Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Anonymat et identité numérique

Respectable Loge, Charles de Montesquieu, Orient de Paris, Région 11 Paris 1

Mots Clefs : AnonymatRéseaux sociaux

En janvier 2020, la vie de Mila, jeune adolescente de 16 ans, bascule. Elle reçoit en quelques jours sur les réseaux sociaux plus de 30.000 messages anonymes, la menaçant, l’injuriant ou appelant purement et simplement à son meurtre. Devant ce déferlement de haine, Mila est contrainte de se cloîtrer, de se déscolariser et finalement, d’être placée sous protection judiciaire.

Qu’a-t-elle fait pour mériter cela ?

Elle a simplement usé des réseaux sociaux pour exprimer librement son opinion, en l’espèce pour donner son avis sur une religion.

Cet exemple, comme tant d’autres, appelle à se poser la question : « Faut-il supprimer l’anonymat sur les réseaux sociaux ? »

La question peut sembler paradoxale car :

  • d’une part, la communication et l’accès à l’information est un privilège, quelque chose d’acquis de haute lutte dans nos sociétés occidentales avec des degrés de maturité extrêmement différents selon les Etats. Vouloir museler l’information ou en restreindre l’expansion serait contraire au principe de liberté et d’accès au savoir ;
  • d’autre part, l’accès accru à une information sans frontière, sans temporalité, sans censure, a ouvert le champ à tout type de communication, de la plus sincère à la plus nocive. A l’instar de l’homme dépassé par les machines qu’il a lui-même créées, l’homme peut aussi être dépassé par un flot d’information devenu ingérable et dont nul n’a le pouvoir d’en vérifier la véracité et l’ampleur de diffusion.

Poser une telle question peut également sembler déroutant dans la mesure où l’Humanité devrait pouvoir préférer une communication sans filtre, de nature à faciliter l’accès au savoir et à la Lumière et donc à combattre l’obscurantisme.

S’interroger sur l’anonymat sur les réseaux sociaux invite alors nécessairement à se poser la question de la compatibilité de leur usage avec l’exercice de la citoyenneté dans une société démocratique.

Il est toujours nécessaire de rappeler que le droit de participation dans la vie politique de l’Etat est un droit octroyé à tout citoyen. Dès Aristote, la citoyenneté se définit par la participation, l’engagement de celui qui est citoyen à agir dans l’intérêt, le respect et l’avenir de la communauté.

Le premier droit du citoyen est ainsi exposé à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « la Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation ». Les droits du citoyen constituent alors la garantie du caractère démocratique d’un Etat.

Le corollaire indispensable au droit du citoyen de participer à la vie politique est la liberté pour chacun de pouvoir exprimer librement ses opinions. Avec l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux, le citoyen a vu sa capacité effective à jouir de ses droits et libertés accrue de manière considérable.

Si, comme l’affirme l’article 11 de la déclaration de 1789, « la liberté de communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme », alors l’Internet est aujourd’hui l’un des instruments les plus précieux de l’un des droits de l’homme les plus précieux.

Cette évolution des outils de la liberté d’expression n’a toutefois pas été sans conséquence. Elle a montré en effet que le contrôle éditorial a priori, à savoir au stade de l’accès aux médias traditionnels, a cédé la place à un contrôle a posteriori, c’est-à-dire, au stade de la sélection des contenus par l’Internaute.

Cette situation a engendré la fin d’une prise de parole normée et ouvert la voie à une libération totale des affects et des subjectivités, le tout aggravé par l’anonymat et l’utilisation du pseudonyme qui entrainent un fort sentiment d’impunité.

L’usage de l’Internet peut même générer une habitude d’anonymat chez le citoyen numérique qui, se croyant invisible et non identifiable, s’autorise des comportements inadaptés à la vie en société, voire illicites à l’instar de l’affaire Mila.

C’est ainsi que les réseaux sociaux sont devenus le vecteur de la diffusion de discours de haine qui n’avaient pas leur place dans les médias traditionnels et dont la visibilité a été augmentée par l’effet démultiplicateur de l’Internet.

Si Internet, et plus particulièrement les réseaux sociaux, sont un formidable espace de libertés, ils ne sauraient en aucun cas constituer une zone de non droit où prospère un marché totalement libre des idées, au sein duquel l’Etat devrait s’abstenir de toute intervention pour ne pas fausser la libre concurrence des opinions. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.

