Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Les emplois dont la crise a fait apparaître le caractère indispensable sont-ils aujourd’hui justement considérés ? Comment mieux les prendre en considération ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : Choix de sociétéContrat socialDéfi de l’emploiFracturesSalariés de l’ombre

Réinventer un nouveau contrat social : soutenir l’emploi et réduire les fractures sociales

   Les injustices, les inégalités sociales et les failles de notre société ont été mises au grand jour et aggravées par la crise sanitaire du coronavirus, mettant encore un peu plus en danger notre cohésion sociale et notre pacte républicain. Le monde de demain ne pourra plus être celui d’avant la crise. Soyons persuadés de l’urgence des changements inéluctables et salutaires dans nos modes de vie, de transport, de production et de consommation.

   La machine économique ne pourra pas repartir à l’identique et encore moins sur la base des vieilles recettes libérales qui n’exigent d’efforts que de quelques-uns et qui nous encouragent à toujours travailler plus, au moins pour ceux et celles qui ont un emploi !

   Cette crise sanitaire a et aura des conséquences sur le plan économique ainsi que des effets dramatiques et différenciés sur l’emploi, son volume et sa structure selon les secteurs d’activités, le statut et les qualifications des salariés. Faute de nouvelles régulations et de nouveaux correctifs, chaque salarié ne vivra pas de la même manière les turbulences à venir, accentuant les fractures sociales.

Reconnaissance des salariés de « l’ombre » qui ont été les plus exposés

   La revalorisation de plusieurs métiers du public et du privé est un des premiers défis de notre société ! Nous pensons bien sûr aux salariés et aux agents des services hospitaliers, des cliniques et des EHPAD dont la mobilisation a été exemplaire, mais pas uniquement : d’autres métiers et leurs salariés se sont trouvés en première ligne, celles et ceux que l’on croisait dans les commerces ou dans les rues (service de la propreté), celles et ceux que nous avons sous-traités, relégués en les faisant travailler tard le soir, tôt le matin, loin des yeux (agent de nettoyage et de sécurité), celle et ceux qui ont œuvré sur les chaînes de production et de distribution.

   Ressortant des professions de la santé, des métiers du « lien », des entreprises de services (à l’entreprise et aux personnes), ces salariés ont poursuivi leur activité sur le terrain, indispensable à notre survie et à notre bien-être quotidien.

   Le paradoxe est cependant immense, voire immoral, entre cette reconnaissance de leur utilité sociale en situation de crise aiguë et la faible valorisation, voire la dévalorisation, de ces métiers dont les compétences ne sont ni identifiées, ni correctement prises en compte dans leurs qualifications et en conséquence en matière de classification et de rémunération.

   C’est un choix de société qu’il faut opérer pour leur donner les moyens d’une juste revalorisation, notamment financière. Cette démarche ne peut se résumer à de bonnes paroles ou à l’attribution d’une prime. Ces salariés de « l’ombre », du public et du privé, méritent plus, l’ouverture de réelles négociations d’entreprises et/ou de branches sur la gestion des salaires, des déroulements de carrières et des conditions de travail.

   C’est enfin l’opportunité de donner enfin un sens à la valeur travail de ces métiers, jusqu’ici mal définie. Analyser le contenu du travail effectué, les responsabilités, la technicité, les compétences relationnelles et les exigences du travail a permis la revalorisation des salaires de certains de ces emplois dans d’autres pays. Pourquoi pas en France ?

   Dans le même temps, le recours massif au télétravail (plus de 5 millions de salariés), durant la période de confinement, a bouleversé l’organisation du travail et la relation de certains salariés à leur entreprise, tout en soulignant de vieilles fractures sociales passées sous silence au cours de ces dernières décennies, marquées du sceau du modernisme et de l’idéologie de la fin de la classe ouvrière.

   Néanmoins, certains postes de travail ne peuvent être utilisés en télétravail. Et dans l’entreprise, ce sont les cadres qui peuvent le plus facilement télé-travailler, alors que cela est beaucoup plus difficile pour les ouvriers, ravivant ainsi le clivage entre cols blancs et cols bleus : les uns, les cadres, étant en télétravail à domicile tandis que les autres, les ouvriers, sont soit à l’arrêt avec une baisse de leur revenu, soit sur leurs lieux de travail, commerces, usines, confrontés au risque sanitaire.

Après le défi de la santé, le défi de l’emploi

   Cette crise sanitaire, qui n’est pas encore surmontée, est désormais accompagnée d’une crise économique d’une ampleur encore insoupçonnée. Les conséquences sur l’emploi et les revenus peuvent être dramatiques et corrosifs en matière de cohésion sociale avec, là aussi, des différenciations sociales très marquées.

   Malgré les mesures de soutien prises par le gouvernement durant le confinement, la France entre dans une crise économique profonde avec des effets qu’il faut apprécier finement en vue d’une stratégie de relance évitant d’accroître les inégalités déjà existantes. Plusieurs exemples viennent illustrer ici cette crainte.

