Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Que veut dire réussir sa vie ?

Respectable Loge, Le Nouveau Siècle des Lumières, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : ÉcoleÉtatLibertéSécuritéSolidaritéValeurs

Alors que nous sommes plus que jamais maîtres de nos destinées, pourquoi cette question est-elle encore un enjeu dans les pays démocratiques et développés ?

Longtemps dans l’histoire de l’humanité, la réussite dépendait avant tout de la chance (souvent perçue comme intervention divine) : tout espoir de survie pouvait être ruiné par de mauvaises récoltes ou une maladie invalidante. C’est d’ailleurs encore malheureusement le cas pour de nombreux humains. Désormais, dans les pays développés, la réussite est davantage une combinaison de chance et de réalisation personnelle, couvrant de plus larges pans de la vie : social, sentimental, familial, économique, intellectuel, spirituel. Chacun peut définir ses propres rêves et aucune aspiration n’est plus contrainte par l’appartenance à une caste ou religion. Cependant, malgré cette plus grande autonomie dans le choix de ses projets et les capacités de les réaliser, pourquoi cette question dépasse le simple cadre de la volonté individuelle ?

Entre la difficulté à définir la réussite, et les limites et contraintes qui l’empêchent

La définition de la réussite est à la fois personnelle, intime, et contextuelle. Cela peut être ‘’d’être satisfait au moment de sa mort’’, ou ‘’de découvrir ce qui nous transporte et l’accomplir’’, ou encore ‘’d’avoir une ambition mesurée pour savoir se passer de ce que l’on ne peut obtenir’’. On pourrait distinguer « réussir sa vie » et réussir « dans la vie », ou considérer que la question est un piège (injonction liée à une morale) voire un mythe (comment réussir si je suis déterminé par mon milieu) ?

La définition fréquente qui est ‘’de réaliser ses rêves d’enfant’’ nous interroge plus profondément que les autres définitions sur la notion d’idéal. Car cela pourrait être le signe que nos objectifs de vie sont dévoyés, une fois devenu adulte, par des principes de réalité et d’injonctions sociales. L’idéal de l’enfance serait à la fois simple et noble, et pourrait être ainsi comparé à la vision qu’Aristote a de la ‘’vie bonne’’ telle que pensée dans l’Antiquité : ni dédiée aux seuls plaisirs, ni sous le joug de l’honneur et donc de l’avis d’autrui, ni soumis à l’avidité de richesse pour elle-même. L’enfant souhaite juste faire ce qui lui plait, parfois ce pour quoi il pressent être doué. Il ignore l’injonction de la réalisation de soi, du bonheur autant que celle de productivité, de contribution économique. Il ne calcule pas qu’il pourrait travailler beaucoup pour en profiter plus tard, il ne pense pas à déléguer des taches de la vie courante (ménage, cuisine, couture, élever ses enfants, prendre soin de ses aïeux, etc.) pour pouvoir se consacrer pleinement à son objectif de réussite. L’enfant fait l’expérience des petits plaisirs qui apportent autant de joie que l’abondance de jouets. L’enfant n’a pas spontanément un idéal de spécialisation, car il sait qu’il évolue, et qu’il peut aujourd’hui se passionner pour les dinosaures et dans quelques mois s’investir dans la peinture. Enfin, l’enfant ignore qu’il est contraint par des déterminismes sociaux et économiques. Cet idéal de l’enfance se confronterait ensuite aux contraintes économiques et sociales de la vie d’adulte.

Cependant, quelle que soit la définition choisie, il serait absurde de se dire que l’on réussit ou rate sa vie sans nuance. Nos vies sont faites de choix successifs et il est impossible de tous les rater ou réussir, tout autant que de savoir avec certitude qu’un autre choix n’aurait pas apporté une vie meilleure. Souvent même un échec nous enrichit. Par ailleurs, nous jugeons de nos succès en comparaison de la situation de nos pairs, car nous ne mesurons pas seulement notre réussite à l’aune de nos objectifs personnels, mais de standards collectivement validés. Cette équation complexe, avec de multiples paramètres parfois inconnus de nous-même, nous pousse à reconsidérer souvent nos objectifs ou désirs tout au long de nos vies, dans l’espoir d’un bonheur, d’une sérénité, d’un accomplissement, d’un apaisement, même relatifs.

