Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Renforcer la légitimité et l’efficacité de nos services publics

Respectable Loge, Étienne Dolet, Orient de Orléans, Région 5 Centre

Mots Clefs : CitoyensEfficacitéHôpital publicRenforcer les services publicsUsagers

La crise du Covid-19 a montré les faiblesses des services publics en France.

A l’occasion de la crise du coronavirus, le service public hospitalier français a montré combien il était vital pour la nation. Mais si la capacité des soignants a été unanimement saluée, l’organisation du système hospitalier a montré de graves défaillances. Et ce qui est vrai pour le service public hospitalier en situation de crise est transposable à de nombreux autres services publics, de plus en plus fréquemment mis en cause quant à leur capacité à répondre localement aux besoins du public. D’ailleurs les « territoires perdus »[i] ou délaissés de la République sont souvent ceux dans lesquels les services publics ont été progressivement réduits, voire supprimés… sacrifiés sur l’autel de la rentabilité ou de l’efficience prônée par les théories modernes de la gestion publique.

Pour nous Francs-Maçons les services publics sont pourtant un élément essentiel de la République. « Le service public, luxe archaïque ou condition sine qua non de la République ? » s’interrogeait le GODF en 2012. Les services publics désignent l’ensemble des activités, exercé par ou pour le compte de la puissance publique, dans le but de satisfaire une demande sociale considérée comme devant être disponible pour tous. Pour Henri Péna-Ruiz[ii], ils sont aussi les moyens que la République se donne pour surmonter les égoïsmes. Ils sont le seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Mais bien sûr, pour être pertinent, un service public doit aussi et surtout être performant. Cette performance s’exprime d’un point de vue économique … mais pas uniquement. L’utilité sociale, le bien être apporté, le lien social entretenu, tous ces éléments devraient être autant de critères d’évaluation déterminants. Il en va aussi de la confiance que les citoyens ont dans leur modèle de société. Mais le coût de cet « état providence » est régulièrement dénoncé, en fonction d’une pression fiscale jugée peu supportable dans notre pays. S’il est raisonnable de se préoccuper de ce coût, il nous faut rester attentif à la démarche sournoise qui consiste à critiquer le coût pour contester la finalité. D’où la légitime exigence d’efficacité au moindre coût adressée à nos services publics que comprennent d’ailleurs bien leurs responsables et leurs collaborateurs.

Quelles sont les causes de la faiblesse de nos services publics ?

L’angoisse née de la vague annoncée de Covid19 a bien montré les faiblesses de notre organisation et le manque d’anticipation effective de notre système de santé et cela a encore contribué au discrédit de la chose et de l’autorité publique.

Face à la situation française, celle de notre voisin allemand a fait figure de modèle et certains ont pu y voir les vertus de la décentralisation politico-administrative à l’inverse des vices du jacobinisme de la France.

Cette explication « systémique » est pourtant mise en échec lorsqu’on observe que c’est cette même organisation politico-administrative régionalisée qui supportait au même moment les systèmes de santé italiens ou espagnols. Quant aux atouts de l’état fédéral en la matière, il n’est pas sûr que le modèle américain en fasse la démonstration. Le niveau de décision politique (national, régional, local) n’est donc sans doute pas le facteur explicatif décisif.

D’autres ont relevé la pertinence d’un modèle allemand plus concurrentiel dans lequel les usagers ont le choix de leur caisse d’assurance santé et où les hôpitaux privés sont plus influents. Pourtant on trouvera en Europe de sérieux contre-exemples à mesurer à l’aune du coronavirus (Finlande). Un facteur explicatif semble plus pertinent : les coûts budgétaires « administratifs » (hors coûts strictement liés à la pratique médicale) sont nettement plus importants dans l’hôpital français que chez son « cousin germain ». Selon les chiffres de l’OCDE, 35 % des emplois hospitaliers en France ne sont pas médicaux ou paramédicaux, contre 24 % en Allemagne, alors qu’en pourcentage du PIB, les dépenses de santé en France et en Allemagne sont quasiment identiques, de l’ordre d’un peu moins de 12 % de la richesse nationale.

D’où vient alors ce « surcoût » administratif de l’hôpital public français ? Et sans doute cette question vaut-elle pour l’ensemble des services publics français.

Pour répondre il faut savoir que de nouvelles méthodes, outils et démarches de gestion, sur un mode quasi-dogmatique ont été imposé aux services publics au cours des dernières décennies. Il fallait être moderne et pour cela, faire comme les entreprises privées ou les organisations publiques d’autres pays, souvent anglo-saxons. Un nouveau paradigme de management de la chose publique s’est en effet imposé à notre pays dans les années 2000. Il a été initié avec l’adoption de la Loi organique relative aux Lois de finance[iii] en 2001 et la « Revue Générale des Politiques Publiques »[iv] en 2007, remplacée en 2012 par la « Modernisation de l’Action Publique » (MAP). Il ne s’agit pas ici de mettre en cause la légitimité des buts poursuivis par ces « instruments » de décision politico-administratifs, mais d’en mesurer certains effets perturbateurs, voire destructeurs, sur les services publics français.

