Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Comment faire l’adéquation entre utilité du travail effectif et rémunération ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : Cohésion socialeFacteur corrélatifPouvoir de négociationProtection socialeUtilité commune

La gestion de la crise liée au coronavirus a mis en évidence que les activités décrétées et avérées comme essentielles pour la vie du pays ne sont pas celles qui bénéficient de la meilleure reconnaissance sociale, et encore moins salariale. Les obstacles à surmonter sont pourtant nombreux – idéologiques et sociologiques – pour tenter de mettre en adéquation l’utilité effective du travail et sa rémunération.

Le faire relève pourtant à la fois de l’exigence (ou de l’idéalisme) éthique et du réalisme (ou du cynisme) économique. Alors que la réalité économique observable vient contredire la légitime exigence éthique et politique que les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune (1), il est cependant constant que cette inadéquation est préjudiciable à l’efficacité organisationnelle de la société dans son ensemble, tant du point de vue social que du point de vue de l’efficience économique (2) ; il importe donc d’instaurer un système de rémunérations et de revenus décents et proportionnés pour tous les segments de la société, sans exclusive (3).

Fonder les rémunérations sur l’utilité commune

L’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dispose que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

La réalité économique observable vient le contredire. Les rémunérations ne sont pas directement corrélées avec la difficulté à exercer un métier. Les compétences déployées, explicitées par des systèmes de classification qui n’ont cessé de se sophistiquer au gré des révisions des 220 conventions collectives actuelles, ne sont pas pour autant valorisées à proportion de leur importance dans les procédés de production de biens ou de services.

Non seulement les rémunérations des métiers ne traduisent pas convenablement l’utilité sociale quotidienne de ceux qui les exercent, mais encore sont-elles généralement en raison inverse des inconvénients du métier pour celui qui l’exerce (développement ou pas du réseau social et d’aptitudes intellectuelles, acquisition ou pas de nouvelles compétences, etc.) ; les métiers du « faire faire » et de l’abstraction sont ainsi autrement plus valorisés que les métiers du « faire ».

À tel point que les rémunérations ne sont que rarement en rapport avec le besoin réel de celui qui travaille : en France, 2 millions de travailleurs dont 1,6 million de salariés sont contraints de vivre en dessous du seuil de pauvreté, tandis que les rémunérations des cadres-dirigeants des grosses entreprises et de certaines ETI (Entreprises de taille intermédiaire) présentent des montants extravagants au regard de tous les besoins humains, même de luxe, et de toute proportion rationnelle.

Il devient alors difficile de soutenir un discours crédible de pacte républicain et de cohésion sociale. Or du point de vue de l’efficacité organisationnelle de la société, cette inadéquation des revenus et rémunérations des métiers avec leur apport au bien-être social est à l’évidence fort préjudiciable.

De trop fortes disparités de rémunération sont aussi contraires à l’efficacité organisationnelle et économique de la société

Dans ce contexte, les jeunes se détournent des métiers exigeants et peu rémunérateurs tels que la plupart des métiers dits manuels ou les métiers de la recherche publique précarisés. Les écoles d’ingénieurs alimentent le vivier de la finance, détournant ainsi la vocation de ces établissements financés par la collectivité.

De nouveaux emplois, plus attractifs pourraient être créés dans des secteurs délaissés, dans l’agriculture et le secteur secondaire (comme une sorte d’antithèse à la théorie du déversement d’Alfred Sauvy). Ceux qui se trouvent à exercer des métiers peu valorisés accusent du coup une souffrance sociale et vivent avec un sentiment de déclassement peu propice au plein exercice de leurs droits et devoirs de citoyen. La pratique même de la démocratie s’affaiblit, entraînant un niveau d’abstention record lors des diverses élections, des scandales de corruption ou la promotion d’individus peu scrupuleux à des fonctions importantes. Un processus de relégation et de sécessions sociales est en cours, qui n’est pas sans lien causal avec le système et les échelles de rémunération du travail ainsi que l’inemploi, conjoncturel ou structurel.

Par ailleurs, d’un strict point de vue économique, l’ouverture des échelles de rémunération conduit mécaniquement à une redistribution inégale de la valeur créée dans des économies où pourtant la productivité a fortement augmenté grâce aux innovations technologiques. De nombreuses études documentées et les institutions internationales, le FMI notamment, font le constat qu’un fort degré d’inégalités est un obstacle à la croissance. La fumeuse théorie dite du « ruissellement » n’a jamais rencontré de réalité observable.

La concentration de richesse et son corollaire, la précarisation relative du grand nombre, sont source d’inefficacité économique globale : le jeu n’est pas à somme nulle.

Au-delà du constat, la cause du problème tient à ce que le travail a été considéré comme une marchandise dont le prix se fixe par arbitrage entre l’offre et la demande sur un marché de concurrence libre et non faussée, alors que les deux guerres mondiales et leurs conséquences ont clairement montré que « le travail n’est pas une marchandise » (Déclaration dite de Philadelphie[1], 10 juin 1944, article 1er) et ne doit pas être une marchandise, sauf à accepter et revendiquer la réification de l’être humain en tant que travailleur.