Mais tout projet de réussite est-il pourtant forcément ‘’bon’’ ? Que penser d’un projet de réussite personnelle qui serait incompatible avec le bien-être collectif ? La somme des intérêts individuels ne garantit pas l’intérêt collectif, et il serait sage à ce titre d’étudier de plus près un des mythes fondateurs du libéralisme économique : la ‘’main invisible’’ d’Adam Smith. Le père de l’économie politique voulait mettre en avant les conséquences non intentionnelles et bénéfiques de certaines actions individuelles, mais selon lui la raison humaine est un instrument faillible qui ne garantit pas la propagation et le bonheur de l’espèce (cf. Delemotte). Il conviendrait dès lors de considérer nos objectifs au regard des valeurs qu’ils portent. Socrate parle ici d’éthique comme ‘’qualité de vie’’. De plus, la réussite collective peut être enthousiasmante, d’autant plus que de très beaux projets naissent de la réunion de forces éparses (les Restos du Cœur,…) « Rire souvent et beaucoup, gagner le respect des gens intelligents et l’affection des enfants, savoir qu’un être a respiré plus aisément parce que vous avez vécu. C’est cela réussir sa vie. » (R.W. Emerson)

Si nous acceptons de vivre dans un univers contraint, pourquoi ne pas définir nous même le cadre de ces contraintes ?

Sommes-nous prêts à reconnaître que notre organisation économique favorise la grande réussite d’un petit nombre au détriment de la majorité ? Entre 1983 et 2015, le revenu moyen des 0,1% les plus aisés a augmenté de 150%, contre à peine 25% pour le reste de la population (cf. Piketty). Sommes-nous prêts à abandonner l’illusion de la méritocratie ? Car rares sont ceux qui n’ont réussi que par leur seul mérite, sans le bénéfice de la chance, d’un héritage économique, social ou culturel. Sommes-nous prêts à reconnaître que nous avons créé de nouvelles classes, après nous être battus en 1789 pour les faire disparaître : la classe moyenne vit souvent dans le ressentiment, jalouse des ‘’privilèges’’ des ‘’héritiers’’ d’en haut et des ‘’assistés’’ d’en bas de l’échelle sociale. Sommes-nous prêts à reconnaître que nous avons la générosité sélective ? Car si nous sommes prêts à partager avec nos proches ou connaissances, la fraternité concerne rarement celui qui m’est étranger, et parfaitement inconnu. Sommes-nous prêts à reconnaître que nous nous indignons davantage de la petite incivilité que de la fraude fiscale, pourtant bien plus dévastatrice pour nos systèmes de solidarité ? Pourrions-nous et surtout souhaitons-nous renoncer à une partie de notre réussite personnelle pour contribuer à un projet plus grand, qui nous dépasse ?

Imaginons une société où la réussite collective serait davantage valorisée que la réussite individuelle (au sens de l’atteinte d’objectifs pour réaliser son bien-être, bien que dans tous les cas il ne soit jamais garanti). Je pourrais me réjouir de contribuer par mon action à la construction d’une société où aucun enfant ne souffre de la faim (en 2019 en France plus de 5 millions de personnes bénéficiaient de l’assistance alimentaire). Je pourrais avec fierté parler de ma contribution, pour que ceux qui n’ont pas la chance de naître dans ma famille bénéficient quand même de ma générosité. Imaginons une société où nous sentons notre interdépendance : comment puis-je réussir ma vie si mes semblables souffrent alors que je pourrais, sans me priver exagérément, contribuer à la réduction de leurs souffrances ? Emile Durkheim, père fondateur de la sociologie française, voyait comme réponse à l’individualisme l’émergence d’une nouvelle solidarité, ‘’organique’’… qui n’est pas encore advenue.

Créer les conditions économiques de la sécurité de tous c’est rendre la liberté à chacun de s’interroger sur la pleine ‘’réussite’’ de sa vie, ou plus précisément : les conditions de son bien-être (cf. pyramide de Maslow). Là où la simple fraternité républicaine a échoué, ayons le courage de la solidarité. Repensons nos valeurs, pour que le bien-être ne rime pas qu’avec famille, emploi salarié, et richesse matérielle. Valorisons ceux qui œuvrent pour le bien commun, la préservation de notre patrimoine collectif (la paix, la sécurité, la stabilité, les ressources naturelles, la santé, etc.). Ayons l’audace d’une nouvelle éthique républicaine, illustrée par nos choix politiques et portée par l’enseignement scolaire :

• définition collective de ce que serait une ‘’réussite collective’’ pour notre société : qu’est-ce que le bien-être ?

• politiques publiques définies selon ces critères de bien-être collectif et pas seulement de croissance du PIB

• plateforme de contribution volontaire (don ou prêt sans intérêt) à des projets publics au choix : recherche fondamentale, éducation, santé, énergie, etc. au niveau local ou national

• création d’une sécurité sociale de l’alimentation (distribution de bons valables uniquement pour des produits agricoles locaux)

• notation scolaire valorisant le travail collectif, l’entraide, l’investissement dans des projets extra-scolaires

• aborder ‘’qu’est-ce que réussir sa vie’’ en cours de philosophie, sans attendre la classe de Terminale

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