Car au bout de la « chaîne de réforme », c’est l’activité des services eux-mêmes, ceux qui sont en ligne de front avec le public qui en a été profondément affectée, sans que leur efficience ait pu être réellement améliorée. Ce sont des ressources internes des services, et parmi les meilleures, qu’il a fallu affecter à de nouvelles missions, sans véritable valeur ajoutée pour le service aux usagers : contrôle de gestion, contrôle interne, contrôle qualité, audit financier, audit comptable, conduite du changement, modélisation des processus, certifications, …

La plupart de ces démarches, issues du monde de l’entreprise privée, ont été fortement soutenues par les corps de contrôle de l’Etat (IGAS[v], IGF[vi], Cour des Comptes) dont les membres sont essentiellement issus de la prestigieuse ENA, avec le support de grands cabinets de consultants internationaux. Si l’on ajoute à cela les contraintes des règles des marchés publics, on mesurera mieux la pesanteur, le manque d’agilité, la perte en fait de performance de nos services publics.

Mais, comme dit le dicton, « quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage ». Sauf que désormais le « chien » en question se révèle le compagnon indispensable à la société de demain, si on la souhaite effectivement plus juste, plus sociale et plus fraternelle.

Concrètement

Pour redonner aux services publics leur efficacité, il faut en alléger la charge de gestion administrative   en leur permettant de consacrer l’essentiel de leurs ressources, et les meilleures, à leur première finalité.

Il serait sans doute très théorique d’édicter ex abrupto de nouvelles normes à ce stade de la réflexion, mais ce serait l’un des objectifs à assigner à la MAP de déterminer pour chaque administration ou service public le taux de ressources utile à affecter prioritairement à sa finalité : le service au public.

L’exemple du service public hospitalier, et de la comparaison avec l‘Allemagne, montre qu’on pourrait, sans préjudice de sa qualité sanitaire ou administrative, en réaffecter plus de 10% aux soins.

Dans ce but, une revue critique des méthodes, démarches et outils évoqués plus haut devrait être engagée pour supprimer tous ceux qui n’ont de sens que pour eux-mêmes (les tableaux alimentant des tableaux…). Elle permettrait aussi de remettre des ressources aujourd’hui affectés à des emplois souvent onéreux mais à faible valeur ajoutée (les fameux bullshit jobs dénoncés par David Graeber[vii]), sur des fonctions à l’utilité sociale et économique plus forte.

Pour ce faire, il serait alors opportun de mobiliser l’extraordinaire intelligence de la haute administration française, et de ses corps de contrôle, non plus pour obliger les services publics français à se justifier de ce qu’ils ne parviennent plus à faire, mais au contraire, pour les rendre plus efficaces, en leur permettant de se consacrer de façon essentielle à leurs missions au service du public. Et ceci en mettant en exergue que c’est aux citoyens que les services publics doivent rendre des comptes, et non pas au gouvernement ou à l’Etat. Le changement de paradigme culturel serait probablement conséquent dans un pays hautement centralisé qui a érigé le contrôle en dogme, renforcé opportunément par la modernisation des démarches managériales publiques, dont il n’a assimilé que ce qui pouvait ainsi l’arranger.

Confier à la Cour des Comptes et aux corps de contrôle de l’administration et des services publics, une revue critique de toutes les démarches, méthodes et des outils de gestion, mis en œuvre depuis les années 2000, afin de supprimer de façon déterminée tous ceux qui ne présentent pas d’autres avantages que de financer les cabinets de consultants, et diffuser les bonnes pratiques identifiées, afin de permettre à nos services publics de recentrer l’essentiel de leurs ressources aux services aux usagers.


[i] En référence à l’ouvrage collectif paru en 2002 Éditions « Mille et une nuits », sous la direction de Georges Bensoussan.

[ii] [ii] Henri Pena-Ruiz est, entre autres, l’auteur du dictionnaire amoureux de la Laïcité (éditions Plon 2014)

[iii] LOLF : les gestionnaires doivent désormais rendre des comptes sur l’efficacité de l’utilisation des crédits qui leur ont été attribués. La Cour des Comptes est quant à elle investie de la mission de certification des comptes de l’État et de ses services publics. Pour assumer cette nouvelle mission confiée à elle par le législateur, la Cour a  fait appel à l’expertise des grands cabinets d’audit privés.

[iv] RGPP : elle consiste en une analyse des missions et actions de l’État et des collectivités, suivie de la mise en œuvre de scénarios de réformes structurelles, avec comme buts la réforme de l’État, la baisse des dépenses publiques et l’amélioration des politiques publiques. De telles politiques ont été menées dans de nombreux pays, notamment au Canada de 1994 à 1998 sous le nom de revue des programmes. En France, la RGPP, ou révision générale des politiques publiques, a commencé en 2007, puis est remplacée en 2012 par la MAP (modernisation de l’action publique). Un audit systématique des dépenses de l’État est réalisé. Pour cela, les équipes d’audit sont constituées de membres des corps d’inspection interministériels et ministériels et d’auditeurs ou de consultants externes (Accenture, Capgemini, Ernst & Young, McKinsey ou le Boston Consulting Group entre autres).

[v] Inspection Générale des Affaires Sociales

[vi] [vi] Inspection Générale des Finances

[vii] David Graeber, anthropologue américain, auteur de l’article « On the Phenomenon of Bullshit Jobs », en 2013 qui dénonce la bureaucratisation de l’économie et la multiplication des emplois inutiles.

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