » la proposition solidariste a d’abord été la violence sanglante des deux Guerres Mondiales se soldant après 1945 par le gel en deux blocs du conflit entre libéralisme et communisme. Cependant, c’est bien la pensée solidariste qui a discrètement inspiré 1/ la création de l’ONU et la déclaration universelle des Droits de l’Homme ; 2/ l’essentiel du « programme de la Résistance » ainsi que l’organisation des « Etats-Providence » lors des « Trente Glorieuses » en Europe occidentale. La véritable défaite du solidarisme n’est survenue en fait qu’à la chute du mur de Berlin en 1989, lorsque la fin des régimes léninistes a laissé libre cours au présumé « Consensus de Washington » laissant libre cours à la « dérégulation », la « privatisation », la marchandisation du maximum de  services publics et de biens naturels, selon les préceptes ultra-libéraux de Reagan et Thatcher.

Depuis 1989 et les « années-fric », il est clair que la planète « va dans le mur » : d’une part, avec le retour de l’augmentation des inégalités et la multiplication des crises financières ; d’autre part, l’incapacité d’harmoniser la production économique avec les exigences de la science écologique progressant rapidement : épuisement des ressources naturelles, pollutions massives avec effets mesurables sur le climat et la santé des populations, réduction inquiétante de la biodiversité, etc. Déjà, le « club de Rome » avait alerté en 1972 sur la « croissance », mais l’absence de proposition concrète pour un meilleur partage de la richesse l’avait rendu inaudible dans les « pays en voie de développement ».

Aujourd’hui, avec une pandémie impactant brutalement les échanges commerciaux, les systèmes de transport et l’organisation même du travail, la conception solidariste se légitime contre la conception « libérale/marchande », à la fois sur le plan scientifique, le plan juridique et moral, le plan philosophique et spirituel. Cependant, elle doit être actualisée tout en acceptant, du fait même de sa scientificité, la réfutabilité de ses propositions suite aux progrès de la recherche objective, éthique et philosophique.

Propositions

« Institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive » le GODF et ses loges n’ont à rivaliser, ni avec les institutions publiques ou privées vouées à la recherche scientifique, ni avec les partis politiques en charge de l’élaboration de programmes de gouvernement soumis à l’approbation citoyenne. L’idée même de solidarisme implique d’ailleurs un tel nombre de champs de recherche et de réflexion – scientifique, juridique, morale, philosophique, qu’il serait vain de vouloir réécrire en l’actualisant son ouvrage Solidarité. Il en est pour Léon Bourgeois comme pour Jean Jaurès dont la pensée philosophique demeure inclassable en raison de tout ce qu’elle suggère à partir d’elle.

La vocation du GODF est initiatique, voulant « ouvrir » la pensée et le « cœur » sur des chemins où doit s’exprimer, au delà de toute doctrine arrêtée, une absolue liberté de conscience. Or, selon Léon Bourgeois, la liberté augmente avec la capacité de créer des liens de solidarité. C’est en fait le symbole de la chaine d’union jamais refermée. Dans cet esprit, voici un ensemble non limitatif de propositions praticables dans la crise actuelle avec les isolements et confinements qu’elle impose :

1/ Création sur Internet par le GODF d’un site mémoriel consacré à la vie et l’œuvre de Léon Bourgeois. C’est « basiquement » un hommage à lui rendre, et le moyen de faire en sorte que les francs-maçons du GODF ne puissent plus l’ignorer. Ce site en accès libre serait ouvert à toute contribution, même « profane », à la pensée et à l’œuvre de Léon Bourgeois.

2/ Modifier, parmi les questions mises à l’Etude des loges, par exemple l’intitulé de la question D sur la « paix et les droits de l’Homme ». Même s’il est « sympa », cet intitulé n’est ni assez cohérent, ni suffisamment ouvert. On pourrait dire encore plus conformément à la tradition du GODF : « Recherche pour une conscience et une pratique de la Solidarité ». Intitulé sans doute à revoir, quoique « pratique de la solidarité » figure bien dans l’article 1 de la Constitution du GODF.

L’idée principale serait de donner à étudier chaque année, non des notions « baratinables » (comme c’est arrivé parfois) mais des propositions ou réflexions toujours sur des sujets concrets impliquant la notion de Solidarité, ce que la question D a réussi à plusieurs reprises dans l’esprit de Léon Bourgeois, avec d’excellentes formulations comme en 2010/2011 ; 2014/2015 ; 2015/2016 ; 2018 /2019.

3/  Créer, en le dotant d’un montant non symbolique et d’un engagement de diffusion conséquente des travaux récompensés parmi les membres du GODF, un prix ou label Léon Bourgeois-GODF afin de récompenser, d’un côté des travaux universitaires ou des publications scientifiques et théoriques se situant en continuité avec la pensée solidariste ; de l’autre côté, des expériences ou des actions exemplaires en solidarité, ce qui impliquerait A/ la constitution d’un jury « de référence » (tirage au sort parmi les V.M. en chaire ?)  B/ l’intervention ès-qualités de la Fondation du GODF

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