    Le confinement et le déconfinement très progressif ont des conséquences économiques très fortes avec l’arrêt brutal et massif des activités productives de toute nature ou le ralentissement dans d’autres. Cette situation a déjà un effet sur l’accroissement du chômage et menace de nombreux emplois dans des secteurs fragiles (par exemple, l’automobile), dans des territoires antérieurement en sous-emploi, dans plusieurs types d’entreprise (artisanat, petits commerces, restauration, tourisme, culture, etc.).

    Les conséquences sont particulièrement rudes pour les travailleurs les plus précaires et ceux des nouvelles formes d’emplois dits « ubérisés ». Dans ce dernier cas, beaucoup d’entre eux ont vu leur activité et leurs revenus réduits drastiquement. D’autres, également nombreux, ont maintenu leur activité (livraison, transport de personnes, aides à domicile, etc.) en s’exposant à des risques sanitaires importants pour lesquels aucun cadre collectif de prévention n’est prévu.

   L’augmentation du chômage va renforcer cette tendance, avec un risque élevé de basculement dans la grande pauvreté et plus largement d’accroissement de tous les maux liés au chômage : dégradation de la qualité de vie, de la santé, exclusion sociale. La concentration de ces difficultés dans les mêmes quartiers défavorisés des grandes agglomérations en accentue les effets et en fait un défi majeur pour notre pays, générateur de tensions fortes.

   La galère prévisible des jeunes. Sans tomber dans l’exagération ni la simplification outrancière (il n’y a pas une, mais des jeunesses), la crise économique frappe durement une partie des jeunes : « les ubérisés », les précaires (baisse des missions d’intérim, non-renouvellement des contrats à durée déterminée, quasi-arrêt des offres de stage, importante chute des contrats d’apprentissage). Ces réalités, conjuguées à la récession et à la peur des employeurs dans des secteurs à l’avenir incertain, soulignent le grand défi de ces prochains mois, les centaines de milliers de jeunes à la recherche d’un premier emploi stable, surtout pour les moins qualifiés d’entre eux. Les difficultés d’accès à l’emploi de ces jeunes se sont brutalement aggravées, compte tenu de la diminution drastique des offres d’emploi.

   Face à cette situation porteuse d’une accentuation des inégalités et d’exacerbation des tensions sociales, l’emploi constitue une préoccupation prioritaire en associant dans un même mouvement, des orientations générales (par exemple un plan de relance par la demande) et des mesures spécifiques adaptées à la réalité vécue par les différentes composantes de l’ensemble des actifs.

   Le plan général répond à la fois à l’objectif de reprise économique à court terme, à celui de soutiens aux salariés et ménages modestes ainsi qu’à celui d’une réelle transition écologique. Il doit être complété par des dispositifs sectoriels ou catégoriels négociés avec les syndicats dans les branches et les entreprises qui permettent de conjuguer maintien dans l’emploi, formation et reconversion.

   En aucun cas la solution ne peut être le recours massif et abusif par les entreprises à l’APC (Accord de Performance Collective) créé par l’Ordonnance du 22 septembre 2017. Ce type d’accord repose, dans la plupart des cas, sur le chantage à l’emploi en contrepartie d’une baisse des salaires et facilite les licenciements à moindre coût et contrôle.

   Ne l’oublions pas, durant cette crise sanitaire et malgré le brouillard entretenu par certains experts sur le niveau global d’épargne des ménages, des millions de salariés et d’indépendants ont vu leurs revenus baisser avec des conséquences sur leur pouvoir d’achat et, pour les plus précaires et vulnérables d’entre eux, des difficultés à subvenir aux besoins de base. Le développement prévisible du chômage (d’autant si la réforme inique de l’assurance chômage n’est pas abandonnée) et les nouvelles règles de prise en charge du chômage partiel vont accroître cette tendance accentuée par les risques inflationnistes probables et souhaités par certains économistes.

   Les efforts en matière de sauvegarde de l’emploi et de correction de ses inégalités ne peuvent conduire à ignorer les objectifs de qualité de vie au travail ni les impératifs de la transition écologique. La crise sanitaire a mis en évidence la valeur travail et la nécessaire mobilisation du capital en direction de l’emploi et d’une réponse aux failles et faiblesses de notre système productif. Elle a également démontré que l’entreprise avait besoin à la fois de la participation des salariés et du concours de l’État pour faire face à ces nouveaux défis. La place du travail dans nos vies, ses valeurs, sa finalité ainsi que ses modes d’organisation et de gestion sont plus que jamais au centre de nos interrogations pour une vie décente insérée dans un développement durable respectueux du bien-être des salariés et de la planète. Le dialogue social respectueux des organisations syndicales doit être l’instrument privilégié de cette ambition.

   Les objectifs et les composantes d’un nouveau contrat social sont ainsi éclairés pour refonder les rapports de travail et du capital dans le sens d’une meilleure qualité de vie au travail, de la responsabilité sociale des entreprises et d’une gouvernance équilibrée.

Proposition phare : revaloriser les métiers ; prêter une attention particulière aux jeunes et aux « ubérisés » ; instaurer un dialogue social de qualité.

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