Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Pourquoi et comment prendre son temps ?

Respectable Loge, Amour et Liberté, Orient de Thionville, Région 4 Champagne - Ardenne - Alsace - Lorraine et Loges d'Allemagne

Mots Clefs : Prendre son temps sans le perdre

Le temps au sommet de la pyramide des besoins

La question : « Pourquoi et comment prendre son temps ? » est posée par notre obédience, dans le cadre d’un livre blanc consacré à l’après. Durant cette longue et inédite période de confinement puis de déconfinement, le temps s’est figé à différents degrés pour chacun.

L’immense majorité d’entre nous place le temps en haut de la pyramide des besoins. Nous avons en effet peur de la fin de notre temps.  La mort conditionne ce temps. Rien ne semble donc plus précieux. Offrir de son temps est un don d’une valeur inestimable. Il n’est en effet pas remboursable mais s’échange la plupart du temps contre une rémunération : le salaire.

Dans la question posée, on remarque l’utilisation -d’ailleurs très courante- d’un adjectif possessif, ici « son » temps. Il semble indiquer une matérialité et une propriété du temps. On doit d’ailleurs différencier le fait de prendre son temps et de prendre le temps. Ce dernier signifie que la précipitation empêche parfois que le travail soit bien fait. L’analogie apparaît avec la construction de notre temple. Nous devons prendre le temps.

On peut dès lors se poser la question de savoir si le temps cadencé par la société ne nous a pas dépossédés de notre temps et modifié notre métabolisme ?

Prendre son temps n’aurait-il pas par ailleurs un impact sur celui des autres ? Ne serait-ce pas parfois une sorte de vol ?

Nous connaissons tous la différence entre 60 minutes de plaisir et 60 minutes de douleur.

Le temps peut être en effet un bienfait comme une punition Nous l’avons bien vu durant cette période de confinement durant laquelle certains se sont sentis plus libres, plus heureux, plus motivés, et d’autres ont sombré dans la dépression, la violence ou l’alcoolisme. Certains avaient le sentiment d’avoir du temps, d’autre pensaient le perdre.

L’évolution technologique bouleverse notre vie et crée une accélération du temps. Il faut par exemple presque avoir répondu à un email avant même de l’avoir reçu. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si une loi permettant un droit à la déconnexion a été votée en France.

Mais l’internet permet toutefois un accès simplifié et démocratique à la pensée et à la connaissance scientifiques. On peut faire de meilleurs choix une fois qu’on a refusé ses propres croyances. C’est l’idée d’inhibition décrite par Olivier Houdé.

Le temps profane et le temps maçonnique

Le temps profane est scientifiquement le même pour tous. Une heure comporte 60 minutes, et chaque minute comporte 60 secondes. Pourtant, il n’est pas ressenti de la même façon selon l’individu que nous sommes, selon la situation que nous vivons, ni même selon le moment de notre vie. Bergson distingue d’ailleurs le temps de la science et la durée de la conscience (le temps vécu). Certaines thèses scientifiques démontrent que la notion de temps est liée aux stimuli mentaux. Plus il y a de stimuli, moins le temps passe vite. Avec l’âge, le nombre de stimuli décroît du fait de la baisse de nos sens et le temps passe donc plus vite. Le repos est d’ailleurs essentiel aux stimuli.

En franc-maçonnerie, le temple est un lieu où se déroulent un temps et un espace sacrés. Durant nos tenues, le temps ne se déroule pas de la même manière que dans le monde profane. Il est d’ailleurs figé puisque nous travaillons toujours de midi à minuit, sans jamais regarder l’heure entre le début des travaux et leur fin. Après quoi nous quittons le temple pour œuvrer à l’extérieur. Au grade d’apprenti, nous avons tous trois ans. Ceci donne à l’ensemble des Frères et des Soeurs une égalité supplémentaire qui est impossible dans le temps profane.

Le temps est également une composante essentielle de notre cheminement, notamment par l’apprentissage de l’attente. Attente dans le cabinet de réflexion (sablier), attente de passage aux grades de compagnon et maître ou encore attente de pouvoir prendre la parole.

Prendre son temps sans le perdre

A la limite de la durée, il y a l’instant. Savons-nous savourer l’instant ? Comment vivre cet instant ? Peut-être la méditation permet-elle d’explorer l’instant.

Prendre son temps, c’est l’utiliser à quelque chose qui nous réjouit. C’est peut-être ne pas s’ennuyer. Mais c’est peut-être également accepter de ne rien faire de matériel pour s’adonner à la méditation et donc faire un travail spirituel, pour le partager ou le consacrer à ceux qu’on aime.

Prendre son temps, n’est-ce pas le dissocier de l’argent, de la productivité et de la rentabilité ?

Dans des cultures non occidentales, le temps est utilisé d’une manière moins productive. En Nouvelle Calédonie par exemple, chez les Mélanésiens, on dit que ce qui n’est pas fait aujourd’hui sera fait demain. En Afrique, du moins dans certaines cultures africaines, on ne stresse pas à cause du temps, mais plutôt de savoir si son enfant sera bien soigné.

Paradoxalement, pour bien prendre son temps ne faut-il pas le perdre ?

Dans une société où tout tend à devenir marchandise, perdre son temps revient à perdre de l’argent. Il faut rentabiliser le temps, la consommation du temps, comme c’est le cas par exemple pour les loisirs de masse, clubs de vacances, voyages organisés… il faut en avoir pour son argent. On consomme du temps comme on consomme du travail et le loisir devient lui même travail. Dans ce cas, on ne prend pas son temps mais c’est le temps qui nous prend.

Perdre son temps : Quel luxe au regard de la logique précédente ! Perdre son temps à ne rien faire que ce qui vaut pour soi et pour l’autre (promenade, méditation, dialogue, échange amoureux, art…) L’oisiveté, au sens de la situation de quelqu’un qui n’a rien d’urgent à faire (ne pas confondre avec la paresse). La morale dit que l’oisiveté est la mère de tous les vices. Et si c’était la mère de toutes les vertus? C’est la condition même de la philosophie : être libéré des soucis de la matérialité quotidienne pour se consacrer aux choses de l’esprit. Perdre son temps pour mieux le prendre, se le réapproprier et ainsi authentiquement le gagner.

Il semble que notre société de consommation nous fasse oublier ou nous empêche de prendre son temps. Or prendre son temps est nécessaire pour s’adonner à la méditation et rétablir un équilibre plus juste et plus sain entre le spirituel et le matériel. Ceci revient à se libérer de ses métaux. Il faut accepter de perdre du temps « rémunérateur » afin de gagner du temps.

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