Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

L’après-crise : comment en sortir meilleur et continuer de faire nation ?

Respectable Loge, La Bienfaisance, Orient de Nîmes, Région 8 Languedoc - Roussillon

Mots Clefs : Responsabilité éthique

Propos liminaire

Abordons le sujet proposé sous l’angle de sa double interrogation et du lien de causalité suggéré entre ces deux parties : comment sortir meilleurs de cette période catastrophique et comment faire nation.

Que pourrait signifier « sortir meilleurs » ? Quel progrès individuels et collectifs sont-ils ainsi suggérés ?

Habitué qu’il est à ces allers-retours entre l’ombre et la Lumière, confronté aux aberrations de son propre miroir, progressant sur le damier des contraires, le Maçon a appris à raisonner sur plusieurs niveaux en s’affranchissant du temps et de l’espace profanes. Chacun mobilisera donc les symboles à sa disposition, depuis le cabinet de réflexion et son invitation initiale à se connaître soi-même (Vitriol).

On peut imaginer qu’il s’agirait de tirer la leçon morale, éthique voire philosophique de ce face à face brutal et intime avec l’idée de mort, de cette confrontation à la fois massive et singulière à la puissance de la nature lorsqu’elle est bousculée, maltraitée, méprisée ; de s’interroger sur le rapport à l’autre, cet alter ego qui est notre frère en toutes choses, en tous lieux, en toutes circonstances ; de remettre à l’athanor les éléments du faire société afin de forger un nouvel alliage social, plus solide, plus solidaire, plus empathique, plus juste, plus efficace… Tout cela et plus encore sans doute. Une telle démarche impose de questionner, d’évaluer, de critiquer et de remettre à plat des modes de penser et de faire, des idées et des systèmes qui, au fil du temps, des accoutumances et de quelques lâchetés comme autant de rançons d’un bonheur factice, sont devenus des dogmes, révélateurs d’une pensée unique dans de trop nombreux champs de notre société.

Il convient en second lieu d’éliminer le risque sémantique, voire la tentation, qui consisterait à réduire et assimiler le concept de nation à celui de nationalisme. La nation est rassembleuse d’idées et de valeurs alors que le nationalisme est la traduction politique d’une vision partielle et souvent étroite de cette même nation, dans le but d’en faire un mode de gouvernance étatique. La nation à laquelle nous nous réfèrerons dans ce travail ne saurait s’entendre comme étant seulement fondée sur un territoire donné et borné, une langue et une culture communes mais aussi et surtout sur une volonté à mettre en œuvre des idées communes, des valeurs partagées quant à l’essence du bonheur et de la liberté des peuples qui souhaitent former nation.

Enfin, cette approche nous permettra peut-être de considérer que le repli sur soi, sur ses peurs et sur des certitudes ne saurait être le ferment d’une société plus juste et plus éclairée. L’histoire de l’humanité est celle du partage et de la coopération. Parfois pour le pire, plus souvent pour le meilleur ; il n’y aurait pas de progrès sans ce déséquilibre et sans utopie.

La nation n’a de sens que si elle symbolise un espace ouvert, généreux, un lieu d’échange et de brassage des idées et des différences lorsqu’elles peuvent faire naître un avenir commun sur des échelles plus larges et plus hautes que celles d’un territoire, d’une communauté ou d’un pays. La pandémie mondiale qui nous touche démontre que les solutions ne sont pas toutes à trouver à l’échelle de chaque pays. À défi universel, réponse universelle. Le maçon, on peut l’espérer, aspire à cette universalité ; sans toutefois se tromper jamais sur le fait qu’elle ne peut être le fruit que d’un labeur qui exige humilité et volonté, persévérance et lucidité.

Il s’agit sans doute de régénérer l’idée de nation et de muscler cet idéal. Nous sommes à un moment charnière où il ne s’agit plus seulement de « revenir » mais bien de « devenir ».

Si de très nombreux acquis de nos sociétés sont à conserver dans leur principe, la référence à un « âge d’or » n’est cependant pas de mise. Au contraire, la catastrophe sanitaire que nous vivons, qui se déploie aussi dans les têtes et dans les institutions humaines, met en relief les nombreuses fissures qui fracturent nos sociétés. Elle ne les a pas créées. Elle met aussi en exergue les élans d’une générosité insoupçonnée, véritable moteur de la résilience. Sortir « meilleurs » de la crise, c’est aussi lutter contre l’oubli historique des crises antérieures (dont l’humanité n’a que peu retenu la leçon), contre l’indifférence habituelle lorsque l’on n’est pas soi-même touché par le risque et lutter contre la peur, mauvaise conseillère qui induit des comportements égoïstes et brutaux là où la solidarité doit primer. Quel peut être cet idéal, quels peuvent en être quelques moyens ?

