Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Pourquoi il n’y aura pas de jour d’après…

Respectable Loge, Picardie, Orient de Amiens, Région 10 Nord - Pas de calais - Picardie et Loges d'Angleterre

Mots Clefs : Généralités

Problématique

Le titre de ce travail doit être compris comme « Pourquoi il n’y aura pas de jour d’après lié à la Covid-19 ». En premier lieu, parler de « jour d’après » signifie savoir distinguer dans une ligne de temps l’avant, le pendant et l’après de quelque chose. C’est la première difficulté. Des épidémies comme celles de la grippe ou du rhume durent depuis des millénaires ; 20 ans après, celle du Sida n’est pas éradiquée et aucun vaccin n’a été trouvé même si les thérapies actuelles permettent une vraie qualité de vie. Il est probable que la Covid-19 nous accompagne encore très longtemps. Quand pourrons-nous alors dire que nous sommes alors « le jour d’après » ?

D’aucuns font coïncider la peste de Justinien qui a duré 226 ans (IVe-VIe) avec la fin de l’Antiquité et sa résurgence en 1347-1352 sous le nom de peste noire, avec le début de la fin du Moyen Âge. Coïncidence ne veut pas dire causalité, et il ne se trouvera aucun historien pour affirmer que peste de Justinien comme peste noire ont été la cause du basculement dans le Moyen Âge ou dans la Renaissance. En revanche, elles ont accéléré les changements en cours, comme la fin du servage, ou ont permis à des riches de devenir encore plus riches, les pauvres restant de toute façon pauvres. Avec ses 50 à 100 millions de morts estimés entre les printemps 1918 et 1921, la grippe espagnole n’a été le terreau d’aucun nouveau monde, ou, plus exactement, le nouveau monde qui est sorti de la crise de la première guerre mondiale s’est peu soucié de la grippe espagnole, tout juste un Comité d’hygiène a-t-il été créé au sein de la Société des Nations, ancêtres respectifs de l’Organisation mondiale de la santé et de l’ONU.

La grippe de Hong-Kong qui s’est étendue de 1968 à 1970 a bien laissé derrière elle 1 million de morts sur la planète, dont 31 000 en France, chiffres actuels de la Covid-19, mais n’a laissé strictement aucune trace dans notre mémoire collective, ni dans nos économie et structure sociale. Si monde nouveau il y a eu, ses racines plongent dans les révoltes des jeunesses mondiales de cette décennie, sans lien avec cette grippe.

Devant des évènements qui peuvent se ressembler, nous avons des réactions différentes. Comment expliquer qu’en 1918 ou qu’en 1968-1970, il n’y eut aucun confinement généralisé, et que ces virus n’ont pas été pris par les gouvernements comme une menace sérieuse sur l’économie mondiale ?

Une première réponse se trouve très certainement dans l’interprétation symbolique des faits. La grippe de Hong Kong et la Covid-19, pour prendre ces deux exemples, ont été interprétées de manières radicalement différentes. Passée sous un silence profond pour l’une, catastrophe planétaire pour l’autre, potentiellement capable de remettre en cause les fondements mêmes de notre civilisation mondiale et grosse d’un jour d’après. Leurs contextes sont certes différents. À la fin des années soixante, la dérégulation hospitalière n’est pas à l’ordre du jour et très certainement le maillage des hôpitaux a-t-il pu absorber le nombre important de patients et de personnes décédées. La vie humaine n’avait peut-être pas le même prix que celui qu’on lui donne aujourd’hui en Occident, le risque zéro n’était pas le but ultime recherché, Mai 68 occupait toutes les pensées politiques, en France comme ailleurs. La crise financière, économique puis sociale ne s’était pas encore invitée. La société du spectacle ne débordait pas par tous les pores des gouvernements et des médias… Il n’y avait eu ni Sida, ni Sras, mais il existait pourtant cette certitude raisonnable chez les épidémiologistes, à laquelle personne ne semblait prêter attention, que des épidémies dévastatrices allaient surgir dans cette Asie sub-tropicale populeuse, plaque tournante aéroportuaire et à la forte promiscuité animale.

Réflexions

Le confinement décrété en mars 2020 a surpris par sa soudaineté, sa brutalité, sa longueur ; par l’anxiété aussi distillée goutte à goutte vers 19h30 en France, litanie honteuse du décompte des morts, des patients en réanimation, des personnes contaminés. Et, puisque nous sommes en guerre, des amendes qui pleuvent comme les obus à Gravelotte !

Cependant, avons-nous même remarqué qu’à côté du concert des casseroles et chants honorant les héros du quotidien, le chœur des nations et des organisations internationales, la voix certes encombrée de trémolos opportunistes, n’avait absolument pas changé de tessiture : retrouver au plus vite la croissance et rattraper toutes les plus-values perdues par endettement massif des États pour faire face maintenant afin que ça ne coûte pas encore plus cher après ; tout en faisant miroiter réduction des jours fériés et abandon de congés payés. Aucune bourse n’a fermé durant le confinement et le dogme néo-libéral n’a pas bougé d’un iota et reste toujours l’alpha et l’oméga de notre civilisation, Covid-19 ou pas Covid-19 !