De cela, il découle que si l’on veut un ordre social éthiquement et économiquement viable, il importe d’instaurer des rémunérations décentes pour mettre les populations à l’abri du besoin et de la peur du lendemain (« Freedom from want », « Freedom from fear »[2]).

Instaurer un système de rémunérations et de revenus décents sans exclusive et proportionnés

Cela implique de redonner un pouvoir de négociation aux plus vulnérables et de définir démocratiquement ce qu’est un salaire décent en fonction de l’utilité sociale, dans le contexte actuel de transition écologique et de transformation numérique.

Il importe également de maintenir une protection sociale efficace pour favoriser la formation continue des personnes en reconversion ou ayant perdu leur rémunération. Il convient au surplus de réserver les ressources publiques à la rémunération des services publics en supprimant les dépenses fiscales consacrées au secteur privé qui abaissent artificiellement le coût du travail et engendrent, outre l’endettement public, quantité d’autres effets négatifs tels que trappes à bas salaire, conditions de travail déplorables, absence de réelle formation continue, etc.

Dans le même temps, il s’agit de prévenir la prédation de la richesse créée et éviter la concentration de revenus et de capitaux, concentration aux effets délétères tant à l’échelle micro que macro-économique. Car si la cupidité individuelle peut être sans limites, il revient légitimement à la démocratie de lui en apporter, eu égard à l’harmonie sociale et à l’efficience économique générale.

Cet équilibre est atteignable par l’instauration d’un facteur corrélatif entre les plus basses rémunérations, le revenu médian et les rémunérations les plus élevées. Par exemple, un facteur 12 a été proposé et soumis à votation en Suisse en novembre 2013, un facteur 20 a fait l’objet en 2011 d’une proposition de loi du Parti socialiste destinée à limiter le salaire du PDG de toute société dotée de capitaux publics. Déjà Henry Ford vers 1930 préconisait qu’il n’excède pas 40. Un facteur 100 constituerait un progrès significatif au regard de la situation présente : le mieux rémunéré gagnerait en 1 an ce que le moins rémunéré gagnerait en un siècle de travail. Le plafonnement des hauts revenus peut aussi passer par une taxation importante, comme aux États-Unis durant le New Deal où des taux d’imposition de 90 % ont été appliqués, avec un réel succès économique et social.                

Enfin, en considération de l’utilité sociale du travail rémunéré et toujours dans l’ambition d’organiser une société cohérente et viable économiquement et éthiquement, le temps viendra d’instaurer un revenu inconditionnel conséquent qui, d’une part, permette d’assurer une place décente aux titulaires de métiers pénibles et dangereux en leur offrant une capacité de négociation de leur salaire sans être menacés de tomber dans le manque, et, d’autre part, nécessitera une refonte équitable de la fiscalité.

Ce sera là un outil extrêmement puissant, qui non seulement au niveau microéconomique et social rééquilibrera les modes de rémunération et la participation citoyenne, mais encore par les déplacements de masses financières en jeu et leur affectation aura un effet de stabilisateur social et macroéconomique, contracyclique très bénéfique pour l’ensemble de la société sur la durée.

Cela répondrait tant aux exigences éthiques et sociales qu’aux nécessités et transformations de l’efficience économique globale.

Proposition phare : instaurer un facteur corrélatif entre les plus basses rémunérations, le revenu médian et les rémunérations les plus élevées


[1] Déclaration des buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail, adoptée à l’unanimité par la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail, réunie à Philadelphie, en sa vingt-sixième session.

[2] En référence aux quatre libertés énoncées par F. D. Roosevelt dans son célèbre discours du 6 janvier 1941 : « Freedom of speech, freedom of religion, freedom from want, freedom from fear ».

A lire aussi

Qu’en sera-t-il de la cohésion sociétale ?

L’axe de la cohésion sociétale est celui que nous avons retenu de travailler collectivement avec pour vision une Société Durable. En toute liberté de pensée, Nos souhaits exprimés dessinent cette société où il ressort en...

Lire la suite
Le citoyen, l'état, le monde

Comment améliorer la prise de conscience de la dimension citoyenne de chaque individu dans une dimension plus globale pour construire une humanité plus juste et plus éclairée ?

Le confinement a permis d’accroître la prise de conscience de notre statut de citoyen : dans cette crise sanitaire nous étions tous dans un même bateau face à un même risque. Au nom de la...

Lire la suite
Citoyenneté

Comment la Franc-Maçonnerie peut-elle contribuer à une Europe plus sociale et solidaire ?

Problématique :  pour un destin européen commun Comment, nous franc-maçon, pouvons-nous faire émerger le désir d’un destin européen commun, pour une communauté d’individus fondée sur l’affirmation des droits et des libertés individuelles ? Pour cela, les...

Lire la suite
Europe