Le groupe de travail préconise 4 axes de réflexion : la solidarité, le respect du vivant, une économie solidaire, une éthique démocratique.

La solidarité

Nos systèmes politiques, sociaux et économiques sont articulés autour de la notion de croissance et de profit, dans une optique essentiellement libérale. Le moteur en est une économie financiarisée et tout le « reste » est prié de suivre et de s’adapter à ce dogme.

Ils instituent la prééminence du bien matériel, de la rentabilité et de la marchandisation à une échelle planétaire, au mépris de l’efficience sociale, de la solidarité et du lien humain.

Ce constat n’est ni neuf ni original et de nombreuses voix, habillées ou non de jaune, s’étaient déjà élevées pour le dénoncer mais la crise actuelle en révèle toutes les limites et tous les aveuglements.

Certes, il existe un système redistributif et la France n’a pas à rougir de ses nombreux dispositifs sociaux, publics et privés, lorsqu’on les compare aux systèmes de santé et d’assurances sociales existant dans de nombreux pays (lorsque ces systèmes existent).

Toutefois, l’égalité réelle est loin d’être atteinte lorsque ces dispositifs d’assistance échouent à assurer le minimum vital des populations les plus fragiles, les plus précaires, les plus vulnérables.

Il y a certes tous ces métiers sous-évalués voire méprisés par la hautaine froideur des plans économiques et qui se révèlent aujourd’hui essentiels au cœur de la catastrophe.

Pour tous ceux-là, véritable « chair à canon » du Coronavirus, une simple aumône sous forme de primes et quelques applaudissements du soir ne suffiront pas. Il y a aussi d’autres vulnérabilités qui se font jour en marge de la crise sanitaire, soit à cause des seuls moyens de lutte actuellement à notre disposition (confinement, distanciation sociale, fermeture des écoles) soit à cause de situations économiques induites, inédites dans leur ampleur.  C’est donc tout un système de solidarité qui mérite d’être revu à l’aune de l’utilité sociale et de l’égalité réelle. Beaucoup d’inactifs et de travailleurs précaires restent encore trop éloignés des politiques de soutien. Au passage, l’idée d’un revenu universel refait surface un peu partout en Europe et mérite assurément d’être réétudiée. Nul ne peut prédire que de nouvelles catastrophes sanitaires et économiques ne frapperont pas et ce revenu, qui n’est pas seulement un amortisseur technique de plus, permettrait sans doute à tous, sans exception, de faire face au cumul des difficultés (sanitaires, économiques, sociales) avec un minimum de dignité. Ce n’est pas suffisant et il faudra sans doute réétudier les écarts absurdes entre les catégories de revenus sans référence à une quelconque utilité sociale. Une politique plus redistributive de la richesse nationale s’imposera nécessairement. Enfin, et surtout devrait-on dire, une société de l’empathie, de l’attention à l’Autre doit guider les choix politiques pour une société plus résiliente et plus fraternelle. Il s’agit en particulier de refonder les liens intergénérationnels mis à mal par l’individualisation des comportements, il s’agit de promouvoir le respect et le partage, il s’agit de mutualiser le bonheur. Les multiples exemples que nous vivons (et qui se développeront plus encore lorsque la crise économique fera ses ravages) resteront peut-être ancrés dans nos pratiques solidaires. C’est à espérer mais ce bénévolat ne sera pas suffisant. De la même façon, il est important de se reposer sur une société formée, éduquée, responsable et autonome. Notre socle éducatif est bousculé mais reste solide. L’isolement actuel démontre combien l’école républicaine, en tant que lieu de socialisation, manque aux familles les plus fragiles, aux élèves les plus vulnérables. Il laisse encore trop de personnes en détresse au bord de la route. La fermeture des cantines en est un exemple mais d’autres constats sont inquiétants pour l’avenir : fractures numériques et illettrisme sont autant de ferments pour les inégalités de demain, notamment devant les nouvelles formes de travail et de communication à distance qui se profilent. Certaines de ces fractures pourront sans doute être comblées matériellement par une mise à niveau massive des moyens de communication entre les citoyens ainsi que des nouveaux modes d’accès au savoir. Le développement des outils numériques de façon égale sur les territoires (fin des zones blanches) et une formation adaptée s’imposent aujourd’hui comme des évidences vitales, en particulier dans le secteur de l’enseignement. Quant à la responsabilisation, si elle l’affaire de tous (individus, associations, agences publiques, corps de santé et de protection…), elle ne peut également procéder que d’une culture de la responsabilité et de l’autonomie, inculquée dès le plus jeune âge. Il en va ainsi de la culture de préparation aux risques, en particulier ceux liés à la sécurité civile. Enfin, le rapport au travail doit être profondément repensé en termes de solidarité et de redistribution : ni l’Homo Economicus, ni l’Homo Ubéricus ne sauraient être nos finalités.

