Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

La Valeur du Travail

Respectable Loge, Sagesse Harmonie Lumière, Orient de Marseille, Région 15 Provence- Alpes - Corse et Loges de Sardaigne et d'Italie

Mots Clefs : Sens collectif

La période de confinement que l’Humanité subie actuellement est un moment propice pour réfléchir au sens donné à notre travail profane quotidien, et un moment historique pour tenter de changer le paradigme laborieux de nos sociétés. Chacun en a fait l’expérience personnelle (ou par un collègue, un ami…) d’un travail devenu aliénant : automatisé, monotone, répétitif, surchargé, contraint, où l’on se sent comme dépossédé de soi-même. Ce système de pression et de précarité, très négatif et anxiogène, amène certains au burnout, à la dépression et parfois même au suicide. Le monde du travail, soumis au libéralisme exacerbé, est devenu malade de la concurrence, la compétition, la culture de l’affrontement. Une violence qui se retrouve aussi dans le collectif avec des grèves et manifestations, et un manque de repères.

Cette situation dans le monde de travail profane est l’antithèse de la fraternité et de la solidarité que nous expérimentons dans notre engagement maçonnique. Nous ressentons une nécessité d’équilibrage et de recherche de sens face aux crises écologiques, sociales et sanitaires. Nous croyons en la force de la négociation, du compromis, de l’entraide. Nous militons pour que le travail redevienne l’expression de l’intelligence et du génie humain, et qu’il agisse comme un facteur positif de libération de l’homme avec le développement du talent de chacun au bénéfice de tous.

La définition du mot travail est étymologiquement liée à la torture et à la corvée. C’est une forme de punition naturelle ou divine, une conséquence du péché originel selon la bible. Attribué dans les anciens temps aux esclaves et aux serfs, le travail a une valeur très faible et une forte connotation négative : la personne noble, de haute lignée ne travaille pas. Le travail profane devient, progressivement, une activité productive rémunérée jusqu’à devenir, à la révolution industrielle, la norme pour chaque individu. Il dépasse la simple activité « alimentaire » pour devenir un élément essentiel de l’équilibre de l’homme moderne. C’est un des éléments de la construction de notre identité. Il est structurant quand il permet la reconnaissance de notre valeur personnelle, de notre singularité.

Nous nous investissons souvent dans notre métier parfois au détriment des autres activités de notre vie. Cet engagement est aussi lié au rendement exigé et au productivisme de notre société. C’est pourtant cette productivité qui va permettre de dégager du temps « libre » pour les loisirs, l’étude, la relation avec la nature, et la réflexion. Le travail est divers et possède cette vertu de nous faire passer de l’état de nature à celui de culture (méthodes, technique, outils …). Devenir un Homme, se singulariser par rapport aux animaux par le travail et ainsi atteindre son épanouissement par la création et la réalisation de soi. Car travailler ce n’est pas seulement produire, c’est aussi se transformer soi-même, dans un rapport de soi à soi, un rapport avec ses équipiers et ses collègues. Cette promesse d’émancipation sociale par l’autonomie financière, est également le signe d’un accomplissement de soi par le regard des autres : usagers, patients, clients… Confronter nos opinions, interagir dans l’action, partager nos idées : c’est l’apprentissage du vivre ensemble, de la coopération et de la solidarité humaine.

Dans cette définition tout travailleur est important et occupe une place de choix dans l’organisation de nos sociétés à quelque niveau qu’il soit. La crise sanitaire nous a révélé ces métiers de l’ombre qui sont pourtant des rouages essentiels à notre survie. Mais nous savons aussi que l’homme est volatil et nous retomberons assurément après le confinement dans les schémas anciens. Il y a une forte probabilité que les professions de soignants, caissiers, éboueurs retombent dans l’anonymat une fois les peurs et la crise passées. Notre société peut être comparée à un Rubik’s cube dont l’articulation est très difficile pour trouver la bonne combinaison.

Il y a aussi une rétribution morale à son métier, un aspect symbolique que nous avons l’habitude d’expérimenter en Loge. Cette reconnaissance de la qualité de notre travail, de notre contribution à la communauté est aussi importante que les éléments financiers. Les salaires, primes, avancements ont aussi un impact psychologique lié à la dimension symbolique de notre contribution à l’œuvre collective et la place que l’on occupe, que l’on se construit parmi les autres. Cette reconnaissance est fondée sur le jugement d’utilité porté par l’usager, le client, l’élève, la hiérarchie… C’est une évaluation sur les résultats obtenus. Le salaire sanctionne l’utilité de mon travail, lui donne une valeur personnelle d’échange. Nous sommes un morceau du travail que nous fournissons, il y a notre ADN en lui. Si on juge mon travail inutile, on raye mon identité, mon utilité au Monde.

