Après : Réforme ou révolution ?

Jamais le monde n’a connu un tel bouleversement, aucun pays, aucun humain n’a été épargné par la propagation du CIVID-19, soit que lui ou un de ses proches ait été touché, soit qu’il ait subi la mise en œuvre de mesures d’exception.

 
On peut donc espérer que l’espèce humaine, ou certains de ses représentants, s’interroge sur le sens réel de cette menace planétaire. Il s’agit certes dans un premier temps de faire face, et de mobiliser autant que possible, à l’échelle voulue, les moyens de se défendre. Les pays du monde entier l’ont fait, chacun à leur tour depuis décembre 2019, et ils continuent de le faire. Au niveau mondial, nous sommes toujours dans la tourmente ; cependant certains territoires ont vu s’éloigner, provisoirement ou définitivement, la première grande vague. Ceux-là disposent d’un répit dans l’agitation, d’une relative pause de l’urgence. Par conséquent, une « fenêtre » devrait s’ouvrir pour permettre à la réflexion de prendre le relais des armes, et nourrir le futur.

Selon moi, une « vraie » réflexion maçonnique devrait prendre trois voies :

-un premier questionnement doit porter sur ce qui a été fait, les moyens déployés, les attitudes adoptées ; en situation de conflit, on agit davantage qu’on ne pense, mais en situation de paix, on doit examiner ce que l’action a dévoilé. Nombre de comportements nouveaux ont émergé durant la crise, des paroles, des actes, ont exprimé le fond de nos personnalités. « Je ne sais vraiment qui je suis que quand je vois ce que je fais » dit le psychologue Karl Weick. Une première interrogation doit donc porter sur les actes passés, les réussites et les échecs, les fiertés et les hontes aussi ; passer nos actes à la machine en quelque sorte, à l’aune de nos valeurs, sans aucune pitié pour l’image de nous-même ou pour notre égo, sans mortification inutile non plus. Avec un seul but : apprendre de la crise sur nous-mêmes.

-un deuxième questionnement sur ce que la crise traversée, en cours, nous apprend. Dans l’œil du cyclone, dans le temps d’une pause respiratoire, c’est le moment de donner du sens à la circonstance. Certains y verront une conséquence historique logique, d’autres y liront des significations plus ésotériques, chacun a sa propre façon de concevoir et de gérer les choses. Mais plus que subir écrasés et passifs le destin de l’humanité, ou à attribuer à des causes extérieures les évènements qui les touchent, ce qui caractérise la réflexion des francs-maçons c’est qu’ils doivent tous travailler à créer du sens à ce qui leur arrive, prendre la responsabilité de situer la crise dans un ordre de signification intelligible, et mettre l’évènement à la portée de la raison. Ou mettre la raison au niveau de l’évènement, et comprendre, avec l’humilité requise, mais aussi avec tous les moyens qui sont ceux de l’homme debout qui jamais plus ne mettra un genou à terre. Avec ici comme but : apprendre par la crise sur nous-mêmes.

-un troisième questionnement est aussi indispensable, qui porte sur l’élaboration du futur. Elaboration plus que préparation : nous ne travaillons pas pour les générations futures, pour les éthiopiens ou pour les habitants de mars, nous travaillons pour nous-mêmes ici et maintenant. Le futur c’est maintenant. Cela veut dire que jamais la prise de conscience que « tout est changement » n’a eu d’opportunité aussi forte pour se développer. La force incroyable de ce COVID nous apporte une énergie extraordinaire, qui doit être mise au service de notre transformation personnelle et sociale. C’est le moment ou jamais d’interroger nos systèmes sur leurs fiabilités ou leurs failles, c’est le moment de rejeter les systèmes périmés et de mettre en place sans tarder de nouveaux rouages systémiques, en conformité avec nos valeurs secouées, époussetées et régénérées par le vent de la crise qui est passé sur nos sociétés si mortelles. « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » disait Paul Valéry en 1919 (dans « La crise de l’esprit »). Avec cette conscience nouvelle, nous autres francs-maçons nous devons faire émerger l’essentiel et faire société autour.

Ces trois temps de réflexion, nécessaires, ne peuvent avoir qu’un seul débouché : l’action, et qu’un seul objectif : la transformation sociale. Pour les FM, et pour la FM, il s’agit clairement d’engager les luttes, ou de se joindre aux luttes, qui vont porter nos valeurs au cœur des constructions sociales. Il s’agit de mener le combat, ou de se joindre au combat, décors en vue, pour renverser les hiérarchies ancrées comme autant de freins à la liberté, pour refuser les anciens conservatismes défenseurs de privilèges et justifiant les inégalités, pour dénoncer les cloisonnements et séparatismes de toutes sortes qui repoussent l’unité et la fraternité. Ce n’est pas que les terrains d’action manquent, en fait ils sont partout ; le FM a le choix de ses combats, de ses armes, de ses engagements, il peut agir seul ou se regrouper. La maçonnerie ne sera digne d’elle-même que si au lieu de s’endormir pendant des mois, de rédiger des écrits pour l’après plutôt que pour le maintenant, de s’empêtrer dans des querelles de chefs, de consulter pour ensuite décider autoritairement, elle s’élève pour offrir à ses initiés des possibilités concrètes d’agir : moyens matériels, financiers, logistiques, informationnels etc…

Sommes-nous en guerre ? le Président de la république a osé la comparaison guerrière au mois de mars dernier. Nous francs-maçons nous n’avons pas découvert la guerre avec le COVID, nous avons engagé une guerre le jour de notre initiation. Nous pensons que si guerre il y a, elle ne se situe pas dans la défense contre le virus, mais elle se situe au cœur de ce que nous combattons depuis toujours : des motivations liées à l’égoïsme, l’argent, le sexe ou la gloire, qui amènent ce monde à sa ruine. La crise a bien apporté quelque chose chez les FM : un esprit plus combatif ; la crise contribue à faire des FM de vrais combattants. Il est certain aussi qu’elle menace ceux d’entre nous parmi les plus tièdes ou installés dans le confort des habitudes, pour lesquels les problèmes sont toujours extérieurs à eux.

Alors, devons-nous viser la révolte ou la révolution ? peut-être bien que la réponse dépende des circonstances. N’oublions jamais que nous sommes fondamentalement a-dogmatiques, c’est-à-dire que nous ne croyons pas qu’un système soit par essence fondamentalement bon ou fondamentalement mauvais. Notre volonté de nous tenir dans la voie du milieu n’exclut pas le recours ponctuel à tel ou tel radicalisme si nous rencontrons des forces obscures très structurées en face de nous, mais nous privilégions avant tout le discernement. Il peut arriver que des modifications ou des aménagements suffisent à telle ou telle structure sociale pour se tourner vers le bien public ; ailleurs il faudra procéder à la dynamite, mais en gardant toujours nos objectifs et nos valeurs en étendard. Notre objectif n’est donc ni la révolte ni la révolution, notions toujours limitées au système auquel on s’attaque. Nous visons un objectif autrement plus ambitieux : l’évolution de l’homme et par suite l’évolution de toutes les structures qu’il construit.