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Mariane
Livre blanc

La pandémie est-elle un mythe ? Essayons de comprendre le « pendant » pour penser l’ « après »

Respectable Loge, Charles de Montesquieu, Orient de Paris, Région 11 Paris 1

Mots Clefs : Contre modèleModèle

La Covid 19 est une maladie qui touche une grande partie de la planète et que notre médecine ne sait pas encore soigner. Cette affection est un fait matériel qui ne saurait être nié et la question que nous posons, savoir « La pandémie est-elle un mythe ? », n’a évidemment pas pour objet de discuter cette réalité.

La grippe contre la grève

C’est en 2010, un an après la mobilisation des pouvoirs publics autour du virus H1N1, qu’un anthropologue, Frédéric Keck a conclu son ouvrage « Un monde grippé »[i], par un chapitre dont le titre est la question que nous posons. Pour le chercheur, en 2010, le « mythe » réside dans la réponse politique promise par les pouvoirs en place à la pandémie, c’est-à-dire la mise à l’arrêt total de nos sociétés. Pour lui, ce mythe est le versant opposé de celui de la grève générale, ce dernier structurant une idéologie révolutionnaire alors que le premier ressortirait de l’arsenal de l’Etat. Or, aujourd’hui, si la grève générale planétaire unissant les prolétaires de tous pays demeure un mythe, l’autre acte politique, celui du versant opposé, est devenu réalité. C’est cet acte, ou plutôt la série d’actes politiques accomplis depuis quelques mois que nous avons cherché à éclairer en compilant diverses sources, toutes référencées en pied de page ; notre travail est loin de la maturité car il ne donne pas de réponse mais esquisse des questions qu’il nous appartiendra certainement d’approfondir.

Sidération

Depuis la mi-mars 2020 vous avez très probablement été rendu destinataire d’un message dont la première phrase était « Tout d’abord j’espère que vous et vos proches vous portez bien en cette période si particulière »[ii] [iii] [iv]. Par cette expression devenue courante, nous soulignons le caractère hors du commun de ces quelques mois, mais surtout notre grande difficulté à qualifier ce qui nous arrive. La journaliste Guillemette Faure, que son éditeur Stock présente comme une spécialiste de l’observation des tocs de l’époque, a même publié une série de chroniques, dans le journal « Le Monde », qu’elle a intitulé « Drôle d’été », elle-même soulignant sa difficulté à en appréhender le sens. « Drôle d’été »[v], c’est aussi le titre d’une chronique de la Radiotélévision Suisse. Et puisque le président de la République française a déclaré que nous étions entrés en guerre et n’en a pas encore déclaré la fin, ce n’est pas être audacieux que de nous penser dans une « drôle de guerre » et l’histoire de France nous rattrape. Cette période que la France a encore du mal à comprendre et qui l’a fait basculer alors qu’elle ne pouvait la qualifier, sidérée qu’elle était de ce qui lui arrivait ; c’était il y a 80 ans.

Comme en 1940 :

  • nous avons été nombreux, sidérés par la radicalité des décisions politiques prises en mars, à nous lancer dans un exode massif [vi] [vii] au risque de saturer et de paralyser les hôpitaux provinciaux,
  • nous avons vu les rues des grandes villes comme Paris vides de leurs habitants et nous en réjouir au nom de la responsabilité climatique en oubliant le pourquoi de la chose [viii],
  • nous avons constaté la recherche de boucs-émissaires ; en 2020 ce ne sont plus le Front Populaire, les Juifs, les francs-maçons, les homosexuels, mais pour certains la mondialisation, le capitalisme et le libre-échange [ix] [x], alors que pour d’autres c’est la décadence de notre société[xi].
  • nous nous sommes soumis avec empressement à l’enfermement et aux graves atteintes aux libertés individuelles que les gouvernements ont choisi d’imposer grâce à deux des plus efficaces et plus anciens des mécanismes : la peur et la culpabilisation qui conduisent si promptement à la dénonciation, voire à la délation [xii], témoignant d’un puissant autocontrôle de la population qui in fine est le rêve ultime de tout régime despotique.

