Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

La crise va-t-elle changer notre relation au travail ? Les emplois dont la crise a fait apparaître le caractère indispensable sont-ils aujourd’hui justement considérés ? Comment mieux les prendre en considération ?

Respectable Loge, Les Enfants de Gergovie, Orient de Clermont-Ferrand, Région 5 Centre

Mots Clefs : Considération

La crise a révélé l’accélération de l’évolution de la relation au travail.

Le monde du travail connaît ces dernières années une évolution, un tournant comparable à celui qui s’est produit au XIXème siècle lors de la révolution industrielle pendant laquelle, les agriculteurs, les travailleurs sont devenus ouvriers. Le tournant que nous vivons actuellement est sans aucun doute plus fondamental encore, en ce qui concerne la répartition même du travail et le statut des travailleurs. La crise a permis à beaucoup de prendre conscience des changements qui touchent la relation au travail. Le développement du numérique, l’introduction de la robotique et bientôt de l’intelligence artificielle impactent considérablement les conditions de travail, le statut des travailleurs, leur mode de rémunération et leur protection sociale.

Par ailleurs la crise a mis en évidence les difficultés des services de santé, les mauvaises conditions de travail et de rémunération des salariés qui y ont travaillés. Dans les autres services indispensables à la population, tels que la distribution de produits alimentaires, les transports de marchandises et de personnes, les services éducatifs et ceux assurant la sécurité de la population, la désorganisation provoquée par les mesures de confinement a souvent entraîné une modification des conditions de travail créant des tensions difficilement supportables par les personnels concernés. La diversité des situations statutaires de ces derniers rend malaisé l’appréciation du niveau de considération dont ils ont pu bénéficier. 

Quelle considération pour les emplois

La robotique et l’intelligence artificiellepermettent, dans certaines entreprises, de faire exécuter des travaux lourds ou des travaux caractérisés par des gestes répétitifs, dont la pénibilité n’est plus à démontrer, par un robot avec comme corollaire une diminution du nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Ces technologies ont pu contribuer à maintenir un certain niveau de production industrielle quand la majorité des salariés étaient contraints de subir le chômage partiel. 

Ce qui s’avère différent des phases antérieures de la mécanique et du machinisme, c’est bien le saut qualitatif de la transition numérique, à savoir le transfert vers la machine et l’automatisation des opérations intellectuelles, cognitives et de calcul. L’un des effets majeurs est celui d’une évolution marquée du contenu des tâches et d’une forte polarisation de la structure des emplois, profitant aux métiers très qualifiés.

Le nombre d’emplois non spécialisés était déjà en chute libre ces dernières années mais va encore diminuer de façon drastique ce qui exclura du marché du travail les travailleurs déjà pénalisés par leur manque de formation et dont le reclassement s’avérera très difficile. Ce sont bien les métiers peu ou pas qualifiés, avec des tâches manuelles et routinières, qui seront affectés. Une polarisation qui pourrait être la source d’une fracture sociale amplifiée et creusant les inégalités.

La transition numérique est un facteur accélérant la segmentation du travail. Elle accentue la flexibilité et la façon dont les tâches sont redistribuées. Avec plusieurs conséquences :

· La première, celle d’une intensification du travail, notamment en réseau.

· La 2e est d’externaliser, selon les cas, plusieurs maillons de la filière de production et donc du travail qui y est associé avec la présence de statuts professionnels différents, mobilisant des formes de travail qui ne relèvent ni du travail salarié ni du travail indépendant classique, et découpant parfois le travail en prestations individualisées.

· La 3e est que cette segmentation va modifier la position des emplois dans les chaînes de valeur.

Si le développement du numérique a permis un recours intensif au télétravail pendant le confinement, il avait déjà produit de nouveaux services et, notamment, la création de nombreuses plateformes qui, en tant que donneurs d’ordres, mettent en relation un fournisseur d’emploi et des travailleurs qui acceptent les conditions imposées par elles.  L’ubérisation de la société économique entraîne un accroissement considérable du nombre de travailleurs indépendants, dont beaucoup ont participé aux activités indispensables à la population pendant la période de confinement. 

