Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Le travail

Respectable Loge, L'Homme et la Société, Orient de Valenciennes, Région 10 Nord - Pas de calais - Picardie et Loges d'Angleterre

Mots Clefs : Ré-enchantement

Problématique, constat, contexte de la contribution

Nous avons choisi de porter notre réflexion sur le « Monde d’après » à propos du TRAVAIL. Valeur et norme essentielles des Francs-Maçons, il nous semblait nécessaire de nous interroger collectivement dans une période au sein de laquelle l’activité de travail a été soit arrêtée, soit réorganisée, et souvent localisée dans la sphère domestique avec le télétravail. Le confinement a aussi permis à certains d’entre nous et à l’ensemble des citoyens de s’interroger sur la place du travail, de notre travail dans nos vies, dans la vie.

Quelques frères ont participé aux travaux de cette commission : Pierre, Julien, Philippe, David, Patrick et notre sœur Hélène nous a rejoint lors d’une séance de travail.

Nos réflexions se sont tournées autour de quelques questions centrales conformément au livre blanc concernant le marché du travail, l’utilité économique et sociale du travail, la place du travail dans la société ainsi que l’organisation du travail.

État des réflexions déjà produites sur le sujet

Rappels historiques et philosophiques sur la place du travail

Quelle définition retenir du travail, au-delà de celle habituelle de tripalium, l’instrument de torture ? Pour Hannah Arendt : « Le travail est l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital. » Autrement dit, le travail est l’activité qui permet de faire face à la contingence matérielle : le travail crée une relation entre l’homme et la nature (comme chez Marx), afin de trouver chez cette dernière les ressources pour (sur)vivre. Il n’est cependant pas l’« essence de l’homme » (Marx), mais simplement le caractère du vivant qui désire. Le travail est cyclique, perpétuel ; ce désir étant sans fin. C’est aussi la position de Comte : « Le travail est la mise en jeu de toutes les richesses et de toutes les forces naturelles ou artificielles que possède l’Humanité dans le but de satisfaire tous ses besoins. » Ces définitions posées, l’on comprend d’autant mieux pourquoi le travail était une activité rejetée dans la sphère privée (celle du foyer, donc de la nécessité) dans l’Antiquité Grecque, et dévolue aux esclaves : elle ramenait l’homme à sa condition, c’est-à-dire sa finitude et à ses besoins.

D’ailleurs le confinement a permis à chacun de mesurer la place du travail et de parfois remettre en cause sa propre activité de travail.

Pourtant, le travail permet aussi, bien entendu, de se former, de s’éduquer, de se découvrir, de devenir sociable, de se divertir, au sens pascalien : « Ennui. Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme, l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. »

A la fin du XVIII siècle, le travail apparaît sous la double figure du facteur de production et du rapport contributif qui permet la mise en relation de l’individu et la société. Le XIX siècle va profondément transformer cette représentation en faisant du travail le modèle de l’activité créatrice par excellence. Une pensée de l’aliénation se met en place qui dénonce la défiguration du travail. En Allemagne se développe la philosophie de Hegel qui fonde l’idée selon laquelle le travail est l’essence de l’homme. La philosophie de Hegel est spiritualiste. Le travail est pour lui l’activité spirituelle par laquelle l’Esprit s’oppose un donné extérieur pour se connaître lui-même. Pour lui, l’objectif ultime de l’Histoire du monde est l’humanisation complète de la nature.

Le travail est le médiateur entre la nature et l’Esprit. Par le travail, l’homme détruit le naturel et se fait toujours plus humain. Hegel a mis en évidence la construction d’une essence du travail, c’est-à-dire d’un idéal de création et réalisation de soi. Marx construit une vaste opposition entre le vrai travail qui est l’essence de l’homme et la réalité du travail qui n’est qu’une forme aliénée. L’homme ne doit avoir de cesse d’humaniser le monde, de le modeler à son image, de réduire le naturel, y compris en lui-même. Non seulement le travail est la plus haute manifestation de mon individualité, mais il constitue également ce milieu au sein duquel se réalise la véritable sociabilité.