Mais c’est également un jugement de beauté porté par la communauté d’appartenance : conformité par rapport aux règles du métiers (Art) et originalité de son œuvre par rapport à la norme (interprétation personnelle). La satisfaction du travail bien fait et reconnu comme tel par ses confrères. C’est dans ce travail librement organisé que l’être humain trouve la voie royale de son accomplissement.

Le travail est donc une rencontre entre qui nous sommes et ce qu’on nous donne à faire. Il faut donc que chaque individu ait les outils intellectuels pour se construire en tant que citoyen et professionnel. Faire de l’éducation le cheval de bataille, ce n’est plus seulement faire de l’instruction basique ou préparer la jeune génération à sa seule insertion professionnelle : c’est une véritable culture sociale, qui est le ciment de la République, la liberté, la laïcité…  C’est un travail de longue haleine qui s’étale sur toutes les générations, présentes et futures, afin de leur donner de nouveaux modes de pensées et foi en l’Humanité. C’est une ligne directrice pour la société et surtout un vecteur d’espoir pour tous. Elle permet que chacun ait conscience de sa responsabilité envers le bien commun et soit respectueux de son environnement (nature et humain) en l’incitant plutôt qu’en sanctionnant.

L’éducation apporte cette liberté de pensée et permet d’agir de manière autonome sans nécessité d’un pouvoir autoritaire et centralisateur. L’éducation associée à l’instruction des sciences, de l’art, des savoirs multidisciplinaires sera la pierre angulaire d’une société multiple, coopérative, faite de solidarité et d’entraide. Si notre urgence est à l’éradication d’un virus capable de stopper notre modernité, réfléchir sur le monde de demain est une nécessité. S’il était commun de s’agacer d’impôts dont la gestion a pu parfois sembler impécunieuse, jusqu’à oublier le fondement républicain premier de son consentement, une profonde gratitude est accordée aujourd’hui aux hommes et femmes travaillant à l’intérêt général. Hier soumis à une injonction de rentabilité, nous les reconnaissons à nouveau comme notre socle commun d’améliorations sociales.

La Franc-maçonnerie permet d’ouvrir à d’autres points de vue, d’ébranler des certitudes, d’ouvrir des consciences. Il ne faut d’évidence pas se laisser transporter par l’idyllique, l’illusoire et donc le vain; cette période est un clair-obscur alternant optimisme et pessimisme. Notre éthique maçonnique, telle le Sisyphe de Camus endurant son supplice avec bonheur, nous invite à un parti pris humaniste. Constatons sans naïveté que ce vent du changement commence à ébouriffer nos mentalités. Nous devons croire et œuvrer à notre niveau pour qu’il émerge de cette crise de nouvelles habitudes, notamment au regard du travail profane. Le travail, cette centrale institution si innervée de social, cette valeur au confluent de tous les bouleversements humains, sera une péninsule dans cet océan d’incertitudes, un laboratoire des valeurs de notre avenir.

Cette crise serait-elle réellement la concrétisation de l’adage d’un mal nécessaire pour un bien salutaire ? … Comment envisager une construction intime par le travail profane, alors que le salariat, majoritaire, est régi par un contrat imposant un lien juridique de subordination à l’employeur… ? Alors qu’il a subi de plein fouet la compétition généralisée, si éloignée de la solidarité, si contraire à la fraternité que nous enseigne notre labeur spirituel… ? L’intelligence artificielle menaçant énormément d’emplois, le travail soumis au règne de la concurrence échevelée ne donnant plus de sens, n’y a-t-il pas matière à une réflexion sur le revenu universel que plusieurs pays, dont l’Espagne, semblent vouloir adopter ?

Nous avons en tant que Maçons à nous approprier ce thème qui s’annonce majeur. Il existe autant d’interprétations que de chapelles idéologiques et le diable se nichera dans les modalités d’application. Vecteur aggravant d’inégalités si les allocations universelles viennent remplacer les prestations sociales ciblées ou alors changement de paradigme politique, économique et moral, bouleversant nos compréhensions dépréciées du monde du travail. Sa portée peut s’avérer radicale et transformerait une approche « coût » en une approche « valeur ». Car en rattachant une part des revenus à une distribution par la collectivité, la société y réinsèrerait un sens collectif dé corrélé des seules logiques du marché.

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