A cet égard, il convient de rappeler que l’article 10-2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme précise que l’exercice de la liberté d’expression comporte de manière inhérente « des devoirs et responsabilités » pour en prévenir un usage irresponsable et dangereux pour l’Etat de droit.

Si la société démocratique se doit d’être tolérante, elle ne doit pas être pour autant inerte. L’Etat a ainsi le devoir de lutter, en toutes circonstances, contre les abus dans la liberté d’expression ouvertement dirigés contre les libertés et droits fondamentaux.

Dans les médias traditionnels tout article est signé par son auteur ou tout du moins publié sous la responsabilité d’un rédacteur en chef qui assure d’ailleurs la responsabilité devant autrui de ce qui est publié. Le journaliste peut être anonyme, ses sources également mais le rédacteur en chef est toujours identifié.

Nous proposons donc d’appliquer cette règle aux réseaux sociaux car il ne saurait y avoir deux poids deux mesures pour des moyens qui, in fine, touchent un nombre équivalent de lecteurs. Il est profondément injuste qu’un vecteur d’information se voit imposer des règles que d’autres vecteurs n’ont pas à suivre.

Chaque compte public devrait donc lors de son ouverture voir confirmée l’identité de son auteur. C’est d’ailleurs déjà vrai pour l’essentiel où la majorité des comptes Facebook, Instagram, tweeter…sont ouverts sous l’identité réelle de leurs auteurs. Elle est déjà également vraie pour tous les utilisateurs de comptes marchands tels Amazon. Dans le cas d’un compte ouvert pour un groupe de personnes, la règle des associations s’applique à savoir l’identité du responsable légal.

Dès lors, l’application concrète de cette mesure passerait par la fourniture d’un justificatif d’identité valide, lors de la création d’un compte utilisateur. La mise en place de ce justificatif d’identité est déjà effectif lors de la connexion aux sites des services publics tels que impôt.gouv. L’utilisation de ce moyen d’identification pourrait sans difficulté être adaptée aux plateformes de réseaux sociaux.

Un message posté sous le nom et le prénom de l’utilisateur s’en trouverait responsabilisé, et l’identité physique, numérique ainsi que l’adresse postale du messager serait immédiatement connue des services de l’état, ainsi que des modérateurs de la plateforme privée.

Ne nous méprenons pas, sous réserve que cette mesure soit nécessairement partagée par tous les pays utilisateurs, il s’agirait là d’une vraie révolution planétaire dans l’ère numérique. Elle sera lourde de conséquences. Certains utilisateurs viendraient nécessairement à quitter les grandes plateformes traditionnelles et l’on observera l’apparition de plateformes cryptées, qui existent déjà et qui échappent de par leurs spécificités techniques à tout contrôle.

La suppression de l’anonymat, à défaut de supprimer les discours séditieux, aura le mérite de les déplacer vers des plateformes plus difficilement accessibles à l’internaute moyen. Ainsi en mettant l’utilisateur directement devant la responsabilité morale et pénale de son propos, elle devrait avoir pour effet de nettoyer les plateformes traditionnelles de ces propos toxiques.

Cela étant, la perte de l’anonymat, en remettant la responsabilité du citoyen au centre des débats peut cependant avoir quelques effets pernicieux indésirables.

Elle pourrait par exemple freiner celui ou celle qui, craignant des pressions ou des représailles hésiterait à dénoncer des violences, des harcèlements ou des comportements inappropriés. On peut citer par exemple les violences faites aux enfants, les violences faites aux femmes, les harcèlements dans l’entreprise ou à l’école…Des voies qui permettent de dénoncer de tels comportements existent déjà. On peut citer certains numéros de téléphone mis en place par le gouvernement ou l’accueil par certaines associations. A l’évidence, ces canaux sont utiles mais pas assez connus ni développés.

Il conviendra donc que, simultanément à la suppression de l’anonymat pour les comptes publics, le législateur développe tant au sein de l’espace public que des entreprises ces réseaux d’alerte, qui protègent celui qui y fait appel.

L’Europe se targue d’être un espace démocratique de liberté. Voilà un projet concret, facile à mettre en œuvre qui pourrait aisément être une suite au RGPD que tant de citoyens libres d’autres pays voudraient voir appliquer chez eux.

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