Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Nos travaux philanthropiques ne doivent-ils pas entrer dans l’ère de l’humanisme écologique ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : ConservationnismeDéveloppement responsableEnvironnementMilieuNaturePréservationnisme

Les raisonnements écologiques sont fondés sur un type de relation homme-nature. On ne peut s’interroger sur un changement « d’ère » humaniste, qu’en comprenant l’évolution des concepts qui caractérisent cette relation. Cette évolution laisse des traces dans la façon dont chaque société conçoit aujourd’hui l’écologie. Nous nous efforcerons de démontrer de quelle manière l’avènement de l’ère de l’humanisme environnemental peut être fondée sur une éthique de responsabilité, du local au planétaire.

De la nature sans l’homme à la nature avec l’homme

La nature est un concept culturel. Chaque société l’interprète différemment. Ainsi les Chinois, les Européens ou les Américains n’ont-ils pas les mêmes concepts, la même histoire ou les mêmes pratiques des relations à la nature. Il n’y a pas d’universalisme « écologique », en revanche, il existe une géopolitique de l’écologie, façon d’imposer son concept de relation homme-nature aux autres.

Penser la nature a été la première démarche humaine pour interroger le monde et se positionner par rapport à lui. Les religions animistes et polythéistes furent une première réponse : pour un phénomène, une causalité, un dieu, un esprit. Le premier grand traité de la nature, la physique d’Aristote ne dit pas autre chose. Il traite de l’homme comme d’un élément naturel, dont la physique est de parler (zôôn logon) et de s’organiser en société (zôôn politikon). L’idée que l’homme et la vie sociale ne sont que des éléments d’une nature réglée par des lois physiques constituera un continuum scientifique, d’Aristote aux climatosceptiques, qui ne peuvent admettre que la planète est déterminée par l’homme. Beaucoup voient dans le coronavirus une loi naturelle de contrôle des espèces…

Au XIXe siècle, les progrès de la physique et le scientisme structurent ces idées. Le concept de milieu nait (1850). Les différents déterminant physiques (sol, climat, hydrologie, vivant) forment un « milieu naturel » d’où émergeraient les sociétés. Certains milieux naturels étant plus anthropisés que d’autres, se développe alors l’idée d’une évolution naturelle de l’homme, de celui qui est resté le plus proche de la nature, sauvage ou animal, à celui qui s’en émancipe le plus. Appliquant l’évolutionnisme aux sociétés, A. de Gobineau ou J.F. Blumenbach développent le concept de races et de « milieux géographiques ». Sur la planète qu’on vient de découvrir dans sa totalité, on repère des « milieux naturels », peuplés de « races inférieures » qu’on pourra étudier soumettre ou éliminer. Et puis il y a des « milieux géographiques » où des « races supérieures » sont en interaction avec la nature, dans une relation médiane. Du naturalisme social et du racisme naîtrons le colonialisme, le code de l’indigénat ou le nazisme, exemple de théorie naturaliste qui vise à réinstaurer la race naturelle dominante (l’Aryen incarnée dans l’Allemand) remise en cause par des aléas sociétaux (Juifs et Slaves). Une tentation écologiste, prônant une nature qui reprendrait ses droits, ou amenant un équilibre entre une nature indépendante et une société autolimitée pour ne pas contrecarrer un projet naturel (divinisé en l’espèce) a déjà montré ses limites.

La nature dominée par l’homme : urgence planétaire vs développement durable

   Cinq révolutions vont remettre en cause le dogme de loi naturelle (qui pour certains résistent encore) :

   – la révolution éthique : les conséquences du naturalisme sociale à l’origine des premiers génocides, obligent, au nom d’un impératif éthique, à revoir les hiérarchies imaginées par la relation Nature-Homme ;

   – la révolution physique : avec la bombe A, non seulement l’homme devient maitre de la matière (atome), mais il a concrètement la capacité de détruire la planète, il est, de fait, le déterminant N°1 de son existence et de l’existence de la nature ;

   – la révolution biologique : Le gène (1953) et la maîtrise du vivant induisent la fin scientifique du racisme, les variations génétiques au sein d’une espèce sont infimes et non déterminantes des facteurs sociaux. On peut recréer ou inventer le vivant ;