Cette évolution amène à se poser la question de la pérennité du lien traditionnel de subordination, caractéristique du modèle « fordiste ». La mutation profonde qu’il pourrait subir est au cœur d’un débat sensible sur l’élargissement du champ d’application du droit du travail, en substituant à la subordination juridique classique, le critère de dépendance économique. Ce critère devrait être à la source des protections sociales et fonder un droit du travail couvrant tout l’éventail des situations professionnelles, depuis le travailleur directement subordonné jusqu’au plus indépendant sur le plan économique. Le nœud du problème consistera à déterminer de quelle acteur le travailleur dépend économiquement et comment sera calculée la rémunération. Pourra-t-il y avoir des négociations collectives et en présence de quelles organisations ?

Concernant les personnels de santé, les hôpitaux publics ont subi la réforme de la Tarification à l’Activité (T2A) qui a entraîné une réduction de leurs moyens financiers et la loi Hôpital Patient Santé Territoires qui a réformé totalement l’organisation hospitalière en écartant des décisions importantes les cadres hospitaliers. Les coupes budgétaires qui ont suivi ces deux réformes ont amputé les moyens financiers, ont renforcé la verticalité des prises de décisions stratégiques et créé un profond malaise qui s’est manifesté par des appels répétés en faveurs des services d’urgence et par des grèves touchant la plupart des services. Malgré ces handicaps les hôpitaux ont affronté la crise actuelle en réorganisant les services et en sollicitant de tous les personnels des sacrifices en termes de durée et de conditions de travail épuisantes.

Comment améliorer la prise en considération ?

Pour répondre à ces transformations des formes de travail, les heures de travail devront évidemment être réparties autrement et partagées. L’emploi devra être déconnecté de la durée du travail en se basant par conséquent sur d’autres critères, tels que l’accomplissement de taches précises ou la réalisation de projet.

Les nouvelles formes de travail complexifient les rapports entre le travailleur et le donneur d’ordres, qui est encore majoritairement son employeur, et, de plus en plus souvent, une plate-forme. Il conviendra de suivre avec beaucoup d’attention la façon dont les tribunaux traiteront les conflits liés au travail et l’évolution de la jurisprudence dans ce domaine. Signalons déjà un arrêt récent de la Cour de Cassation qui a requalifié en emploi salarié un employé VTC de la plate-forme Uber. La même position avait déjà été prise par un tribunal de Californie. Il n’est pas sûr que ces jugements récents fassent jurisprudence et que d’autres litiges soient traités de la même façon. 

Dès à présent il faut apporter une attention particulière aux travailleurs dont l’emploi est menacé par la robotisation en leur offrant des formations massives qui pourraient accroître leur employabilité et éviter leur licenciement. Elles pourraient aussi leur permettre d’envisager des réorientations professionnelles et, dans certains cas, notamment pour les anciens élèves décrocheurs, améliorer les connaissances de base que la formation initiale n’avait pas réussi à leur transmettre.

S’il doit y avoir une diminution du nombre d’emplois disponibles, celle-ci ne doit pas entraîner une diminution du budget destiné à garantir la protection sociale des travailleurs. S’il y a substitution du travail aux robots, il faut donc taxer ceux-ci et déterminer avec précision l’assiette de cette taxe : en aboutissant à une réelle égalité des charges, le budget octroyé aux lois sociales sera maintenu.

Dans l’immédiat la considération que l’on doit aux travailleurs passe par l’examen de rémunérations en rapport avec leurs qualification et l’investissement qu’ils ont déployé pendant la crise. La détermination du niveau de la rémunération doit nécessairement être le fruit de négociations collectives impliquant les donneurs d’ordre et les représentants des travailleurs.     

Pour accompagner l’ensemble de ces évolutions et des négociations à mettre en place, l’investissement des services publics peut apporter quelques éclairages en termes d’information sur les phénomènes en cours et intervenir dans les cas où les entreprises et les donneurs d’ordres prendraient top de libertés avec l’application de la loi. Les services les plus concernés sont ceux de l’inspection du travail qui par leur capacité d’enquête peuvent apporter des éléments d’appréciation non négligeable au gouvernement et aussi aux instances judiciaires. Encore faut-il que leur indépendance soit confirmée et que leurs moyens en personnel soient à la hauteur des attributions que le législateur leur demandera d’assumer.

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