Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

L’an zéro d’un nouveau récit collectif ?

Respectable Loge, Action, Orient de Paris, Région non renseignée

Mots Clefs : AlternativeAltruismeIndicateursParadigmeRevenu universel

Le besoin d’un récit fédérateur

La crise sanitaire qui s’est abattue sur nous et qui continue de marquer nos vies est frappante à plus d’un titre. Pour la première fois dans notre Histoire, la majeure partie de l’humanité a été confrontée à la même menace tandis que la machine productiviste mondiale se retrouvait au point mort, que les entreprises se vidaient et que les frontières se fermaient.

Cette pandémie est un bouleversement qui rend notre avenir nébuleux sinon angoissant et nos projets de vie restent ainsi hypothéqués face à un dénouement de crise qui paraît toujours incertain. Pour beaucoup d’ailleurs, cette crise n’est que le signe avant-coureur d’une période encore plus chaotique car liée à la crise écologique globale.

Même si nous avons tous vécu de manière diverses le confinement, l’urgence sanitaire a pu nous amener à interroger nos priorités et à nous concentrer sur l’essentiel. Déstabilisés dans nos routines quotidiennes, nous avons pu prendre conscience de la valeur de nos liens sociaux et à quel point la distanciation pouvait nous affecter. Dans ce moment de longue suspension, nous avons été nombreux à nous interroger sur le chemin parcouru ces dernières décennies avec le sentiment que nous « marchons sur la tête » et qu’il est urgent de rectifier notre trajectoire collective.

Pour cela, nous avons besoin de partager une vision commune, de pouvoir nous projeter vers un avenir désirable. Dans le passé, notre civilisation a ainsi pu se rassembler autour de grandes idées et de projets qui se sont toujours traduits par des récits collectifs fédérateurs. Pour ne pas laisser s’installer la peur du futur et la désertification des imaginaires, nous sommes aujourd’hui convaincus qu’il est nécessaire de construire et de promouvoir un tel récit, essentiel pour relever les défis qui nous attendent à très proche échéance.

Un monde à bout de souffle

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les nations occidentales se sont reconstruites autour d’un récit mobilisateur : celui de la Croissance économique. Dans un monde alors pacifié, un âge de « raison » ouvrait la voie à un nouveau contrat social. Ainsi les sacrifices consentis pour relever le pays contribuaient aussi à l’amélioration progressive des conditions de vie, y compris pour les générations à venir.

Efficace jusqu’au début des années 1970, ce modèle de développement est arrivé au bout de sa logique. Le bilan actuel est catastrophique du point de vue de l’emploi, du chômage, des inégalités et de l’état de la planète. En effet, malgré tous les plans de relance et toutes les campagnes de libéralisation économique, la dynamique des Trente Glorieuses est derrière nous. Pour des prix Nobel d’Économie tels que Elinor Ostrom, Joseph Stiglitz ou Amartya Sen, il est même urgent de renoncer à la croissance ! De même, pour Eloi Laurent, professeur à Sciences Po et à l’université de Stanford, la croissance « est borgne quant au bien-être économique, aveugle au bien-être humain, sourde à la souffrance sociale et muette à l’état de la planète ».

Pourtant, le PIB (Produit Intérieur Brut), basé sur l’accroissement sans fin de la production de biens et services est aujourd’hui l’unique boussole des nations. Le productivisme mondialisé est le modèle dominant et l’idée qu’il n’y a pas d’alternative s’est imposée. Selon ses partisans, toute autre direction ne pourrait être que régression ou tyrannie.

Face au dogme de la croissance, un nouveau récit a pourtant pris de l’ampleur et s’impose peu à peu : celui de l’effondrement qui nous guette ! Ce courant de pensée gagne les esprits et trouve des échos largement au-delà des cercles écologistes. Il est alimenté par de nombreux chiffres et études dont le pilier reste les rapports du GIEC. Si ce récit a le mérite d’ouvrir brutalement les yeux sur le pire, il peut aussi provoquer déni et rejet chez certains, voire stupeur et renoncement pour d’autres.

Il est en effet de plus en plus fréquent d’entendre des discours mortifères se développer chez les jeunes qui, quand ils sont interrogés sur leurs projets d’avenir, répondent que leurs études n’ont pas de sens sinon d’entretenir la marche folle du système et qu’ils ne souhaitent pas avoir d’enfants pour leur épargner les âges sombres à venir.

Pourtant, les bonnes volontés n’ont pas attendu aujourd’hui pour mener des projets qui osent la voie de la bifurcation. Depuis déjà la fin du siècle dernier alors qu’émergeait la conscience et la connaissance des dégâts de notre modèle de société, des pratiques plus locales telles que les systèmes d’échange locaux (les SEL), le développement des communs pour préserver ce qui est trop souvent privatisé, ont permis de montrer la viabilité ainsi que la résilience de ces alternatives. Cette approche localiste promue par le britannique Rob Hopkins à la tête du réseau pour les Villes en Transition fait déjà tâche d’huile et fédère de plus en plus de communes décidées à prendre en main leur avenir.