Marx voit l’origine de cette défiguration du travail dans l’existence de la propriété privée. Le travail considéré comme facteur de production et comme essence de la richesse est aliéné. Le développement des forces productives permet de se passer de plus en plus du travail humain comme facteur de production et du temps de travail comme mesure de richesse.

Que nous apprend aujourd’hui le confinement sur la place du travail dans la société, est-ce un marché comme un autre ? quelle est l’utilité sociale de notre travail ? Le télétravail à grande échelle est-il possible ?

-Le travail serait un bien et/ou un service échangé entre des Demandeurs de travail (employeurs) et des Offreurs de travail (personnes en âge de travailler, population active). -Sur ce marché, seraient fixés un prix et une quantité du travail, en fonction de la rencontre entre la demande et l’offre de travail.

-La demande de travail est une fonction décroissante du prix du travail alors que l’offre de travail est une fonction croissante du prix (liée à un arbitrage entre le temps de loisirs et de revenu)

-Cette analyse libérale, néoclassique considère que le marché du travail comme tout marché s’autorégule, s’ajuste et s’équilibre naturellement et que le chômage est un chômage volontaire.

Mais le travail n’est pas une marchandise comme les autres.

-Il est réglementé par le droit du travail depuis le XIXème S (durée du temps de travail, salaire minimum…)

-Il est protégé par la protection sociale et confère des droits sociaux (cotisations maladie, vieillesse, emploi…)

-Il est défendu par les syndicats de salariés et des entrepreneurs, par les conventions collectives

Par conséquent le salaire n’est pas uniquement le résultat de la rencontre sur le marché du travail comme c’est le cas sur le marché des biens et des services. Le salaire dépend aussi des résultats des négociations salariales et de l’intervention de l’État.

Toutefois

– la reconnaissance du travail dans la société est souvent liée à sa rémunération qui est déconnectée de son utilité sociale. Le confinement a montré l’utilité de nombreux emplois déconsidérés et dévalorisés sur le marché du travail car peu rémunérateurs et par la société.

-Quelle est l’utilité sociale du trader ? Pourquoi les métiers les plus essentiels sont-ils si peu valorisés : paysans, éboueurs, soignants, enseignants ?

– La rémunération est calculée par la comparaison entre ce que crée un travailleur comme richesse et son coût pour l’employeur. Par conséquent il peut y avoir une déconnexion entre utilité économique et utilité sociale.

– Le travail ne peut pas être qu’une source de rémunération mais doit surtout être source d’épanouissement, de bonheur, de sens, de dignité, d’estime de soi et également d’appartenance à un groupe.

-La place du travail reste essentielle au sein de notre société, elle reste toujours la deuxième valeur derrière la famille car le travail crée du lien, du sens, des droits, il est le grand intégrateur à la condition qu’il soit considéré et reconnu par la société tout entière.

Le confinement a aussi posé la question de son organisation. Pendant cette période, 64% des actifs ont continué à travailler dont 30% en télétravail.

Le télétravail présente des avantages importants : il améliore les conditions de travail des salariés et la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle ; il contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; il bouscule les modèles organisationnels et managériaux obsolescents ; il favorise l’accès à l’emploi des populations exclues du marché du travail, contribuant de ce fait à l’inclusion sociale ; il permet de réduire les impacts sanitaires de la pollution dans les centres urbains… Le véritable enjeu du télétravail est en fait la capacité à gérer la déspatialisation, c’est-à-dire la distance non seulement physique (géographique) du travailleur, mais aussi et surtout psychosociologique, liée à l’éloignement d’avec son environnement de travail au sens large (collègues, espaces communs, échanges informels et formels, etc.)

« Le confinement montre bien les inégalités qu’engendre le télétravail, analyse Caroline Datcharry, professeure de sociologie à l’université Toulouse-2. Que l’on ait un bureau isolé, des enfants à garder, télétravailler est plus ou moins facile, voire impossible. » D’après elle, certaines inégalités tiennent à la situation du foyer (espace, équipement, personnes à s’occuper), au niveau de revenu mais aussi à la composition du foyer (familles monoparentales, présence et âge des enfants) ou au genre.