Depuis le mois de mars 2020, la cécité traumatique propre à l’état de sidération, nous fait repasser en boucle le choc émotionnel que nous subissons ; il nous est presque impossible de considérer une exploitation par certains chefs d’Etat [xiii], [xiv] de la sidération dans lequel l’effondrement subit de notre quotidien nous a plongé. L’été qui s’achève voit édicter d’autres mesures encore auxquelles il nous faudra être vigilants. L’analogie avec l’histoire de notre pays doit aussi s’accompagner d’une réflexion sur le caractère planétaire des événements qui nous préoccupent.

Modèle contre modèle

La gravité de la grippe n’est pas chose nouvelle ; la grippe espagnole d’il y a un siècle qui a fait beaucoup plus de victimes que n’en fera sans doute la Covid 19 ; en 1968 la grippe de Hong-Kong où un million de terriens moururent. Il y avait eu aussi, en 1958, la grippe asiatique qui fit deux millions de morts.[xv]

Si la Chine, pour des raisons démographiques et de développement décrit dans l’ouvrage précité de Frédéric Keck, est souvent le point départ de ces grippes, les réactions politiques chinoises ont changé. En décembre 2019 l’Etat Chinois a décidé un confinement très sévère suivi, dans les mois suivants par d’autres pays également touchés. A très gros traits on a pu constater que notamment la France, l’Italie et l’Espagne ont opté pour un confinement strict, que l’Allemagne a décidé un confinement plus souple, que la Suisse a choisi un demi-confinement, alors que la Suède, les Pays-Bas et dans une certaine mesure la Belgique ont préféré une stratégie de responsabilisation individuelle ; les Etats-Unis et le Brésil ont, quant à eux et toujours à gros traits, décidé de ne pas intervenir afin de laisser fonctionner leur appareil économique.

En somme, deux modèles semblent s’opposer : le « modèle chinois » et le « modèle américain ». D’un côté le pays de la liberté individuelle ou le confinement est assimilé par une partie de la population à une violation de ses droits constitutionnels et de l’autre une puissance au seuil de la suprématie mondiale, « usine du monde » « banque du monde » pour qui recevoir de la face est le meilleur moyen de nouer des relations avec l’extérieur. Qui connait la culture chinoise sait que pour bien s’entendre avec un chinois, rien ne remplace l’attention particulière portée à ses actions. Alors, il n’est pas impossible que certains pays, en particulier ceux à confinement strict, aient voulu envoyer un message bienveillant à l’Etat chinois en réplicant son modèle de traitement politique de la Covid 19. Compte tenu de la place de n°1 économique, financier, militaire, démographique et donc politique qui se dessine pour la Chine, ce message bienveillant pourrait être motivé par des nécessités diplomatico-stratégiques de futures alliances. Quoi qu’il en soit, les dirigeants chinois semblent avoir beaucoup apprécié que nos pays valident leur approche. Et le politiste Antoine Bondaz de mettre en garde dans une tribune au journal « Le monde » contre la tentation de certains pays de se prévaloir d’une gouvernance autoritaire à la chinoise pour endiguer l’épidémie, alors précisément que les dirigeants chinois accentuent leur propagande pour tenter de faire oublier leur gestion de la crise.[xvi] Quant au journal suisse « Le temps », il analysait le phénomène dit de « La très payante diplomatie chinoise du masque »[xvii], encore récemment soulignée dans les colonnes du « Monde » au sujet des tensions qui s’intensifient entre les Etats-Unis et la Chine au sujet de Taïwan[xviii].

Acceptation sociale – avènement d’un nouveau pouvoir

Si la méthode chinoise a été mise en œuvre en France, c’est que nous l’avons collectivement acceptée et avons renoncés corrélativement à nombre de nos libertés. Ces renoncements sont presque systématiquement motivés par les analyses dites scientifiques derrière lesquelles se retranche la décision politique.

Souvenons-vous de la première allocution d’Emmanuel Macron, le 12 mars : il a cité les scientifiques à cinq reprises, pas moins, soit autant que le parlement.[xix]

Le président a d’ailleurs justifié le maintien des élections municipales par les recommandations des spécialistes. 

