Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Edgar Morin « Changeons de voie »

Respectable Loge, Le Soleil Levant, Orient de Paris, Région 14 Paris 4 et Loges d'Europe de l'Est

Mots Clefs : Nouvelle voie

A la lecture du dernier livre d’Edgar Morin, il m’était évident de devoir faire partager son travail en loge et a fortiori dans le cadre du travail sur « l’Après » de notre obédience.  En voici une synthèse. 

I. Le diagnostic : sur les 15 leçons à retenir du Coronavirus décrites par Edgar Morin, neuf ont attiré mon attention plus que d’autres, les voici :

  1. Une leçon sur la condition humaine : le mythe occidental de l’homme dont le destin est de devenir « comme maître et possesseur de la Nature » s’est effondré devant un virus : nous devons prendre conscience du paradoxe qui fait que l’accroissement de notre puissance va de pair avec l’accroissement de notre débilité !
  2. Une leçon sur notre civilisation : le confinement nous a permis de ne plus obéir aux pulsions d’achat, de percevoir l’intoxication consumériste que favorise notre civilisation et donc de préférer l’essentiel à l’inutile, la qualité à la quantité et le durable au jetable.
  3. Une leçon sur le réveil des solidarités : les solidarités multiples apparues dans l’épreuve générale ont révélé les carences de solidarité en situation dite normale, carences suscitées par le développement même de notre civilisation qui réduit à l’extrême les solidarités sous l’effet d’un individualisme de plus en plus égoïste joint à une compartimentation sociale toujours plus fractionnée. En fait, les solidarités étaient endormies en chacun et se sont réveillées dans l’épreuve vécue en commun.
  4. Une leçon sur l’inégalité sociale : le confinement a été un miroir grossissant des inégalités sociales, et que les derniers de cordée (infirmières, caissières, éboueurs …) étaient plus vitalement nécessaires que les champions du CAC 40 et qu’une revalorisation de ces professions (en particulier enseignants, médecins et les femmes au travail …) doit concrétiser la reconnaissance sociale !  
  5. Une leçon sur la science et sur la médecine : le progrès scientifique est en général produit par à la fois la compétition et la coopération et force est de constater que la compétition peut se dégrader en concurrence et que la coopération fut circonscrite aux seuls chercheurs indépendants et non aux laboratoires qui préfèrent garder secret leurs travaux en dépit de l’urgence vitale et massive ! C’est l’occasion de comprendre que la science n’est pas un répertoire de vérités absolues à la différence des religions et que seuls des déviants comme Pasteur, Einstein a pu se libérer des mandarinats conservateurs et myopes !
  6. Une leçon sur les carences de pensée et d’action politique : le dogme néolibéral qui aggrave terriblement les inégalités sociales et donne un gigantesque pouvoir aux puissances financières n’a rien pu faire face au COVID, les solutions immédiates ont été contraires au dogme qui gouverne notre économie. Elles ont augmenté les dépenses là où on les réduisait, le contrôle de l’Etat est réintroduit là où on le supprimait, des solutions préparent les protections pour une autonomie économique de base là où était prôné le libre commerce ! un new deal écologique-économique qui devrait relancer l’emploi, la consommation et le niveau de vie apparaît…    
  7. Une leçon sur les délocalisations et la dépendance nationale : l’autonomie sanitaire et l’autonomie vivrière sont à retrouver urgemment et ce dans la création d’un antagonisme à la mondialisation, c’est à dire une dé-mondialisation pour sauver les terroirs, les territoires ou nations menacés dans leur espace vital : l’exemple du redéploiement d’une polyculture fermière, agro-économique au détriment d’une agriculture uniquement industrielle redevient d’actualité.
  8. Une leçon sur la crise de l’Europe : sous le choc de l’épidémie, l’Europe s’est brisée en morceaux nationaux, chaque Etat s’est replié sur lui-même et la solidarité fut inexistante, que ce soit entre la France et l’Allemagne voire entre ces deux pays et deux autres pays en plus grande détresse sanitaire que furent l’Italie et l’Espagne. Il a fallu deux mois à la France et l’Allemagne pour proposer aux autres nations européennes de consacrer un crédit de 500 milliards d’euros pour le relèvement commun ! Un éveil de solidarité et une politique écologique commune pourront ils sauver le soldat Europe face aux souverainistes revigorés !
  9. Une leçon sur la planète en crise : outre l’impact néfaste sur l’environnement, la mondialisation entraîne une perte de souveraineté et d’autonomie économique des Etats mais il est apparu que cette mondialisation, étant essentiellement technoéconomique, avait créé une interdépendance générale sans aucune solidarité et que lorsque la crise s’est mondialisée et amplifiée avec le Covid, cette même interdépendance s’est brisée entre les nations, qui ont découvert l’ampleur inconnue de leur dépendance économique.  C’est une crise de l’humanité à laquelle nous faisons face et avec elle celle de l’humanisme : nous devons le régénérer et donner à son universalisme jusqu’alors abstrait un caractère concret. Si cette prise de conscience se propage dans le monde et devient force historique, l’humanisme pourrait alors susciter une politique de l’humanité !