Avons-nous bien perçu que les entreprises qui ont le plus souffert du confinement et de l’arrêt de l’économie étaient celles reposant sur le modèle économique productiviste du XXe, si ce n’est du XIXe ? alors que les Gafa et autres entreprises du numérique et de l’intelligence artificielle ont vu croître leurs bénéfices. Un rapport de l’Institute for Policy Studies et Americans for Tax Fairness montre que la crise sanitaire n’a eu que des effets mineurs sur ces entreprises et surtout sur la richesse de leurs propriétaires et actionnaires  – la fortune de Bezof (Amazon) a augmenté de 30 % entre le 18 mars et le 18 mai 2020 ; Gates (Microsoft), Zuckerberg (FaceBook), Ellison (Oracle) ont vu leur fortune se multiplier au rythme de la croissance de leurs sociétés… et de la pandémie – tandis que des dizaines de millions d’entre nous perdaient leur emploi, que le recours massif au chômage partiel en France a temporairement permis d’éviter.

Dans un rapport de 2017, bien avant l’épidémie donc, le National Intelligence Council américain présente la vision qu’a la CIA du monde d’ici 2035. En deux mots, le chaos est général : accroissement des tensions entre les États, chômage massif dû aux nouvelles technologies, réduction des libertés publiques et individuelles, terrorisme et cyber-terrorisme, populisme, vieillissement et urbanisation des populations, inégalités sociales majeures, changement climatique et enfin problèmes de santé, principalement liées aux maladies chroniques et moins aux pandémies. L’Economist Intelligence Unit, filiale de l’hebdomadaire The Economist, établit depuis 2006 un indice de démocratie dans le monde. En 2006, sur 167 pays, 28 avaient un régime pleinement démocratique, en 2019, ils ne sont plus que 22 alors que l’ONG Freedom confirme une pratique démocratique en baisse dans les démocraties occidentales, par la poussée de mouvements populistes, et que divers sondages montrent depuis une décennie qu’elle n’est pas une valeur dont se soucient les jeunes.

Penser et agir local dans une perspective globale

Alors, est-ce uniquement par résilience face à la sidération collective vécue et peut-être encore à vivre, et à l’incertitude qui nous empreint, que nous nous sommes imaginés qu’un jour d’après adviendrait, solidaire et égalitaire, à l’inverse de ce que nous vivions ?  Mais, nous l’avons vu, l’histoire demande l’humilité à ces prophètes qui assèneraient que « rien ne sera plus comme avant » !

Dans le chaos auquel le monde est parvenu, la pandémie liée à la Covid-19 est certainement un accélérateur de la chute annoncée des institutions et du système économique et social devenus obsolètes devant une économie numérique débridée, une intelligence artificielle prédatrice et un consumérisme effréné. Mais elle n’en est pas le moteur. Elle est sûrement l’opportunité et le prétexte derrière lequel se cachent les prises de positions des élites actuelles et les mutations économiques, sociales et sociétales qu’elles appellent depuis si longtemps de leurs vœux. Comment pourrait-on qualifier une civilisation qui derrière des raisons sanitaires crée des fichiers de personnes contaminées et contaminantes et oblige les populations à porter des masques ? Masques protecteurs mais qui, puisque tout est symbole, pourraient être tout autant des baillons face à la parole qui circule.

Le temps long de l’histoire fera le tri entre les tendances lourdes qui amèneront notre société à se transformer et la part que la Covid-19 y aura joué. Les scénarios de la CIA, le No alternative imposé par le credo néo-libéral durant la crise sanitaire ne sont ni une fatalité, ni un futur acceptable.

Dans le groupe de F :. et S :. qui s’est réuni, il n’y a bien sûr pas eu consensus sur « il n’y aura pas de jour d’après ». Il n’en a même été peu question, chacun comprenant aussi l’ironie de la formule. Il a émis au contraire l’idée de s’immiscer dans l’opportunité ouverte par le chaos pour apporter sa pierre à l’édifice d’un jour d’après construit sur notre idéal maçonnique humaniste et progressiste.

On pourrait résumer ses propositions par Penser et agir local dans une perspective globale. Ont ainsi évoqué le télétravail moins contraint, ouvert à davantage de secteurs d’activité et permettant de sortir des villes, une consommation locale se détournant des circuits de la grande distribution, une alimentation de saison et locavore, une production relocalisée dans les lieux de consommation et porteuse d’une économie circulaire… toutes choses existantes déjà mais sur lesquels il conviendrait de construire un nouveau contrat social – la perspective globale – débarrassée peut-être de son asservissement douteux au travail comme sésame de l’inclusion dans la société. La perspective globale est aussi celle, non pas de renoncer au numérique, à l’intelligence artificielle ni à la mondialisation, mais d’en détourner les risques en les concevant comme biens communs à partager.

Pour Witbank et al. (Strategic Management Journal, 2006)quatre postures sont possibles face à l’incertitude. La plus courante est celle de prédire l’avenir, la moins intuitive est celle qui construit l’avènement du jour d’après en disant qu’on ne peut prédire le futur mais que cela n’empêche en rien d’influencer ni d’agir sur le monde présent car toute situation aussi incertaine soit-elle est pleine de ces ressources aptes à transformer le présent en un futur acceptable.

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