Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

La crise a fait apparaître la possibilité d’un télétravail à grande échelle. Quelles conséquences tirer de cette constatation ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : PPURSETélétravailTemps de travail

Pendant toute la durée du confinement, la société a démontré dans son ensemble sa capacité de résilience et de solidarité face au coronavirus. Alors que la reprise s’organise, les Français espèrent trouver dans « le rebond » à venir une voie plus juste socialement et soucieuse de l’environnement pour compenser les profits perdus. Cette tendance est confirmée par la montée dans le débat public de thèmes comme celui de la place de l’entreprise, du temps et de la qualité de vie au travail, et celui de la protection des individus alors que les inégalités se sont encore creusées. Le télétravail a été une découverte pour une grande partie des salariés, dévoilant le clivage toujours plus prononcé entre cols blancs et cols bleus. Avec le confinement et l’arrêt brutal de notre économie, la question récurrente de l’allongement de la durée du travail a refait surface comme réponse à nos besoins de production. Nous verrons que cette réponse est inadéquate, mais qu’en revanche la nécessité d’adapter notre protection sociale à notre époque de plus en plus troublée est devenue impérative avec, comme objectif, de permettre à chacun de s’émanciper dans une société brutale où les temps sociaux (travail, chômage, formation, entrepreneuriat, bénévolat) s’accélèrent et se superposent à une vitesse vertigineuse. 

Dans quelle entreprise travailler demain ?

Des synergies étaient déjà à l’œuvre avant l’apparition de la pandémie et agissaient dans le sens d’une économie de marché plus vertueuse et plus responsable. La catastrophe sanitaire et économique que nous subissons de plein fouet nous oblige à accélérer ces transformations. Face à la nécessaire mutation écologique et sociétale, les entreprises savent qu’elles portent une grande partie des solutions. Leur responsabilité sociale et environnementale infuse tous les corps de métiers et toutes les fonctions en leur sein. La RSE[1] intégrée de manière native au cœur de leur stratégie est un moteur de développement et d’innovation. Déjà la Loi PACTE du 22 mai 2019, en introduisant la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans la gouvernance des entreprises et en les incitant à se doter d’une « raison d’être » pour exprimer leur utilité sociale, avait nettement fait avancer un débat crucial dont l’enjeu consiste en une modification en profondeur des règles d’un libéralisme à tout crin. Dès lors, comment aller plus loin et plus vite ?

Cinq leviers permettraient d’accélérer cette démarche :

– rendre obligatoire à toute entreprise, autre que les TPE, la définition de sa « raison d’être » ;

– doter les entreprises d’indicateurs extra-financiers communs pour mesurer leur performance globale ;

– encourager l’ISR (investissement social responsable) ;

– continuer à augmenter et à élargir le nombre d’administrateurs salariés, comme a commencé à le faire la loi PACTE ;

– établir un nouveau contrat « État/Entreprise » avec des attributions de marchés publics sur des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).

Gageons que la crise du coronavirus deviendra le déclencheur d’une redéfinition des termes du contrat d’entreprise pour une meilleure adéquation entre actionnaires et salariés, investisseurs durables et financiers, en garantissant un rééquilibrage majeur vers le long terme et le réinvestissement dans la protection de la planète, la relocalisation des industries stratégiques et une régulation renforcée. 

Le télétravail, mais encore… ? Faut-il travailler davantage ?

Le recours massif au télétravail a changé la relation des salariés à leur entreprise et leur a donné une liberté supplémentaire dans l’organisation de leur travail et de leur vie. On a dénombré plus de 5 millions de télétravailleurs sur le territoire. Mais là aussi face au coronavirus nous avons retrouvé des inégalités au travail. Un sondage montre que les Français actifs se sont répartis en trois tiers dont un petit tiers était en télétravail (27 %), composé pour près des deux tiers de cadres et professions intellectuelles contre 10 % seulement des employés et ouvriers – ceux-ci étant par ailleurs à l’arrêt pendant le confinement pour la moitié d’entre eux[2]

Dans une société de la défiance comme la France, celles et ceux qui ont pu expérimenter ce nouveau mode de travail ont démontré, dans ces circonstances d’urgence sanitaire, leur implication et leur efficacité au travail. Devant leur productivité avérée, de nombreux managers ont changé de regard envers leurs collaborateurs : ils se sont mis à leur faire confiance…

Pour l’entreprise, le gain avec le télétravail est double. Tout d’abord un gain de productivité, car les salariés travaillent plus du fait d’un nombre de réunions limité à celles réellement utiles et parce que les salariés sont moins dérangés chez eux qu’au bureau par leurs collègues ou par des pauses. Ensuite une réduction des coûts globaux, car il est alors possible de réduire les locaux en partageant les bureaux ainsi que nombreux frais inhérents au lieu de travail : électricité, chauffage, maintenance informatique, etc.

Pour le salarié, ce mode de travail lui permet plus d’autonomie, une réduction des temps de transports, et une meilleure conciliation des temps de vie.  L’environnement y gagne aussi du fait de la réduction des transports et des émissions de gaz à effets de serre. Dès lors, pourquoi ne pas généraliser ce mode d’organisation du travail en alternant, par exemple, journées de télétravail et journées au bureau ?

