Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Est-il nécessaire pour les régimes démocratiques de répondre aux situations de crise en mettant à mal les principes qui les fondent ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : Citoyenneté et contre-pouvoirsForce publiqueLibertéSécuritéViolence légitime

Les valeurs démocratiques reposent sur un gouvernement responsable ayant le souci de servir l’intérêt commun avec loyauté, neutralité et impartialité. Ces valeurs comprennent le respect de la Constitution et de la primauté du droit, le respect de l’autorité légitime des ministres, la défense des droits et des libertés du citoyen qui sont le socle d’une société démocratique, et la mise en place d’une politique visant à favoriser le développement social et économique. Selon le sociologue Alain Touraine, la démocratie ne peut plus se définir par les seuls droits civiques et sociaux. Face à l’essor de l’industrie culturelle mondiale et à la montée des intégrismes, il importe de construire une démocratie, non plus seulement politique et sociale, mais aussi culturelle

   La France est confrontée ces dernières années à différentes crises : crises sociales avec des manifestations de voie publique de grande ampleur et violentes, dont celles des « gilets jaunes » ; la flambée des banlieues sensibles engendrant des blessés et de multiples dégradations ; la commission d’actes terroristes avec de nombreux morts ; la pandémie du coronavirus qui a engendré une crise sanitaire hors norme et ébranlée le système de santé faisant déjà plus de 30 000 morts. En outre, sur le plan géopolitique, le nombre de conflits armés reste élevé entraînant une confrontation entre les régimes autoritaires et les régimes démocratiques. 

   Face à ces diverses crises, les gouvernements ont mis en place des mesures adaptées : le maintien de l’ordre dans les cités et sur la voie publique ; un arsenal législatif et règlementaire ainsi que l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme mais aussi contre toutes les formes de l’intégrisme, du fondamentalisme et de la radicalisation ; l’état d’urgence sanitaire afin de stopper la propagation du coronavirus. Toutes ces mesures respectent-elles les fondements et les valeurs démocratiques ? 

L’enjeu de la conciliation de la liberté et de la sécurité

   Les lois d’un État de droit garantissent, par principe, la liberté et l’égalité des citoyens. Ces principes démocratiques doivent s’accomplir dans la sécurité et le respect d’autrui. Cependant, selon que l’on donne la priorité à la sécurité ou à la liberté, cela peut conduire soit à un Etat autoritaire, soit à un État libéral. Ainsi, un État démocratique peut sombrer dans l’arbitraire et le « tout sécuritaire », au mépris de la constitution et des libertés fondamentales, en mettant en place un arsenal de lois extrêmement répressives, sécuritaires et restrictives en termes de liberté, pouvant jusqu’à autoriser la pratique de la torture dans des centres de détention, des tribunaux militaires à la place des tribunaux civils, d’un renseignement de masse dont l’usage échappe au contrôle légal etc., comme par exemple après la commission d’attentats terroristes sanglants. Quelle politique sécuritaire faut-il mettre en place face à des attaques terroristes pour assurer la protection des citoyens et arrêter les auteurs des attentats puis prévenir le terrorisme ? 

   Liberté et sécurité constituent deux facteurs clés dans un État de droit. La limitation des libertés, dont la liberté d’aller et de venir (cas exceptionnel du confinement lors de la crise sanitaire du coronavirus), notamment par des contrôles de police et de gendarmerie, et des sanctions pénales, doit être strictement encadrée. Lutter contre l’insécurité et le sentiment d’insécurité en démocratie représente un enjeu majeur. 

Les démocraties confrontées à la violence et au bon usage de la force publique

   La démocratie confrontée à la violence. L’État est régulièrement confronté au pouvoir de la rue lorsque des manifestants expriment leur colère et leur détermination en investissant l’espace public, quelquefois même lorsque la manifestation est interdite. En cas de climat social délétère, des violences disproportionnées sont commises par les manifestants, voire par les forces de sécurité qui tentent de rétablir l’ordre public. 

   Dans les banlieues et les cités sensibles, on constate la commission de faits délictueux, voire criminels, habituels : jets d’objets et de produits divers sur les policiers, parfois avec la volonté de les blesser, voire attenter à leur vie (cailloux, boules de pétanque, électroménager, mortiers d’artifice, cocktails-Molotov etc.) ; agressions, provocations et guet-apens contre les forces de l’ordre ; haine « anti-flic » ; incendies de poubelles, de deux-roues et de véhicules automobiles ; rodéos de deux-roues ; barricades enflammées etc. . Des pompiers et parfois des médecins sont également victimes de faits divers. Enfin, on y constate une forte présence de trafics, deals et ventes de stupéfiants très inquiétante. 

   Ces diverses formes de violences peuvent devenir un véritable danger pour la société lorsque les manifestations sur la voie publique d’une rare violence persistent plusieurs mois et/ou que dans les banlieues difficiles une flambée de violences urbaines, d’embrasement de quartiers, voire d’émeutes, ne peuvent être maîtrisés.

