Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

L’École c’est Demain

Respectable Loge, Les Chevaliers de la Fraternité, Orient de Bordeaux, Région 16 Sud-Ouest

Mots Clefs : Apprendre dansApprendre hors

Telle que nous la comprenons aujourd’hui, laïque, républicaine, publique c’est à dire pour tous, L’École est l’instrument qui vise à garantir la pérennité de notre démocratie par un enseignement commun, éclairé et émancipateur, accessible à tous les citoyens. Une belle et grande idée, un idéal concrétisé sous la IIIe République. Peu contestable dans ses principes, pourtant très contestée dans les faits : certainement une autre « passion française ».

En effet, chacun a une certaine idée de ce que devrait être l’École. Il est même étonnant de constater à quel point les citoyens sont facilement critiques et disposent d’un avis précis sur l’École et la façon de l’améliorer. Aucun autre service public ne fait l’objet d’une telle attention par les citoyens. Cependant, peu de consensus émergent, preuve qu’il n’est pas aussi simple de construire une École parfaite pour chacun, c’est à dire pour tous.

Sans doute faut-il voir dans l’importance de sa finalité les raisons qui nous poussent à vouloir autant (re)penser l’École. Si chacun critique et cherche à améliorer l’École, quelle que soit l’époque et sa génération, c’est probablement parce qu’elle revêt un enjeu de société majeur, vecteur de nos savoirs et de nos valeurs fondamentales pour les générations suivantes. Une des bases de nos démocraties modernes.

Que nous a appris cette période de confinement sur l’École et sur ceux qui la vivent ? A-t-on observé de réelles nouveautés ou, plus prosaïquement, l’avènement de constats maintes fois établis mais ignorés ? Nos efforts d’adaptation pendant cette période si singulière, grâce aux outils numériques notamment mais pas seulement, pourraient-ils être étendus dans les mois et années à venir comme autant d’enseignements sur notre rapport à l’École qui seraient utiles à l’École elle-même ?

Le premier constat que nous pouvons établir est que si tout le monde a un avis sur l’École, chacun ne s’improvise pas enseignant. Un peu comme si on découvrait qu’enseigner était un métier nécessitant expertises, expériences, compétences, au même titre qu’être plombier ou pilote d’avion. En l’absence d’enseignant et d’encadrement éducatif dédié, les apprentissages apparaissent beaucoup plus incertains, difficiles à évaluer et parfois totalement absents, mais surtout d’accès très inégalitaires. Des difficultés que le plus grand volontarisme parental n’a pu pallier entièrement (y compris pour les enseignants avec leurs propres enfants !).

Mais on a paradoxalement pu constater que les apprentissages se faisaient également en dehors de l’école et sans face à face physique, voire sans intervention précise de l’enseignant. Il a même été observé des élèves en difficulté scolaire progresser pendant le confinement alors que d’autres, plus à l’aise habituellement, ont rencontré de grandes peines dans leurs apprentissages et ce, quel que soit leur milieu social.

Un second (double) constat, nous conduit alors à penser à la fois que chacun adopte une stratégie singulière face aux apprentissages et au milieu scolaire, mais aussi que l’École ne fait pas tout, l’environnement social jouant également un rôle déterminant. Aucune nouveauté, certes, mais puisqu’il semble que cela soit encore nécessaire de l’affirmer, nous avons ici la preuve éclatante que les apprentissages se construisent de façon différente selon les individus et qu’ils le font dans le cadre d’interactions sociales très diverses, à l’école avec l’enseignant et les autres élèves mais aussi à l’extérieur sans l’enseignant et avec l’entourage proche et moins proche de l’apprenant.

Un constat d’humilité pour le milieu scolaire mais aussi des signaux d’amélioration possible. Les apprentissages fondamentaux, spécialisés ou sociaux ne sont pas l’apanage de l’École. La « transmission » des savoirs ne se fait pas uniquement par le « Maître », seul détenteur de la « Connaissance ». Cette transmission en milieu scolaire sera efficace pour certains, moins (voire pas du tout) pour d’autres. Telle est l’humble condition d’exercice de l’enseignant. Cependant, la construction de ces savoirs demeure, d’une part, très favorablement facilitée par un milieu éducatif professionnel ainsi que par la médiation de l’enseignant et, d’autre part, conditionnée par une École gratuite ouverte à tous si on souhaite en faire un réel correctif des inégalités sociales et culturelles de la société.