Au-delà de la question de la qualité de vie au travail, qui devrait faire l’objet d’un Accord national interprofessionnel, se profile celle de l’organisation du travail dans sa globalité. À ce titre, le télétravail mérite une attention spécifique sur les intentions réelles de certains employeurs profitant de cette période pour licencier à distance (par zoom ou Teams) et à délocaliser les compétences au nom de la distanciation des salariés de leur lieu de travail, ainsi qu’aux risques de burn out, de non-respect du droit à la déconnexion et de désocialisation des salariés. Il est à craindre également qu’avec une utilisation excessive du télétravail, nous assistions à une poussée de l’individualisme au détriment du projet collectif de l’entreprise.

Après le déconfinement, la relance de la production économique est attendue. Avec elle, un retour à l’emploi des travailleurs ayant perdu leur poste ou le retrouvant après une longue suspension. L’enjeu est d’éviter à tout prix que s’installe un chômage de masse et empêcher qu’une ou deux générations de diplômés soient sacrifiées par tarissement des embauches.

Pendant le confinement, de nombreuses heures de travail n’ont pu être effectuées, contribuant ainsi à la forte récession économique que nous connaissons. Il peut alors paraître logique de demander que l’on travaille plus pour rattraper le travail perdu. Dans cet ordre d’idée, faire travailler plus les « insiders » – ceux qui ont un travail – s’oppose frontalement à une politique visant au contraire à l’inclusion maximale des « outsiders » (en recherche d’emploi stable). Il vaut mieux chercher à assurer l’accès à l’emploi au bénéfice du plus grand nombre – ce qui n’est pas compatible avec sa maximisation pour quelques-uns seulement.

De plus, demander aux salariés de fournir un effort supplémentaire alors que nombre d’entre eux ont pris des risques pour leur santé en allant travailler, ou ont perdu du pouvoir d’achat en étant au chômage partiel, paraît être une gageure tant socialement que politiquement. Quant à la productivité des travailleurs, il suffit de comparer les salariés grecs, qui travaillent le plus en durée annuelle par salarié, et les Allemands, qui travaillent le moins. La productivité en Allemagne est beaucoup plus élevée qu’en Grèce parce que l’industrie allemande bénéficie d’une excellente compétitivité qualitative dans la concurrence internationale en étant spécialisée dans la production de machines-outils et d’automobiles haut de gamme. Du point de vue macro-économique, il vaudrait mieux réduire la durée du travail. Bien entendu, sur le plan micro-économique, l’analyse peut être différente pour certains secteurs ou certaines entreprises. Laissons dans ce cas le soin aux partenaires sociaux de négocier au coup par coup, par branches ou par entreprises, de possibles aménagements de la durée du travail.

Une nouvelle protection professionnelle universelle 

La crise qui vient de nous affecter doit nous inciter à réinventer un nouveau contrat social. Il nous faut à présent réfléchir à la manière de protéger chaque citoyen tout au long de sa vie. Alors que les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle sont à présent largement floutées, il apparaît désormais nécessaire de passer d’un système qui lie la protection sociale au statut de l’actif à une protection professionnelle universelle (PPU) qui couvre tous les actifs. Chacun doit pouvoir gérer de façon autonome cette nouvelle PPU, facilement accessible sur une plateforme numérique, via une application sur son téléphone mobile, centralisant l’ensemble des droits mobilisables à tout moment sur ses différents comptes. Le premier d’entre eux, l’actuel CPA, comporte déjà :

– le compte personnel de formation (CPF) ;

– le compte d’engagement citoyen (CEC) qui recense et valorise les compétences acquises à l’occasion d’activités bénévoles avec des heures d’engagement ouvrant des droits à la formation et qui pourraient à l’avenir donner des droits nouveaux au logement social et au transport en commun ;

le compte pénibilité qui permet aux salariés ayant travaillé dans des conditions difficiles (bruit, travail de nuit, etc.) de bénéficier d’une retraite anticipée ou de facilités de formation.

Ce compte permet également de recueillir les bulletins de paye. Nous pourrions rajouter le compte épargne temps (CET), intégrer le futur compte personnel retraite (CPR) et le revenu minimum social garanti qui regrouperait différentes aides et allocations sociales.

Bien au-delà des seules réponses de la solidarité et des acquis de droits personnels, la PPU ainsi proposée pourrait se révéler comme la sécurité de demain, plaçant ainsi le travail comme le socle d’une politique au service d’un progrès partagé et de lien social entre toutes les générations. La PPU permet de protéger chacun à chaque étape des parcours professionnels, d’investir dans son avenir et lui offre la possibilité de contribuer par son travail à l’effort collectif.

Proposition phare : promouvoir le télétravail en l’encadrant mieux ; instaurer une nouvelle PPU.


[1] La Responsabilité Sociale des Entreprises.

[2] Voir IFOP, Les Français et la crise du coronavirus, sondage réalisé pour Le Journal du Dimanche, 19 et 20 mars 2020, p.22 et 23, disponible sur : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/03/117267-Rapport-JDD.pdf.

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