   Du bon usage de la force publique. Face à cette spirale de la violence, les pouvoirs publics doivent faire preuve de réactivité en rétablissant l’ordre républicain avec des forces et des moyens adaptés. Cependant, en cas de situation difficile à freiner, un gouvernement démocratique peut être tenté de prendre des mesures lourdes comme l’intervention de l’armée. 

   Dans « Le Savant et le Politique », Max Weber forge le concept politique de violence légitime. Il définit l’État comme l’institution détenant le monopole de l’usage légitime de la force physique : « Un État est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné ». Dans un régime démocratique, le rétablissement et le maintien de l’ordre doivent être assurés par des forces de sécurité civiles, sauf en cas d’insurrection. Par ailleurs, employer le mot « guerre » dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le coronavirus est excessif et inadapté, engendrant la peur et l’angoisse au sein de la population. 

   Lors des multiples manifestations, parfois très violentes, des « gilets jaunes », l’utilisation controversée de lanceurs de balles de défense (LBD 40, plus connu sous le nom de « flashballs), de grenades de désencerclement et de grenades lacrymogènes à effet de souffle (GLF F4) a causé des blessures parfois très graves (perte d’un œil, main arrachée etc.) à des manifestants. La pertinence de la dotation des forces de l’ordre d’armes non létales, dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations violentes de voie publique a engendré des débats.

   Ambivalence des technologies de l’information et de la communication (TIC). L’utilisation des NTIC dans tous les domaines est devenue un enjeu sociétal ultra-sensible : Internet, qualifié de « cinquième pouvoir », l’influence des réseaux sociaux, les chaînes télévisées d’information continue, les téléphones mobiles intégrant la photo et la vidéo de grande qualité etc. 

L’utilisation incontrôlée de ces outils par les pouvoirs publics dans le cadre de crises est devenue un risque de « flicage» des citoyens, en particulier par les services de renseignement. A contrario, la restriction de l’utilisation des moyens informatiques et technologiques par les citoyens constitue également un risque de dérive autoritaire. 

Mesures pour le maintien de la démocratie et contre les dérives autoritaires

   Avec Diderot nous savons que « Le consentement des hommes réunis en société est le fondement du pouvoir ». 

   Citoyenneté et autres contrepouvoirs. Il appartient à tout citoyen de veiller aux fondements de la République « laïque, sociale, une et indivisible », tant par la réflexion et les débats que par l’action. Le citoyen devient ainsi un lanceur d’alerte en cas de dérive autoritaire.  La responsabilité individuelle de chaque citoyen, la confiance réciproque entres les habitants et les pouvoirs publics constituent des éléments majeurs de la cohésion politique et sociale. L’existence de contre-pouvoirs, comme les syndicats, les médias, la démocratie locale ou les associations et les organisations non gouvernementales, sont une protection contre des mesures anti-démocratiques. Aussi convient-il de renforcer les pouvoirs de certaines autorités administratives indépendantes, notamment ceux du Défenseur des droits, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). 

   Doctrine du maintien de l’ordre et rapprochement police-population. Élaborer une doctrine de maintien de l’ordre garantissant le droit de manifester pacifiquement et l’utilisation de la force dans des conditions de nécessité de proportionnalité lors de dégradations et/ou de violences occasionnées contre des policiers ou des gendarmes. Encadrer strictement l’usage des « armes à létalité réduite » uniquement dans des conditions de mise en danger des agents des forces de l’ordre lors de manifestations de haute intensité. Il s’agit de garantir l’ordre public sans violences policières.  

   L’indépendance des juges. Garantir l’indépendance des juges à l’égard du pouvoir pour faire respecter les lois dans le cadre de la séparation des pouvoirs. Les juges sont les garants des libertés et de l’égalité devant la loi. 

   Reconquérir les quartiers sensibles. Les zones ultra-sensibles, voire parfois les zones considérées comme de non-droit, constitue un enjeu majeur et une priorité, d’autant plus que la situation sociale y est très difficile et peut devenir explosive à la suite de la crise sanitaire : habitants défavorisés, nombreuses familles monoparentales, pauvreté et précarité, jeunes désœuvrés etc. Cette reconquête doit être ferme et déterminée, mais doit être strictement encadrée sur les plans administratif et judiciaire. Par ailleurs le dialogue avec les jeunes doit impérativement être rétabli, notamment dans le cadre de la mise en place de la police de la sécurité au quotidien. Le but est le respect intangible des droits de l’homme par les autorités et les citoyens. Un État démocratique doit assurer la liberté, le respect des droits de l’homme et la sécurité. Cependant, le respect de l’autorité de l’État de droit est intangible. Bafouer l’autorité de l’État doit engendrer des sanctions. Dans les moments de tourmente, il s’agit de faire face à « l’ennemi » sans rien concéder de nos valeurs.

Proposition phare : renforcer les contre-pouvoirs-police de sécurité au quotidien-rétablir la confiance dans la justice.

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