Ces initiatives sont peu médiatisées et ne touchent qu’un public déjà convaincu. Qualifiés d’oasis par leurs promoteurs car sources d’espoirs et de vie au cœur d’un système qui assèche toujours plus la planète et les sociétés, ils sont les germes d’un autre récit qui peut nous permettre de « recoloniser le futur » par l’imagination et l’anticipation comme y appelle le scientifique philosophe Etienne Klein.

Trois piliers pour un futur désirable

Si la crise sanitaire actuelle est bien un signal d’alarme, elle peut aussi être comprise comme une opportunité. 2020 pourrait-elle être l’année zéro de ce nouveau récit ? Un objectif aussi ambitieux demande de mener la bataille des idées sur trois fronts : celui des politiques gouvernementales, celui des dogmes économiques et enfin celui des consciences individuelles.

Pour le premier, tous les gouvernements qui se sont succédés ces dernières décennies n’avaient comme seule boussole que la croissance du PIB, donc de l’emploi et de la consommation des ménages.

Cette croissance n’est pas un modèle durable ni tenable et le récit qu’elle génère aujourd’hui nourrit le sentiment de déclin et fournit un terreau fertile pour les idéologues du repli identitaire et du retour à un ordre ancien fantasmé.

Proposons des indicateurs alternatifs à nos gouvernants, contribuons à les promouvoir pour qu’ils mesurent et valorisent des progrès à la hauteur des défis qui nous attendent. Le travail a déjà été en partie accompli par des organismes internationaux comme le PNUD au niveau international ou national comme l’OFCE. Au moins une dizaine d’indicateurs complémentaires au PIB ont été identifiés et intègrent l’éducation, la santé ou encore la biodiversité. Certains pays comme le Népal ou le Costa Rica les ont mêmes adoptés et sont maintenant rejoints par la Nouvelle Zélande.

Il est désormais impératif que ces indicateurs soient largement adoptés et deviennent la jauge des gouvernements en place et à venir. Mieux encore, ils doivent être complétés par des travaux permettant de mieux quantifier l’empreinte écologique en intégrant les coûts environnementaux et sanitaires en négatif et en précisant les moyens de mesurer le progrès du bien-être.

Pour ce qui est des dogmes économiques, il est temps aussi de sortir du cadre productiviste pour proposer des modes de revenus alternatifs à l’emploi salarié considéré encore comme seule clef valorisante de l’intégration sociale.

Le revenu universel inconditionnel tel qu’il a été théorisé ces dernières années et expérimenté dans de nombreux pays nous semble représenter un levier majeur pour la mise en œuvre du nouveau récit que nous appelons à construire. Ainsi, un tel dispositif pourrait devenir la colonne vertébrale d’une nouvelle société.  Les expérimentations récentes montrent en effet que les bénéficiaires voient leur santé physique et psychologique s’améliorer significativement, qu’ils ont tendance à plus s’investir dans des activités utiles à la collectivité ou pour leur développement personnel.

Le revenu universel s’avère une source d’émancipation, il permet de libérer les énergies, d’expérimenter. Les citoyens, fort de leurs compétences peuvent contribuer à la collectivité sans craindre la précarité. Le travail au sens large, le plus souvent invisible, pourrait alors entrer dans l’équation d’une nouvelle économie, contributive et solidaire au service de l’intérêt général.

Pour finir, le succès de ce nouveau récit repose sur un changement des mentalités et l’éducation a un rôle majeur à jouer dans cette mutation. Les recherches récentes issues des sciences cognitives et de la pédagogie montrent que l’empathie et l’altruisme peuvent être cultivés dès le plus jeune âge. Les résultats des expériences menées aux USA et les programmes déjà en place dans les écoles scandinaves, se traduisent immanquablement par plus d’ouverture, de dialogue et d’engagement, moins de conflits et plus de progrès.

L’Éducation Nationale devrait s’emparer de cet enjeu et intégrer ces pratiques et méthodes pour former des citoyens prêts à contribuer en bonne intelligence à l’effort collectif. Grâce à cette véritable révolution altruiste, condition indispensable à l’engagement responsable des individus, nous serons capables d’outiller les nouvelles générations pour s’adapter au monde de demain et pour construire ce nouveau modèle de société plus sobre et résiliente.

Alors ce nouveau récit pourra se déployer et inspirer les générations futures : non plus celui de la domination et l’exploitation, mais bien celui de l’intelligence avec autrui et avec le monde.

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