   – la révolution géo-sociale (années 60) :  l’espace social est déterminé par les lois sociales et non par des lois de la nature. Il n’existe aucun déterminisme physique, le temple rue Cadet n’est pas le produit de l’éocène supérieur, la couche géologique sur laquelle il est construit… ;

   – la révolution environnementale (novembre 1988) : création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à la demande du G7. Le dérèglement climatique à l’échelle de la planète, qui modifie les déplacements de masse d’air, le niveau des océans, la composition chimique de l’atmosphère, les processus érosifs, etc. est déterminé par un mode d’organisation économique et sociale et non par la nature. 1992, Conférence de Rio sur l’Environnement : le « milieu naturel » n’existe plus, la nature est un « environnement » de la société, perçu, construit et modifié par elle. L’homme se retrouve en position de démiurge, impliquant des devoirs, vis-à-vis de sa propre existence et des phénomènes vivants (biodiversité). La notion de durabilité apparaît et devient un facteur de gestion fondamental. L’unité physique anthropique devient l’empreinte carbone.

   Le coronavirus, propagée par la mondialisation des échanges et des transports, est traitée de manière sociale, avec des « gestes barrières », la fermeture des frontières, et provoque des conséquences qui, selon les interprétations, sont plus économiques ou sociales que physiques. La pandémie a révélé presque instantanément et à l’échelle mondiale, l’adaptation d’un phénomène naturel (un virus) à nos sociétés.

   Outre les oppositions ou les résistances à ces révolutions, sont nées deux doctrines antagonistes, d’inspiration américaine : le préservationnisme et le conservationnisme. D’un côté la volonté de stopper radicalement les activités anthropiques, de protéger des pans entiers de la planète de l’action de l’homme, avec comme corollaire la décroissance et l’antispécisme, défendue par de puissantes ONG (WWF, Greenpeace). De l’autre la prise en compte modérée et progressive des responsabilités sociétales, impliquant une transformation des représentations, puis des pratiques, puis des structures économiques, dans une logique de développement durable. De nouveaux acteurs apparaissent, comme Nia Terra, fondation dotée de 350 millions de dollars pour protéger « une nature anthropique ». L’homme est ici un acteur dominant suffisamment nécessaire pour que la protection se fasse avec lui et éventuellement pour lui. Le big white (polaire), le big blue (océanique), le big green (forêts humides) et peut être le big red (déserts) sont à penser avec les populations locales et non plus contre.

L’ère de l’humanisme environnemental est fondée sur une éthique de responsabilité, du local au planétaire.

   L’humanisme est donc environnemental. Personne ne peut en faire l’économie et la Maçonnerie, association philanthropique et progressive, n’y échappe pas. Jamais, nous n’avons eu autant la capacité de fabriquer notre « biotope », jamais nous n’avons eu autant de mal à accepter les responsabilités que cela imposait, des actes du quotidien aux grands projets universels. Jamais le monde (la totalité en latin) n’a aussi bien collé avec la planète. Ainsi, boire, se nourrir, bouger, se réunir, impacte le système planétaire. L’ère de l’humanisme environnemental est celle d’un changement profond d’échelle, qui amène à comprendre son rôle dans le monde et à agir en conséquence. Il est difficile de se faire à cette inversion scalaire, où le geste local fait le monde et non l’inverse. Cette révolution des échelles n’oblige nullement à développer la haine ou la peur de soi. Elle suppose cependant des actions concrètes, individuelles et collectives, pour conserver ce que nous sommes (la planète constituant une archive naturelle des sociétés humaines) et donner le droit aux générations futures de choisir aussi leur relation à la nature.

   L’éthique environnementale n’a de sens que dans des actions concrètes, qui consistent à protéger cet environnement, autant le vivant que le bâti, autant la forêt que la ville, autant les paysages que les arts qui les représentent. Le passage du préservationnisme (protéger contre l’homme) vers le conservationnisme (protéger avec et pour l’homme) doit être accompagné, dans les travaux maçonniques, avec une question systématique à l’étude des loges sur ces sujets, comme dans des actions profanes consistant à améliorer la connaissance, le droit, l’économie du développement durable. Jamais la nature n’a été aussi humaine, il faut la rendre humaniste.

Proposition phare : créer une sixième question à l’étude des loges consacrée l’humanisme environnemental.

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