Et le numérique dans tout ça ? Un outil. Un autre outil, un autre vecteur. Formidablement utile pendant le confinement, propice à l’enseignement à distance mais aussi à l’évasion et à la découverte culturelle, il n’occulte cependant pas les inégalités et en crée même de nouvelles pour les apprenants comme pour les enseignants. Ces deniers, selon leur appétence et leur maitrise de l’outil, ont pu manier l’outil numérique pour adapter leur enseignement à la situation (certains l’utilisaient déjà depuis longtemps). Les élèves, selon leurs facultés personnelles et leurs possibilités familiales (combien d’ordinateurs et de connexions internet dans chaque foyer, lorsqu’il y en avait ?) et selon l’enseignant ont pu poursuivre leurs apprentissages, parfois avec beaucoup de réussite.

Le numérique, seul, ne fait toutefois pas tout lui non plus. L’École n’est pas uniquement le lieu de l’acquisition des savoirs académiques. C’est aussi un lieu de confrontation sociale, d’apprentissage de l’altérité : la rencontrer, l’appréhender, l’accepter, la tolérer pour enfin l’utiliser pour soi et son propre développement. Pour certains, l’école est aussi un havre de paix face aux violences domestiques de toute nature, la possibilité d’un repas quotidien équilibré. Pour d’autres, l’utilisation du numérique à distance a été la source de progrès pédagogiques insoupçonnés qui devront être confortés en classe, dès septembre. Mais pour d’autres encore, ce fut l’hallali que seule l’intervention des enseignants permettra de compenser. Le rôle affectif dans les apprentissages, entre élèves et avec les enseignants, ne doit pas être négligé : de réelles souffrances, engendrant des ruptures dans les apprentissages, sont apparues avec le confinement. On voit bien que le numérique ne peut pas supplanter tous ces liens sociaux.

L’outil numérique offre cependant de fantastiques possibilités, garantissant l’interactivité (les fameuses interactions) primordiale pour tout apprentissage, pendant le temps scolaire, hors temps scolaire mais aussi en dehors du cadre scolaire tout court. Encore faut-il que les enseignants comme les apprenants maitrisent cet outil ; nous savons tous à quel point la maitrise de l’outil est indispensable à tout progrès, faute de quoi de sérieuses erreurs nous guettent. Il est également nécessaire d’aider chaque foyer à accéder à l’outil si on souhaite qu’il profite à tous. Enfin, il est indispensable de pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie parmi les innombrables ressources disponibles, toutes n’étant pas de qualité égale.

Nous sommes bien dans un apprentissage obligatoire de l’outil, puisque son utilisation est générale et semble devenir plus importante encore dans les années à venir, sans retour en arrière possible. Alors gageons que la recherche d’un équilibre intelligent, d’une complémentarité, soit la règle entre numérique et matériels pédagogiques traditionnels, entre enseignement à distance et en présentiel (blended learning, méthode largement éprouvée dans la formation continue des adultes). Dans tous les cas, la prise en compte de la diversité des stratégies d’apprentissage doit prévaloir, de même que, comme corolaire, l’analyse et la remise en question permanente des pratiques pédagogiques.

Quelles propositions concrètes pourraient être formulées à l’aune de ces constats, très succincts à ce stade ?