Le respect absolu du vivant, un choix de civilisation

Nos modes de production et de consommation, soumis à l’impératif de la mécanique économique mondiale déjà décrite, production intensive à bas coût et recherche d’une haute rentabilité immédiate, nous ont menés à bousculer nos écosystèmes de façon dramatique. Là encore, le constat n’est pas neuf mais l’origine de la nouvelle zoonose qui frappe l’humanité est à rechercher dans un aveuglement proprement suicidaire (dérèglement climatique, destruction de la biodiversité, des territoires naturels d’autres espèces et nouvelles cohabitations avec le règne animal, déforestations etc…). Cette pandémie n’est d’ailleurs que l’un des aspects d’autres perturbations mortifères si l’on y ajoute celles dues aux pollutions ou aux canicules.

L’urgence consiste donc à rechercher les voies d’un développement plus respectueux de la nature au sens large et à appliquer ce qui peut déjà l’être, en l’imposant si nécessaire. En premier lieu, il convient de penser une forme de décroissance dans les secteurs les plus polluants, en particulier ceux qui ont un impact sur le réchauffement climatique et son cortège de catastrophes (feux, canicules, inondations, cyclones…).

Il s’agit de diminuer, progressivement mais significativement, l’empreinte carbonée de nos activités, ce qui passera nécessairement par une réduction drastique de l’utilisation des énergies les plus polluantes (avions, bateaux de croisière, voitures, chauffage des habitations, rejets industriels massifs…) au profit d’une consommation et d’une mobilité « vertes ».

De nombreuses expériences existent déjà (modes de transport décarbonés, nouvelles urbanités, déconcentration des grandes villes…), générant de nouveaux modes de vie.

Une recherche technologique intensive dans cette direction mérite d’être planifiée, ainsi que l’accompagnement à la production de ce qui existe déjà.

La communication sera essentielle afin de ne pas vivre cette écologie comme une punition – la punition du réel est déjà bel et bien là – ; elle ouvre une voie largement préférable au retour aux schémas anciens.

Une économie plus solidaire, plus proche et plus sûre

Sur un plan économique et industriel, on ne peut que constater certaines urgences de bon sens. La relocalisation – en France et en Europe – des moyens de production de biens essentiels afin d’éviter la dépendance stratégique. Des chaînes d’approvisionnement courtes doivent être réimplantées : chaîne agro-alimentaire, matériels médicaux et paramédicaux, production pharmaceutique, énergie bien sûr ainsi que les ressources électroniques. Ces moyens sont à considérer au même titre qu’une arme de défense nationale. La nationalisation totale ou partielle d’activités de service ou de création de biens élémentaires qui permettrait de sauvegarder un socle de liberté dans les choix politiques et économiques, au-delà des seuls critères de rentabilité. Le développement d’un service public fort. Combien de services publics avaient-ils la tête sur le billot budgétaire : hôpitaux, écoles, recherche, agro-alimentaire, transports, énergie, télécommunications, médias, poste… ? Ces services de base au public constituent, dans leur principe et leur action, une fortune nationale précieuse à ne pas dilapider. Le service public est par ailleurs formidablement créateur de lien social.

Un dégonflement de la bulle financière mondiale qui asservit au profit d’une minorité opaque tous les systèmes de production et, en bout de chaîne, les humains qui y contribuent ; sa taxation permettrait sans doute de financer de nouvelles solidarités. Toute activité devrait être estimée et bonifiée en fonction de sa contribution au bien des population ; dans cette optique, le droit des sociétés devrait inclure cette notion comme une plus-value et un critère d’accès aux aides publiques. Une solidarité internationale s’impose en matière budgétaire. Les règles qui gouvernent l’économie européenne et mondiale doivent être bousculées au nom d’un impératif démocratique. L’actualité nous parle beaucoup de la mutualisation de la dette des pays dits « riches » et de l’abandon pur et simple de la dette des pays en voie de développement, véritable poudrière mondiale susceptible de provoquer de nouvelles guerres de subsistance et d’importants flux migratoires incontrôlés. On pourrait utilement réétudier les mécanismes budgétaires et fiscaux, à l’échelle de l’Union européenne afin de favoriser plus de solidarité entre nations.

