Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

L’utilité d’un travail ne fait pas sa valorisation

Respectable Loge, Les Amis de la vérité, Orient de Metz, Région 4 Champagne - Ardenne - Alsace - Lorraine et Loges d'Allemagne

Mots Clefs : TravailUtilité

Nous écrivons valorisation, ce qui est la vision par le prisme d’autrui et théoriquement ce à quoi devrait être adossés une reconnaissance et un salaire, et non pas valeur qui serait une notion subjective et comparative sujette à débat.

Il y a un problème en France concernant les bas salaires. Les syndicats le disent depuis longtemps, voire depuis toujours. Le Ministre de l’Économie l’avait souligné en janvier, donc avant la pandémie de COVID 19 : « les entreprises doivent garantir un meilleur partage de la valeur, et doivent ouvrir à leurs salariés des perspectives de vie meilleure, de salaire qui progresse ». Dix mois et 40 000 morts plus tard, l’injonction se fait plus présente : il faut « réfléchir » à un effort de justice insiste Bruno LEMAIRE pour « ceux qui font tourner l’économie ». N’est-ce-pas le cas de n’importe quel travailleur ? Peut-être. Mais dans le contexte du coronavirus, tout le monde comprend de qui il s’agit : de ces salariés qui ont continué à travailler pendant le confinement parce qu’ils assuraient un « métier essentiel à la survie immédiate de la population », les caissières, les routiers, les policiers, les commerçants, les éboueurs, les livreurs, où au combat contre le virus, les soignants et autre personnel des hôpitaux et des EHPAD. Pas de télétravail pour eux. Guère de protection du moins au début de la contagion, et des salaires bien bas pour des métiers dont on découvrait à quel point ils étaient indispensables ! Le président de la République, au plus fort de la pandémie, en a pris acte, « il faudra nous rappeler que notre pays aujourd’hui tient tout entier sur des femmes et des hommes, que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». À court terme, on promet des primes, et ce n’est que justice. On envisage de réactiver une désuète « médaille de l’engagement face aux épidémies », et je comprends que cela puisse sembler dérisoire ou choquant à celui qui réclame depuis si longtemps une revalorisation salariale. Cela nous amène au problème de fond.

Si tous les êtres humains sont égaux en droit et en dignité, pourquoi ne touchent-ils pas le même salaire ? Parce que ce n’est pas leur personne qu’ils vendent (un être humain n’est pas une marchandise), mais une certaine quantité de travail. Or, le fait que tous humains sont égaux en droit et en dignité n’implique évidemment pas que tous les travaux ne se valent ni que tous les individus aient la même appétence au travail. La dignité, selon Kant, c’est la valeur de ce qui n’a pas de prix. Elle est objet, non d’achat mais de respect. On peut en tirer deux conséquences, la première qui touche à la morale, c’est qu’il est toujours fautif de manifester davantage de respect à son supérieur, à son patron, qu’aux plus modestes de ses subordonnés, par exemple à la femme de ménage qui nettoie le bureau le matin. La dignité étant égale, le respect qu’on doit, doit l’être aussi. La seconde, qui touche l’économie, c’est que le salaire ne mesure aucunement la valeur morale des individus (nous le savions intuitivement et l’entendons de la bouche de l’extrême gauche ; « bourgeois-voleurs), et encore moins leur dignité (laquelle est théoriquement réputée égale chez tout le monde), mais seulement la valeur marchande de leur travail. Comment déterminer cette valeur marchande. Certains, par l’émotion de la pandémie, voudraient proportionner le salaire à l’utilité. Comment se fait-il que les éboueurs dont le métier est si indispensable soient moins payés qu’un footballeur, un pilote d’avion ou un professeur d’université, dont il semble si facile, et on a pu le vérifier durant les mois de confinement, de se passer. La notion d’utilité est pourtant trop suggestive pour être discriminante. Kylian MBAPPE ne nous sert à rien au quotidien. Mais s’il réjouit des millions d’admirateurs du football, peut-on le considérer comme inutile ? Et comment sur la durée comparer l’utilité respective de métiers si différents ? On peut se passer très longtemps pour la vie quotidienne, de chercheurs scientifiques. Sont-ils pour autant inutiles ?

Le problème, est qu’on n’a jamais constaté que l’utilité fasse la valeur et encore moins la valorisation de quelque chose. L’eau est plus utile que le vin, mais coûte beaucoup moins cher. L’air est encore plus utile que l’eau (on meurt plus vite d’asphyxie que de soif), mais ne coûte rien. Alors ?

Alors pour comprendre on peut questionner Marx, ou les économistes libéraux. Marx détermine la valeur par la force de travail, donc le salaire par le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Les économistes libéraux la soumettent purement et simplement à la loi de l’offre et de la demande. Les deux explications paraissent plus complémentaires qu’opposées. Elles aboutissent d’ailleurs à des conclusions parfois convergentes : l’une et l’autre explique qu’un médecin soit mieux payé qu’une infirmière (il faut plus de temps pour le former et le maintenir à niveau, son engagement lui coûte en matériel comme en assurance responsabilité, et la demande, le concernant, l’emporte davantage sur l’offre), laquelle sera légitiment mieux payée qu’une aide-soignante ou qu’un brancardier.

On remarquera pourtant que ces deux théories, autant qu’elles se valent objectives, font l’impasse sur la justice. Elles sont donc moralement et politiquement insuffisantes. C’est ce qui justifie les syndicats, le code du travail, le salaire minimum (à condition qu’il ne soit pas destructeur d’emplois), la redistribution, enfin la politique, si critiquée dans sa forme polémique actuelle, mais si nécessaire. Souhaitons que nos acteurs politiques soient conscients de la nécessité de cette justice sociale. Soyons motivés pour y œuvrer.

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