Ceux qui télétravaillent sont aussi ceux dont l’activité le permet et il s’agit plutôt de métiers intellectuels, de conception à la différence de métiers essentiels qui nécessitent une présence sur le lieu de travail ; les soignants, les éboueurs, les paysans, les hôtesses de caisses qui sont des métiers d’exécution.

Dans une société française qui a tendance à se fragmenter, la question du lieu de travail est tout sauf neutre. Le bureau est le dernier endroit où tout le monde se croise pour de bon, bien davantage que le quartier ou l’école. Au bureau, on est « obligé » de vivre la diversité, de fréquenter des personnes de tous âges, sexes, religions, conditions sociales et origines géographiques.

Le télétravail c’est aussi le grand retour de la femme au foyer, qui n’aura même plus besoin de sortir de chez elle pour s’occuper de la maison, des enfants et de son boulot. Tout sauf un progrès. L’émancipation des femmes s’est bâtie dans les années 1960 et 1970 sur le travail « hors-domicile » et l’accès pour des millions d’entre elles à la vie de bureau. Les études sur le confinement montrent que les arbitrages se sont faits au détriment des femmes : ce sont elles qui, majoritairement, se sont arrêtées de travailler pour garder les enfants.

Le risque de déstructuration des rapports employés-employeurs est aussi un inconvénient. Avec une généralisation du travail à distance, on passerait aisément d’une logique relationnelle à une logique transactionnelle : quitte à employer quelqu’un à distance, pourquoi ne pas embaucher quelqu’un à 300 km d’ici… ou bien à 3.000 kms ? Pourquoi ne pas payer à l’heure de travail en contrôlant rigoureusement les heures de connexion ? Pourquoi ne pas se construire un réseau de « journaliers » freelances activables en fonction des besoins ponctuels de l’entreprise ?

Isolement, perte du lien social, hyper connexion au travail, augmentation du stress… Les dérives potentielles liées au télétravail sont nombreuses. Parmi les personnes interrogées, 63% déclarent avoir consacré plus de temps à leur tâches professionnelles et 51,6% d’entre elles ont trouvé l’expérience plus stressante. Mais l’adhésion qu’il suscite auprès des salariés et des managers oblige l’ensemble des acteurs à dessiner un chemin de crête pour définir un nouveau mode d’organisation conforme aux attentes du « monde d’après ».

Propositions concrètes

– Le télétravail n’est ni à exclure ni à généraliser. Sa part risque de s’accroître inéluctablement pour des raisons encore d’accélération des réseaux de communication et de la simplification d’organisation de réunions éloignées géographiquement. C’est un dispositif organisationnel à encourager car c’est un gain de liberté sur l’organisation globale de la vie de l’individu, à encourager mais aussi à réglementer, avec le droit à la déconnexion, veiller à ce que le travailleur soit bien équipé dans un environnement propice à la concentration tout en gardant aussi des journées de travail au bureau afin de préserver le lien social.

– Repenser le calcul des rémunérations, que ce ne soit plus seulement une équation économique mais aussi sociale, sociétale. Le salaire est calculé par la différence entre ce que rapporte un travailleur en termes de richesses et ce qu’il coûte. Le coût étant aussi dépendant de sa productivité c’est-à-dire de son efficacité. Une rémunération plus élevée est à terme un gain pour l’employeur et non un coût et change le regard de la société sur ces métiers mal payés et essentiels à la vie et à notre organisation. L’idée pourrait être de revoir les grilles salariales via les partenaires sociaux et les pouvoirs publics selon les branches d’activité. Ou alors labéliser des entreprises à impact social, elles pourraient être incitées à élever le niveau de rémunération des métiers peu qualifiés moyennant une baisse de leur fiscalité.

– Retrouver de la dignité en allant travailler, humaniser le travail, ré enchanter le travail et cela passe sur le regard des hommes eux-mêmes vis-à-vis de certains métiers, cela s’appelle simplement la fraternité. Humaniser le travail en plaçant le travailleur, ses besoins, aspirations au cœur du processus de production de biens et de services.