Pour beaucoup d’états (dont certains s’affranchissent des règles démocratiques, comme la Hongrie ou la Pologne) et de sociétés multinationales, la tentation est grande d’instrumentaliser l’urgence sanitaire afin de faire passer ces réflexions au second plan. Cette tentation paradoxale est déjà palpable au niveau européen où, par exemple, de nombreux pays souhaitent détourner les budgets liés à la lutte contre le réchauffement climatique en vue de la seule résolution de la crise sanitaire et de la lutte contre les flux migratoires. Soyons lucides, il y a beaucoup d’intérêts en jeu et l’« ancien monde » ne disparaîtra pas aussi facilement. Ce ne sont là que quelques exemples de possibles, sans souci exhaustif, mais ils réclament tous qu’existent les conditions d’une union nationale. Une vie démocratique forte est la base d’une éthique du « faire nation ».

La responsabilité éthique démocratique

Quelle que soit sa légitimité démocratique, aucun gouvernement n’a vocation à agir seul dans ce domaine. S’entourer de multiples conseils scientifiques, économiques et sociaux est sans doute utile à l’élaboration de choix rationnels, nécessairement politiques, mais il convient d’y associer mieux le citoyen. Comment ? Par le biais naturel d’un Parlement revivifié mais aussi d’institutions locales représentatives et puissantes ainsi que de corps intermédiaires significatifs. L’hypercentralisation de la décision, à la fois force et faiblesse historique du processus étatique en France, n’est pas toujours un gage de liberté, d’égalité et de sécurité pour tous les citoyens. L’appareil apparaît trop centralisé, sclérosé, uniforme ; il manque à la fois de souplesse, de réactivité et de créativité. Il convient donc de repenser les termes non pas d’une simple déconcentration des pouvoirs mais bien de leur décentralisation réelle, assortie d’une meilleure autonomie de décision locale dans les domaines les moins régaliens, pour une démocratie locale au plus près des citoyens. En matière de sécurité civile par exemple, les autorités locales devraient disposer de moyens accrus et d’une plus large autonomie d’action, même si celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une feuille de route nationale. Si le système majoritaire, dont la qualité principale est de déboucher sur des gouvernances stables, doit être globalement maintenu, il demande néanmoins à être doublé d’une meilleure représentativité des idées, en favorisant les coalitions plutôt que l’affrontement partisan et idéologique systématique. La crise n’est pas l’affaire d’un parti. La recherche de l’union, de la synthèse et du compromis a déserté les allées du pouvoir central, un pouvoir présidentialisé et personnalisé à outrance, parfois au mépris du rôle exécutif des ministères eux-mêmes, du Parlement aussi dont la fonction de représentation, de contrôle et de régulation est de plus en plus estompée, des grands corps de contrôle de l’État (Conseil d’État, Conseil Constitutionnel), de la Justice, garante des libertés publiques, des oppositions politiques et des corps intermédiaires. Par la contrainte du réel – car la crise n’est pas l’affaire d’un parti ou d’une idéologie -, la situation actuelle démontre pourtant l’utilité de cette architecture institutionnelle et constitutionnelle, surtout lorsque l’union nationale s’impose.

La dérogation à ce système et les procédures d’urgence que nous connaissons doivent rester factuels, temporaires ou de circonstance, soumis au vote du peuple. Pour les modifier, un referendum citoyen s’imposerait naturellement. Il convient également de rompre avec la professionnalisation de la vie politique, d’éviter le cumul des mandats électoraux, d’introduire la proportionnalité dans l’une des deux chambres, de limiter le recours aux ordonnances, de favoriser la démocratie locale. Dans un système politique efficace, le politique doit connaître la réalité du terrain par ses propres sources. Il doit se garder des réseaux médiatiques et sociaux qui font et défont l’opinion au détriment de la connaissance. Ces réseaux et les lobbies qui les guident favorisent l’émergence de nombreuses structures parasites intermédiaires trouvant parfois une traduction institutionnelle hasardeuse. Il n’est que de compter toutes ces agences publiques qui pullulent dans tous les domaines et ces « Comités Théodule », avec leurs fauteuils à dorure et leurs rentes. Ils brouillent et surchargent le paysage démocratique institutionnel. Il serait plus utile de créer des assemblées citoyennes à spectre large, comme cela a pu se faire pour le climat, afin de tempérer une parole publique souvent confisquée par le théâtre des experts, parfois autoproclamés ou fabriqués par des médias peu scrupuleux.

L’expertise reste une affaire sérieuse, en tous domaines et, au même titre que la recherche, elle doit être maintenue à un haut niveau intellectuel. Cependant, face aux inévitables divisions des écoles et des doctrines, l’éthique politique et démocratique impose de trancher en tenant compte de l’avis des peuples.

Et puisque guerre il y a, c’est bien l’esprit du Conseil national de la Résistance qu’il faut retrouver, pour aller à l’essentiel, toutes forces confondues. Pour faire Nation.

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