Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Pour un audiovisuel public au centre de l’Union

Respectable Loge, Étienne Dolet, Orient de Orléans, Région 5 Centre

Mots Clefs : CollectifCommunautésSéries téléService publicTélévision

Le collectif en danger

En FM, notre pratique est celle du collectif. Le cœur de nos échanges est oral, tant en tenue qu’aux agapes. Nous pratiquons « la pensée vivante », née des échanges directs entre les hommes, si chère à Socrate.

Quoi de plus naturel me direz-vous, que de se rencontrer pour se parler ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette relation apparaît comme une forme de résistance aux échanges dématérialisés, et la distance sociale qu’ils induisent, qui s’imposent partout dans notre société contemporaine. Amazon nous dispense de sortir pour aller faire nos courses, Uber-Eats d’aller au restaurant, Netflix d’aller au cinéma, les jeux vidéo d’aller nous mesurer à l’autre en personne dans une pratique sportive physique. Alors en toute logique, les nouveaux médias, et le télétravail, se sont parfaitement adaptés au confinement.

Mais la souffrance que la plupart d’entre nous a éprouvé à nous retrouver éloignés physiquement de nos contemporains nous a montré les limites de ce mode de vie. Isolé, c’est être amputé d’une partie constitutive de notre être. Nombre de nos anciens, coupés de leurs enfants, petits-enfants, se sont éteints dans une tristesse infinie. La vanité des seules perspectives individuelles, quand elles ne s’inscrivent pas dans un projet collectif, dans une pratique collective, nous a sauté aux yeux.

Une culture mercantile

Le collectif est au cœur de notre projet républicain. La République est « indivisible ». Pas étonnant que le cinématographe, qui permet une expérience collective par la projection en public des images animées, soit une invention française. La Fraternité, au cœur de notre projet de société, si difficile à réaliser, reste un but inscrit dans notre devise.

Mais le mode de consommation actuel nous renvoie au kinétoscope de l’américain Thomas Edison, où les films étaient vus individuellement, dans une boîte, à travers une fente. Le mot « geek », venu d’outre-Atlantique qui désignait dans notre langue, dans les années 80, une personne que sa passion, pratiquée en solo, tendait à couper du monde, semble désigner une large part de la génération Y et des suivantes. Les jeux vidéo, les échanges sur les réseaux sociaux, la vidéo à la demande sont autant de domaines qui impliquent des pratiques largement solitaires et qui créent des communautés à l’identité fortement marquée et étanche aux autres.

Or ces domaines entrent dans la catégorie « culturelle » et la culture, c’est précisément ce qui devrait rassembler, inclure, réunir[1].

Attardons-nous sur les séries télé : 75% de la population déclare les suivre régulièrement (enquête 2019). Les plateformes de type Netflix propose un modèle de consommation « à la carte » : ce que je veux, quand je veux, où je veux. Supprimant le hasard de la programmation de la télévision traditionnelle, chacun est incité à rester dans ses goûts, qu’il partage avec les gens qui lui ressemblent, jusqu’à ignorer ceux de ses contemporains qui appartiennent à d’autres groupes de la population, même ses enfants, ses parents. C’est la culture des communautés.

Le modèle de cette économie est la publicité dite « ciblée », qui s’impose avec la multiplication des médias : une chaîne, une plateforme par abonnements détermine le segment de la population qu’elle vise et choisit de produire et de diffuser des programmes en conséquence. La qualité n’est pas exclue, à condition qu’elle serve la stratégie de la société dont les intérêts économiques sont premiers. Il s’agit, cyniquement, pour ces soi-disant acteurs de la culture, de « créer l’addiction »[2] ou de « concurrencer le sommeil »[3].

Le service public

Quel modèle opposer à ces machines de guerre qui mettent à mal nos esprits critiques en nous prenant si bien par les émotions ?

Il nous semble que l’audiovisuel public a aujourd’hui un rôle vital à jouer. Entre les chaînes à péages dévorantes d’un côté et les chaînes gratuites conçues pour « offrir du temps de cerveau disponible à Coca-Cola »[4], il doit imposer une troisième voie dédiée à la culture, au savoir et aussi à la culture populaire, rassembleuse, et à l’information fiable et libre de tout engagement publicitaire et mercantile en général.

Nous avons de la chance : notre Audiovisuel Public, s’il n’est pas parfait, a des qualités et un potentiel qui s’est révélé lors de cette crise sanitaire : par exemple, il a su venir en soutien du service public de l’Education quand les cours en classe n’étaient plus possible (« Nation apprenante »), il a su mettre en avant la culture populaire, ciment d’une société, par la diffusion de films de notre répertoire ou en se faisant le relais de la Comédie Française (France 4, France 5, Arte…), il a su développer la réflexion des citoyens afin de les éclairer sur les enjeux de cette si lourde actualité (France 5, France Culture, France Inter…), il a su faire la chasse aux fausses informations (France Info, France 5, Arte…)… Nous remercions tous ses acteurs d’avoir ainsi fait plus que seulement « tenir la baraque ».

Nous demandons à présent l’établissement d’une mission claire de l’Audiovisuel Public, éthique et responsable, assurée par la séparation d’avec le pouvoir politique et par la suppression totale de la publicité (surtout aux heures des enfants !). Si le financement continuerait d’être assuré par l’impôt librement consenti par le citoyen, une partie de cette manne financière offerte au secteur privé (par la suppression de la publicité qui se reportera ailleurs) peut revenir au service public par une imposition résolue et par des contraintes accrues de quotas de diffusions et de financement de la création.

Avant la crise, le gouvernement préparait une réforme du financement du cinéma qui passait par la taxation des plateformes de VOD, sur le modèle des contrats passés avec les chaînes historiques en perte de vitesse. N’oublions pas un secteur considérable (un tiers des connections internet) qui passe complètement sous silence : celui de l’industrie pornographique, parfaitement à l’aise dans cette société du plaisir solitaire, et qui doit, en toute logique, participer elle aussi au financement de la culture et du savoir. Pour redonner du sens au collectif, pour le bien de notre démocratie.

Enfin, nous souhaitons que ces réformes se répandent en Europe. Pour le rayonnement de ses valeurs humanistes, face aux Etats-Unis mercantiles et à la dictature chinoise.

Pour un service public audio-visuel fort garant de la fiabilité de l’information dans sa diversité, vitrine de la culture populaire, ciment d’une société, et centré sur la formation de futurs citoyens plutôt que de futurs consommateurs.


[1] En sociologie, comme en éthologie, la culture est définie comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et inventé (Wikipedia)

[2] Richard Pepler, patron d’HBO

[3] Reed Hastings, patron de Netflix

[4] Patrick Le Lay, alors patron de TF1

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