Le premier levier favorisant la revalorisation de l’École Publique et son attrait consisterait à exiger de l’Institution qu’elle se défende elle-même face aux critiques, souvent fondées mais parfois fruits de représentations éculées plus que d’une réalité, en affirmant (en démontrant) que tout ne va pas si mal. Le fonctionnement du système éducatif n’est pas exempt de reproches, ni pendant la période de confinement ni avant et probablement pas après, mais les critiques se doivent d’être constructives et objectivées. N’est-il pas de la responsabilité des hommes et femmes politiques, des élus et élues, de défendre un service de l’État ne serait-ce que pour le critiquer à bon escient et le faire évoluer ? Pourrait-on avoir un bilan objectif et positif de l’immense travail accompli ces derniers mois, sans omettre les lacunes constatées ? Si nous partageons les idéaux de la IIIe République pour l’École, il est largement temps de (re)mettre dans la naphtaline l’idée selon laquelle elle devrait fonctionner de nos jours de la même façon qu’au début du 20e siècle. Fabrication des élites de la République, autoritarisme salutaire en classe et enseignement descendant, établissements scolaires réservés (choisis par les familles et/ou accès par mérite) sont autant d’idées à réserver aux livres d’histoire tant elles sont inadaptées au monde actuel. L’École nouvelle, celle pour Demain, est à créer ensemble, avec la communauté éducative, les citoyens (dont les parents d’élèves), et les élèves eux-mêmes. Cela passe par un renforcement du pilotage collégial et démocratique des établissements scolaire, sans jamais perdre de vue les principes philosophiques sur lesquelles elle est fondée : recrutement et formation des personnels de direction sur des compétences de management et de gestion de projets, implication réelle et sérieuse des représentants des usagers, des élu(e)s locaux et du tissu socioéconomique local dans la vie des établissements scolaires.

Un second levier favorisant une meilleure prise en compte de l’importance du rôle de l’École (et des personnels éducatifs) consisterait à renforcer l’attrait pour les métiers. L’amélioration des conditions salariales des enseignants en France est une des pistes (mais pas la seule) : la France est classée 20e pays de l’OCDE pour le niveau moyen de rémunération des enseignants (moins de 40 000 $US par an après 15 ans d’expérience). A titre d’exemple, les enseignants des Pays Bas (4e au classement) gagnent entre 63 000 et 76 000 $US. Comment demander plus d’efforts à des cadres de l’État après 5 années d’études post-bac, comment demander d’être encore plus investis, sans réévaluer la reconnaissance sociale de leur mission ? Plus globalement, les moyens alloués à l’Éducation doivent être renforcés, à la hauteur des ambitions que nous portons pour elle dans notre société. Il est évident que ces moyens doivent aussi être gérés efficacement. Des améliorations sont à trouver de ce côté-là aussi, en particulier dans la juste répartition entre les territoires et les populations bénéficiaires (quel est l’intérêt de maintenir des CPGE, très onéreuses, dans presque tous les lycées généraux alors que très peu de ces élèves intègrent des grandes écoles… à part satisfaire quelques privilégiés, au détriment de zones délaissées ?).

La formation des enseignants est également au cœur de la réussite des élèves. Elle mérite d’être repensée : les enseignants ne sont pas (ou presque pas) recrutés selon leurs compétences pédagogiques mais selon leurs mérites académiques à un instant T. La formation dite initiale, d’une année, n’est pas suffisante. La formation continue des enseignants, obligatoire, pourrait être orientée plus sérieusement vers l’analyse de pratiques tout au long de leur carrière, en lien avec les recherches du monde universitaire en la matière et les UFR de Sciences de l’Éducation. L’utilisation et l’évaluation de l’impact de méthodes pédagogiques plus variées, tel le numérique par exemple, apparaît cruciale si on veut garantir une meilleure adaptation de l’École à son environnement actuel et aux crises que nous traversons. Il en va de même pour l’ouverture de l’École sur le tissu socioéconomique qui l’entoure (dont le monde de l’entreprise), particulièrement pour les lycées professionnels mais pas seulement, tel que le préconise un récent rapport du Sénat. Une autre piste à explorer serait d’ailleurs de repenser la formation par la voie professionnelle afin de lui donner (ainsi qu’aux individus qui l’empruntent) toute la place qu’elle mérite dans notre société.

Enfin, pour conclure sur les usages du numérique, une labellisation collégiale (Éducation Nationale/Enseignement supérieur, universitaires, cabinets/entreprises spécialisées) des matériaux/plateformes pédagogiques permettrait à la fois de faciliter leur repérage par le grand public et de renforcer leur accès indépendamment du cadre scolaire. Le but est de favoriser (ne devrait-on pas dire « entériner » ?) l’autonomie des apprenants et une meilleure prise en compte de leur diversité, appétences et capacités cognitives. Il va sans dire que cela s’accompagne nécessairement d’un large travail de production et d’évaluation de ces outils d’enseignement par le corps professoral dans le cadre de sa mission de service public.

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