II. Les défis de l’après Corona : l’ère des incertitudes

Allons- nous reprendre notre course infernale, faire durer les nouvelles solidarités, nous réinventer comme annonçait le 13 avril notre président de la République ? Le néolibéralisme est- il seulement suspendu ? Faut-il en sortir une bonne fois pour toute et comment ? Faut- il réformer l’Etat ? Comment avoir recourt à l’autonomie sanitaire et alimentaire ? Comment accélérer la transition écologique qui a été activée pendant la crise alors que le lobbying du MEDEF fait du forcing auprès du gouvernement pour casser ses velléités vers une nouvelle économie écologisée ?

  1. Trouverons-nous les principes d’une économie fondée sur un new deal de relance écologique et de réforme sociale qui ferait régresser l’hyper-capitalisme et diminuer les inégalités ?
  2. Allons-nous vers l’essor des nationalismes, du religieux, vers la régression de la démocratie ?
  3. L’espoir d’un monde meilleur est-il dans la poursuite du réveil des esprits qu’aura stimulé l’expérience de la méga-crise mondiale ?

III. Changer de voie, c’est régénérer la politique, humaniser la société et avoir besoin d’un humanisme régénéré.

  1. Une politique nationale régénérée ce n’est pas qu’un budget à réduire ou pas, c’est opérer de vraies réformes de l’Etat, avec une gouvernance de concertation entre Etat, collectivités publiques, conseils de compétence et comités de démocratie participative.

C’est conjuguer mondialisation et dé-mondialisation : l’Etat doit cesser d’être dépendant pour ce qui est vital pour la Nation (santé, alimentation et produits de première nécessité), il doit revenir souverain sur son « économie de vie » selon la formule de Jacques Attali. Ce qui ne doit pas lui faire oublier sa participation à une interdépendance de solidarité et à une mondialisation humanisée.

C’est conjuguer développement et enveloppement : le développement tel que défini en Occident est restreint aux domaines techniques et économiques, au chiffrable alors que « l’enveloppement », lui, fait référence à la communauté et la solidarité. Conjuguer développement et enveloppement, c’est développer des biens matériels mais accompagnés d’un mode de vie qui entretienne tout ce qui peut envelopper un «JE » dans un « NOUS » : c’est à dire la convivialité, la compréhension d’autrui et l’amitié.

C’est réduire les inégalités par une grande politique de solidarité en libérant la force inemployée des bonnes volontés et favoriser les actions de solidarité qui ont été visibles pendant les circonstances que nous avons tous traversées.

  • Une politique de l’humanité

C’est une politique qui ferait la symbiose entre ce qu’il y a de meilleur dans la civilisation occidentale et les apports extrêmement riches des autres civilisations. La civilisation occidentale doit propager ce qu’elle a de meilleur c’est-à-dire la pensée humaniste, la pensée critique et autocritique, les principes démocratiques, les droits de l’homme et ceux de la femme. Elle doit abandonner son arrogance et accueillir ce qui fait la richesse des civilisations traditionnelles qui entretiennent une relation avec la nature, un sens de l’inclusion, des liens sociaux communautaires.

  • Un humanisme régénéré

C’est un humanisme qui rejette l’humanisme de quasi-divinisation de l’homme voué à conquérir et dominer la nature. Il reconnaît la complexité humaine faite de contradictions. Il allie passion et raison. Nous ne devons pas songer à transformer l’homme en être parfait ou quasi divin mais nous pouvons tenter de développer ce qu’il a de meilleur en lui c’est-à-dire sa faculté à être responsable et solidaire.

« Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde » a écrit Gandhi

L’humanisme régénéré complexifie les notions de réalisme et d’utopie.

Il y a deux réalismes. Le premier est de croire que le réel présent est stable : il croit intangibles l’ordre et l’organisation de la société et du monde où il se trouve.

Le vrai réalisme sait que le présent est un moment dans un devenir, il essaie de détecter les signaux toujours faibles au départ qui annoncent des transformations, ce qui n’a pas été le cas en 1930 quand les laboratoires de Fermi et Joliot envoyaient des signaux d’alerte sur les possibilités d’utilisation de l’énergie de l’atome, ni en 1970 lorsque le rapport Meadows alertait sur la dégradation de la biosphère. Le vrai réalisme de 2020 est de ne pas retourner à l’apparente normalité antérieure mais de réformer la politique, l’Etat et la civilisation. 

De même, il y a deux utopies. La mauvaise utopie est celle qui veut éliminer tous les conflits et réaliser harmonie et perfection. La bonne utopie est irréalisable dans le présent mais elle dispose des possibilités techniques ou pratiques de réalisation pour réformer la mondialisation, abandonner le néolibéralisme et contrôler l’hyper capitalisme.

L’utopie du meilleur des mondes doit faire place à l’espoir d’un monde meilleur.

CONCLUSION : Nul acquis n’est irréversible, ni la démocratie, ni les droits humains. Ce qui ne se régénère pas dégénère : aussi le vrai réalisme est de régénération permanente :

Trotski croyait en la révolution permanente, nous devons pratiquer la régénération permanente !

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