Ce « mélange des genres » démontre l’émergence, voire l’avènement d’un cinquième pouvoir, celui des experts, officiellement invoqué pour fonder la décision politique. Si les politiques peuvent naturellement requérir le conseil de spécialistes, la décision leur appartient. La préoccupation d’un conseil scientifique est la question sanitaire : comment faire reculer le virus, assurer les soins aux malades… La préoccupation du politique est naturellement d’apporter des solutions à la crise sanitaire mais doit également appréhender dans le même temps les effets de la crise économique, de la crise sociale et de la crise démocratique induite par la restriction des libertés fondamentales et le contrôle des individus.

La crise sanitaire a justifié une concentration de nombreux pouvoirs ; se revendiquer aujourd’hui de la pensée de Montesquieu pourrait nous amener à réfléchir non seulement à la séparation de ces pouvoirs mais aussi et presque surtout, par une nouvelle disposition des choses à inventer, à permettre au pouvoir d’arrêter le pouvoir.

La mort

Au-delà des questions de distribution du pouvoir et d’organisation sociale, les comportements humains face à l’épidémie, au cours des siècles, « sont assez stéréotypés »[xx]. Toutefois, ce qui frappe dans notre relation à la Covid 19 c’est « la brutale irruption de la mort, hier familière et apprivoisée, aujourd’hui furtivement éloignée sinon effacée de nos sociétés où l’on ne meurt plus mais où on perd la vie »[xxi]. La perturbation des rites funéraires[xxii] et l’impossible accompagnement des mourants nous renvoie à la tragédie antique et, de notre époque, Sophocle dirait peut-être à nos dirigeants, par la voix d’Antigone : « Je n’ai pas cru que tes édits de simple mortel pussent l’emporter/Sur les lois non écrites et immuables des dieux », « il n’y a point de honte à honorer un frère. »


[i] Frédéric Keck « Un monde grippé » édition Flammarion

[ii] https://stjoseph-challans.vendee.e-lyco.fr/wp-content/uploads/sites/26/2020/03/Message-aux-familles-du-27-mars-site.pdf

[iii] http://www.accorderie.fr/caen/2020/03/18/informations-en-cette-periode-particuliere/

[iv] https://fr-fr.facebook.com/pourlesfansdedemainnousappartient/posts/822029924873086/

[v] https://www.rts.ch/play/radio/emission/drole-dete?id=11389692

[vi] Le Nouvel Obs du 27 Mars 2020, « 17% des Parisiens ont fui la capitale à cause du Covid-19. Voici ce que cela dit d’eux ».

[vii] Le Nouvel Obs du 17 Mars 2020, « Confinement : que nous apprend l’exode de 1940 sur ce que nous venons de vivre ».

[viii] Le Figaro du 29 Mars 2020, « Confinement : les animaux se réapproprient les villes ».

[ix] « Plus jamais ça ! », Tribune commune de 18 responsables d’organisations syndicales et associatives

[x] Le Parisien du 30 Mars 2020, « Yannick Jadot : Haro sur la mondialisation ».

[xi] Le Figaro du 14 Avril 2020, « Philippe De Villiers : Comme Notre-Dame, la France se relèvera ! ».

[xii] Le Point 07 du 07 Avril 2020, « Coronavirus : ces Français qui surveillent et dénoncent leurs voisins ».

[xiii] Le Courrier International du 09/05/2020, « A Hong-Kong, Pékin profite de la pandémie pour sortir l’artillerie lourde ».

[xiv] Le Monde du 23 avril 2020, « En Hongrie, la méthode très militaire de Viktor Orban face au coronavirus ».

[xv] Bernard Henri Levy , Ce virus qui rend fou, Grasset, 2020

[xvi] Le Monde, 16 mars 2020, Coronavirus : « Le modèle de gouvernance chinois n’est pas un modèle à suivre », Antoine Bondaz

[xvii] https://www.letemps.ch/monde/tres-payante-diplomatie-chinoise-masque

[xviii]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/01/taiwan-au-c-ur-de-graves-tensions-entre-la-chine-et-les-etats-unis_6050557_3210.html

[xix] https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-vendredi-03-avril-2020

[xx] J.Ruffié, J.C Sournia, Les épidémies dans l’histoire de l’homme, Paris Flammarion, 1984 p. 129

[xxi] G. Buti, Colère de dieu, mémoire des hommes, La peste de Provence 1720-2020, Les éditions du cerf, 2020 p.8

[xxii] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/04/covid-19-bataille-politique-autour-du-rite-funeraire_6041737_3224.html

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