– Partager le travail pour être plus libre et exercer des activités plus sociales et plus épanouissantes

– Le revenu universel

L’Institut allemand de recherche économique a annoncé le lancement d’une expérimentation sur le revenu universel. La crise liée au Covid-19 relance le débat sur cet outil dont les partisans comme les opposants appartiennent à des courants politiques très divers.

Une expérimentation sur le revenu universel a été lancée la semaine dernière en Allemagne. D’ici novembre, 1 500 personnes doivent être sélectionnées. Il est prévu que 120 d’entre elles reçoivent 1 200 euros par mois sans condition pendant trois ans, les autres ne percevant rien. Ces participants seront régulièrement interrogés sur leur travail, leur état émotionnel et leur vie en général. Son objectif est de savoir « dans quelle mesure un tel flux d’argent affecte les attitudes et le comportement des gens », selon le chercheur Jürgen Schupp.

En France, plus de 80 personnalités, dont de nombreux responsables politiques, ont publié en mai dans L’Obs une tribune dans laquelle elles demandent la mise en place d’un revenu universel. En pleine crise liée au Covid-19, elles estiment indispensable « la mise en place d’un filet de sécurité universel, un socle sur lequel s’appuyer dans une société de l’incertitude ».

Le revenu universel est défendu par trois courants de pensée, analyse la Fondation Jean-Jaurès. Le premier, lié à la pensée marxiste ou écologiste, le conçoit « comme un instrument de sortie du capitalisme productiviste, voire du salariat ». Il permettrait de développer des activités non rémunérées, mais utiles socialement comme l’engagement associatif. Le second, proche du courant social-démocrate, le perçoit « comme une adaptation de la protection sociale » aux « nouvelles formes de travail » et un moyen de faire face à l’accroissement du nombre de travailleurs pauvres. Le troisième, proche de la pensée libérale ou libertarienne, estime qu’il pourrait se substituer aux autres prestations sociales et en simplifier la gestion. En couvrant les besoins minimaux de chaque individu, il permettrait de lutter contre la pauvreté sans remettre en cause le capitalisme

Pour l’économiste français Daniel Cohen, le revenu universel constituerait un filet de protection contre les évolutions de l’activité économique, en particulier le développement de l’ubérisation du travail et de la robotisation. L’économiste belge Philippe Van Parijs estime que le revenu universel modifierait le dialogue social : bénéficiant d’un revenu complémentaire, les salariés pourraient plus facilement refuser de se voir imposer des conditions défavorables et mieux négocier leur contrat de travail. À l’inverse, l’économiste français Jean-Marie Harribey, ancien coprésident de l’organisation altermondialiste Attac, estime qu’un revenu universel inciterait les entreprises à en déduire le montant des salaires et qu’il pourrait même, « à terme, mener à la disparition du salaire minimum » en le rendant inutile.

Certains opposants au revenu universel évoquent un possible effet désincitatif sur le travail. L’économiste français Guillaume Allègre souligne qu’avec l’instauration d’un revenu de base suffisant, « les personnes les moins attachées au marché du travail », telles que « les jeunes, les personnes peu qualifiées, les femmes avec enfant », passeraient « à temps partiel, voire s’arrêteraient de travailler ». Les expérimentations passées, en particulier celle menée au Canada dans les années 1970, montrent effectivement une baisse du temps de travail, mais limitée. Pour certains des défenseurs du revenu universel, cet effet est justement recherché. Dans un ouvrage publié en 2010, Baptiste Mylondo écrit que cet outil peut agir « comme une prime à la réduction du temps de travail susceptible en fin de compte d’impulser un réel partage de l’emploi ».

Dans un rapport publié en 2016 [PDF], des sénateurs estiment que « quel que soit le montant » du revenu universel, « sa création impliquerait une refonte d’ampleur du système de protection sociale, mais également du système fiscal ». Il pourrait être financé, selon les scénarios, par la réallocation de tout ou partie des prestations sociales, par l’instauration de prélèvements obligatoires supplémentaires ou la suppression de certaines exonérations fiscales. Certains, comme le Mouvement français pour un revenu de base, une association, proposent d’instaurer une taxe sur les transactions financières.

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